29 août 2009

Pampa !

Vendredi 28 aoûtLa Paz

Ca y est, ça sent la fin. Dernier soir à La Paz avant le grand retour. Les fins de voyage c’est toujours particulier, on se demande comment on va gérer le changement d’ambiance, la fin de la bulle. J’ai une grosse pensée pour le Woodstower, dont le 1er soir est déjà terminé… je croise les doigts. Les photos continuent à fleurir sur Facebook, ici et ici. Mais allez, avant de parler de retour, allons plutôt faire un tour du côté amazonien, suivre les quelques jours passés avec les animaux de la pampa…

Dimanche 23 août

Direction l’aéroport de la TAM (Transporte Aereo Militar, aéroport militaire), qui n’est pas le même que l’aéroport international, bien que les deux mutualisent leurs pistes. Un micro nous monte jusqu’à El Alto, l’autre nous dépose devant un petit portail gardé par un militaire. Un petit écriteau TAM nous prouve qu’on est au bon endroit. Le soldat nous ouvre la porte et nous dit d’aller tout droit. Il n’y a qu’un petit bâtiment un peu délabré au bout du petit chemin. Et personne ! Si, deux australiennes attendent dehors en lisant. Notre avion est sensé décollé dans 1h20. A l’intérieur du bâtiment, pas un chat. Pas de lumière. Le petit magasin est fermé, ainsi que le petit resto. Il y a juste une salle d’attente octogonale plongée dans l’obscurité, et puis des ouvertures vers la piste, sans aucun contrôle pour y accéder. Deux petits avions sont à l’arrêt. C’est un aéroport fantôme ! Flippant. L’heure qui suit amène son lot de passagers, une quinzaine, qui ne semble pas stressé. Une des australiennes trouve l’interrupteur pour allumer la lumière… les néons font tellement de bruit qu’on finit par les éteindre à nouveau. Une jeune fille se pointe vers la « zone d’embarquement » et pèse nos bagages avec une grosse balance à aiguille. On à l’impression que l’aéroport est tenu par une famille, un peu comme les auberges ! Les mochillas sont entassées dans un coin, on peut rejoindre la « salle d’embarquement », un petit SAS. Nos bagages à main ne sont pas fouillés, mais des panneaux nous informent quand même qu’il est interdit de transporter des flingues, des couteaux ou autres tronçonneuses. Ah bon, ok.

L’avion n’est pas si petit, il a une petite cinquantaine de sièges, du coup il fait bien vide. Un sandwich nous est distribué à l’entrée. Le vent souffle en fortes rafales sur l’altiplano, ça n’est pas rassurant. Mais on y est. Le décollage se passe… bien. Et puis le spectacle du paysage efface peu à peu le stress dû au non professionnalisme affiché de la compagnie. Les hauts plateaux secs laissent rapidement la place à de hauts sommets enneigés, qu’on a l’impression de toucher tant on vole prêt, l’avion gardant une altitude assez basse. Et puis les montagnes redescendent et une étendue verte sans fin prend le pas, sillonnée de larges cours d’eau saumâtres : la forêt amazonienne ! C’est incroyable comme tout a changé vite. Une petite barrière de montagnes, et l’univers s’est transformé. L’avion descend déjà. On aperçoit de mieux en mieux les grands arbres d’une densité impressionnante, et puis les nombreuses rivières. L’atterrissage se fait sur… de l’herbe !!! Une courte piste totalement recouverte de gazon. En sortant de l’habitacle, on se rend compte que les avions décollent et atterrissent sur une fine bande de terre centrale… et surtout qu’il fait chaud et humide ! On est en pantalon, polaire, pull, grosses chaussures, et on étouffe. On se change aussi vite que possible. L’aéroport est encore plus petit que celui de la TAM, plus proche d’une cabane qu’autre chose. On attend nos bagages dehors, à côté d’un petit portail donnant sur la piste d’herbe. Et puis une jeep nous transporte jusqu’au centre ville de Rurrenabbaque, plus communément appelée « Rurre ». La route est tantôt de terre, tantôt pavée de petit cailloux. On traverse un paysage peuplé de palmiers, arbres et plantes en tous genres. J’ai l’impression d’être de retour en Asie, dans les paysages de Birmanie ou du Laos. Plus du tout en Bolivie.

La ville a des allures de village amazonien tranquille, très verte, plutôt vivante, parcourue essentiellement de deux roues. On trouve une guest-house un peu à l’écart du centre, « El Curichal », tenue par un père et son fils, aux petits soins tous les deux. Les chambres donnent sur une petite cours intérieure dont tous les murs sont peints des couleurs de la jungle avec des animaux, et une dizaine de hamacs sont installé sous un manège de bois central. On est bien, on est ailleurs.

Il nous faut maintenant décider ce qu’on va faire de nos quelques jours ici, et rentrer dans la guerre des agences ! Il y a deux types de tours ici : dans la pampa, avec la certitude de rencontrer plein d’animaux sauvages, et dans la jungle, plus axée sur l’expérience de se promener, de dormir, de se familiariser à un environnement inconnu et fascinant. On hésite, on voudrait tout faire. On va voir plusieurs agences, les prix sont à peu près les mêmes, mais faire la pampa ET la jungle semble compliqué. Un couple d’anglais bien sympa rencontré à l’hôtel (Iain, originaire de Gibraltar, et Yohanna) part pour 3 jours de pampa avec « Dolphin Travel ». On décide de faire de même, on verra bien si on peut aller se balader dans la jungle le dernier jour. Nos sésames en main, on va manger des gros poissons frais du fleuve au piranha café (sauces roquefort et niçoise). Délicieux. Du coup on fait un peu pote avec le cuistot, un français pied-noir venu s’installer ici. Pendant notre retour à pied à l’hostal, un motard tente de me chopper ma sacoche à la volée, ou de me toucher le cul en me prenant pour une fille, on ne saura jamais. En tout cas il n’arrive à rien. Les chambres sont équipées d’un ventilateur, pour notre plus grand bien. On s’endort assez vite.

Lundi 24 août - Pampa / Dia 1

On prend le temps de se réveiller peinard, le départ n’est qu’à 9h. Il a plu toute la nuit, des grosses averses dont la violence nous a régulièrement réveillés. Il fait un peu plus frais du coup. On a tout ce qu’il faut avec nous : écran total et après soleil, anti-moustiques, sandales (achetées au marché la veille), maillot de bain (toujours pas Alice). On laisse les mochillas à l’hostal et on va petit déjeuner dans une échoppe de la « rue des agences » (elles sont toutes concentrées). On rencontre nos camarades de jeu de la pampa : Iain (30 ans, barbu cool) et Yohanna (24 ans, brune mimi), rencontrés à l’hôtel, Christina (dreadeuse blonde) et Diego (rasé et sec), un peu moins de 25 ans chacun, suisses allemands, et enfin les deux australiennes de l’avion, 22 et 27 ans, prénoms oubliés. On part en 4x4 pour un trajet de 3 bonnes heures sur une route pourrie (suffisamment pour devoir changer une roue à mi-parcours), jusqu’à Santa Rosa, porte d’entrée au parc protégé s’étendant de part et d’autre du fleuve Yacuma. Pendant le trajet, la pluie reprend, puis redouble d’intensité, et le terrain devient complètement boueux et difficile à pratiquer. Avec nous un chauffeur et Nico, le cuisinier fort sympathique qui nous suivra pendant trois jours. A notre arrivée à Santa Rosa, on nous donne à chacun un joli petit livret répertoriant tous les animaux susceptibles d’être croisés dans le coin avec photos, descriptifs et mode de vie (Alice porte un intérêt tout particulier au paresseux, dormant 22h sur 24h), et puis on se pose dans une sorte de cantoche en bois pour déjeuner un almuerzo local bien typique à base de soupe, de viande et de légumes.

On arrive au point de départ des embarcations (de longues barques en bois à moteur), sur les bords du rio Yacuma. Les groupes des différentes agences se préparent, entreposent leurs sacs et les containers de nourriture en queue de bateau, et partent le long du fleuve, les uns après les autres, à quelques minutes d’intervalle. C’est bientôt notre tour. Les australiennes ont rejoint une autre embarcation, on se retrouve à 6, ainsi que Nico le cuistot et Wilfredo le guide, qui nous a rejoint. Une bonne quarantaine d’années, l’air plutôt sympa au premier coup d’œil. La pluie a globalement cessé mais quelques gouttes tombent par ci par là, et le ciel est encore très couvert et venteux. Je n’avais pas prévu ça, et j’ai vite froid en t-shirt, short et sandale avec le courant d’air créé par la vitesse de la barque.

A part ça, les 3h de bateau amènent leur lot d’émerveillements. On commence par apercevoir de nombreux caïmans (tout noirs) et alligators (jaunes à bandes noires), posés comme des étrons sur la rive ou laissant leurs yeux dépasser de l’eau. Et puis des familles de capibaras (hidrochoerus hydrochaeris), mélanges informes entre sanglier (corps) et castors (tête). On s’arrête devant un arbre ou on entend des singes. Et soudain plein de petits singes genre ouistiti un peu jaunes et super mignons se pointent pour nous mater. L’un saute même dans la barque, la sillonne, monte sur les épaules de Diego et repart à la recherche de bouffe dans les sacs plastique. Un peu plus loin, un dauphin rose saute juste à côté du bateau. Des tas de dauphins de cette sorte vivent le long de ce cours d’eau. Les dauphins amazoniens ont été enfermés dans ces cours d’eau suite à des mouvements tectoniques, et ont subi des mutations génétiques pour pouvoir vivre dans ce nouvel environnement d’eau douce, loin de la mer. Leurs yeux sont devenus minuscules, adaptés à la vision en eau trouble, leur sonar s’est encore développé et leur aileron, très peu utilisé, s’est presque entièrement résorbé. On croise encore des grosses tortues d’eau posées sur des branches ou laissant dépasser leur tête de l’eau, et bien sûr une variété impressionnante d’oiseaux. Hérons, cigognes, différents rapaces qui s’envolent le long de l’eau à notre approche et rejoignent des branches d’arbres un peu plus en hauteur. Certains sont en train de pêcher dans l’eau. Et puis régulièrement, des poissons sautent à côté de nous. De part et d’autre du fleuve, des arbres touffus aux lianes tombant dans l’eau, d’autres dont il ne reste que les branches, avec parfois des gros nids autour des cimes, et puis quelques grosses fleurs, souvent roses, par ci par là.

On débarque vers 17h dans une « Ecolodge » toute en bois, construite sur pilotis, le long de la rive. On occupe une chambre à 8 lits, tous dotés de moustiquaires. D’autres groupes occupent d’autres chambres adjacentes. Des hamacs sont installés avec vue sur des arbres remplis de singes qui sautent de branche en branche. Un peu plus loin, en suivant un pont de bois, on arrive à un mirador ou tous les groupes viennent se poser pour admirer le coucher de soleil. On partage une bouteille de vin pour profiter du spectacle, le soleil de plus en plus rouge qui se laisse progressivement engloutir par la savane, au-delà du fleuve. En dessous, 4 ou 5 hommes jouent des tubes du folklore bolivien à l’aide de guitares, tambourins et flûtes, égayant une ambiance déjà bien chaleureuse. Le repas qui suit est un festin, Nico nous sert au moins 6 plats différents, salades diverses, petits légumes bien préparés, poulet en sauce et autres mets. On profite un peu du calme et des bruits des arbres et des animaux alentours avant d’aller se coucher. Dehors, les nuages se sont totalement dissipés et ont laissé la place à une pluie d’étoiles.

Mardi 25 août - Pampa / Dia 2

Le petit déjeuner commence à 7h. Différents beignets au fromage, pains, œufs au plat, crêpes… Nico s’este encore défoncé. Dehors le soleil a repris les rennes, mais des nuages continuent à voiler partiellement les cieux. L’ambiance est assez cordiale entre nous, mais ne vaut pas la virée du sud-ouest. Et le guide est plus distant qu’Edgar, ne mange pas avec nous, ne nous parle que pour nous détailler la suite des événements. On part à 8h pour la première activité de la journée : la recherche d’anacondas dans la savane !

L’embarcation ne nous sert qu’à traverser le cours d’eau, et on part à pied sur les terres de l’autre côté. Ca y est, on est vraiment dans la pampa. On traverse des terrains assez pauvres en végétations, des champs de fougères ne laissant dépasser que nos têtes, et puis des marécages encore gorgés de l’eau tombée la veille, plein de boue et de vase puante. Heureusement on s’est tous fait prêter des bottes. Ca ne nous empêche pas de nous enliser régulièrement et d’avoir du mal à lever une jambe engluée, surtout Alice qui a pris des bottes un peu trop grandes et qui manque à plusieurs reprises d’en laisser une dans la boue en laissant sortir son seul pied ! On se retrouve à côté d’un petit cours d’eau, et les recherches des gros serpents s’intensifient. Wilfredo se sert d’un bâton (au bout se séparant en deux, comme une langue de serpent) pour ratisser le fond de l’eau. On change d’endroit régulièrement, de cours d’eau en marécages herbeux, mais nos recherches restent vaines. Des nuages cachent le soleil. Wilfredo nous explique qu’il n’a pas plu les deux derniers mois, que le temps de la veille était absolument exceptionnel, et que les anacondas se cachent en l’absence de soleil. C’est con. On continue quand même à chercher. Iain est à deux doigts de tomber dans le marais, il se stabilise avec un bras qu’il plonge dans l’eau sans avoir à mouiller le reste. Yohanna, par contre, vacille complètement et tombe le cul dans l’eau boueuse. Ca c’est fait. Un peu plus loin, sur le chemin du retour, on aperçoit un autre groupe qui a lui trouvé un anaconda ! On le rejoint et on observe la bête. Environ 2m, pas le plus grand spécimen de son espèce (certains peuvent atteindre 9m !), mais quand même impressionnant. On le fait sortir de son talus, on le touche (tout doux), Diego le brandit en l’air.

Un peu plus loin, le terrain est presque dépourvu de végétation à part de l’herbe. Wilfredo nous explique que des vieux du coin brûlent régulièrement la pampa sur des lieues à la ronde pour que leurs troupeaux de vaches puisse brouter peinard. Ils sont maintenant interdits de le faire, mais ne comptent pas s’arrêter pour autant. Ils sont fous ces vieux de la pampa. Et effectivement, des vaches broutent au loin, côtoyées par quelques chevaux. Globalement Wilfredo parle beaucoup dans sa barbe, aux personnes les plus proches de lui, et n’a définitivement pas l’enthousiasme communicatif d’un Edgar. Mais il nous éclaire quand même sur certains trucs, c’est déjà ça. On rentre vers 11h30 au camp de base pour bouffer. Nico a encore pété les plombs en nombre de plats. La matinée a quand même été fatigante et on se jette dessus comme des affamés.

Après un petit repos à lire dans les hamacs et à jouer avec les singes, on repart en barque vers 14h. Objectif : aller nager avec les dauphins roses ! Wilfredo stoppe l’embarcation au milieu d’une sorte de cuvette élargissant le fleuve, où on a vu de nombreux dauphins la veille. On est d’abord trois à se baigner : Iain (prononcer « Yen »), Yohanna et moi-même, avant d’être rejoint plus tard par Christina et Diego. Il faut dire que se baigner dans des eaux totalement marron de boue et dans lesquels nagent piranhas et caïmans n’a rien de très excitant au premier abord !

Plusieurs reptiles nous regardent de la rive. A un endroit, mes pieds touchent quelque chose de visqueux et je hurle : c’est en fait seulement le fond, recouvert d’une couche gluante de dépôts divers. Et puis il y a les dauphins, qui apparaissent à intervalle varié, sautant et replongeant dans l’eau, pas très loin de nous. Il y en a beaucoup moins que la veille, mais il y en a. Wilfredo nous dit qu’aucun animal n’attaque les baigneurs tant qu’ils sont entourés de dauphins. Merci les gars.

Le soleil est maintenant seul dans un ciel totalement découvert, il fait chaud et on sèche rapidement. On revient un peu sur nos pas pour prendre un bras du fleuve et s’y arrêter. C’est l’heure de la pêche aux piranhas ! Wilfredo nous montre comment pêcher au fil, en accrochant des morceaux de viande crue au bout d’un hameçon et en tirant fort et au bon moment. Le truc est flippant : à peine les morceaux de viande immergés dans l’eau, ils se font immédiatement engloutir par ces poissons carnivores. Je repense au fait que j’étais moi aussi dans l’eau, à quelques dizaines de mètres de là. Gloups. Après un peu d’entraînement je m’avère être un pêcheur pas complètement naze. Mais je n’attrape presque que des petits piranhas, les jaunes. J’ai pitié, trop petits, je les rejette à l’eau. Je pêche plusieurs petites sardines aussi. Me semblant qu’elles n’ont pas encore embrassé leur destin, je leur rends aussi leur liberté. En fait je me sens incapable de tuer un poisson, c’est nul. Finalement je choppe un piranha jaune. Je prends mon courage à deux mains pour l’assommer contre le rebord du bateau. Il bouge encore. Je m’y reprends à dix fois, et j’ai toujours l’impression que le poisson est en vie. Je le tambourine encore plusieurs fois de toutes mes forces. Là je crois qu’il a son compte, mais je suis tremblant. Wilfredo me dit très justement : « si tu ne veux pas tuer les poissons, il ne faut pas pêcher ». Je m’en souviendrai. On a finalement 4 piranhas pour le dîner, un jaune (le mien) et trois rouges (pêchés par Wilfredo et Diego). Alice en a eu marre au bout de quelques minutes après avoir fait choux blanc, mais je lui soupçonne un peu moins de manières que moi si elle avait eu à tuer une de ces pauvres bestioles carnivores.

On est de retour vers 17h30. Encore un temps de repos. Les petits singes du coin sont maintenant nos potes. Alice veut absolument en ramener un, je prie pour qu’elle n’y arrive pas, tout en lui disant le contraire bien sûr. Le coucher de soleil est encore un grand moment. Les musiciens, couchés dans des hamacs, jouent et chantent une version espagnole d’ « Imagine » de John Lennon, alors qu’une bonne bière fraîche coule dans nos gosiers et que le soleil rouge embrase la Pampa.

Le dîner est exagéré, les plats sont innombrables et délicieux, pour tous les goûts. Les piranhas grillés arrivent en dernier, comme un trophée. Et puis Nico a fait un gâteau, c’est l’anniversaire de Taby, l’une des australiennes, qui a 27 ans aujourd’hui. Les gars de l’agence ont capté le truc sur la fiche d’inscription et lui ont préparé une surprise. Sympa. La discussion tourne voyage, itinéraires des uns et des autres, anecdotes loufoques et plus grandes incompréhensions sur la route.

Vers 20h, il fait nuit noire. Wilfredo nous propose de faire un dernier tour sur le fleuve pour observer la luminosité des yeux de caïmans dans la nuit. Ok ! On n’allume pas le moteur, on se laisse glisser par le courant en écoutant les bruits de la pampa et en éclairant les rebords à l’aide de nos lampes de poche. Les yeux des caïmans et des alligators réfléchissent la lumière de nos torches en de petits scintillements rouges. On en dénombre une centaine, qui se reflètent parfois eux même dans l’eau. La balade est vraiment reposante, et on a l’impression de découvrir une autre facette du fleuve. Le retour, contre courant, se fait avec le moteur, et on revoit tous les yeux rouges filer à toute allure à droite comme à gauche. De retour, on ne fait pas long feu avant de s’éteindre.

Mercredi 26 août - Pampa / Dia 3

J’ai très mal dormi, fais d’affreux cauchemars. Mes enfants (?) étaient devenus méconnaissables, avaient vendu leur âme au diable ou quelque chose comme ça. Je les regardais dans les yeux sans les reconnaitre, et ça m’emplissais d’une peur infinie. Réveillé en pleine nuit, remplie de tous les bruits étranges de la nuit, je n’ai même pas eu le courage d’aller aux toilettes. Le réveil à 7h m’apparait presque comme une délivrance.

Après un dernier petit déjeuner ultra copieux, on embarque une fois encore sur le fleuve. Cette fois, on va plus loin qu’on n’est jamais allé, à une allure pourtant très cool, et on prend le temps d’admirer le paysage et la faune, en perpétuelle évolution. On retrouve un tas d’animaux déjà aperçus, mais d’autres encore. En regardant bien dans les arbres, on aperçoit des perroquets aux couleurs rouges vives, qui nous racontent on ne sait quoi (surement des conneries), et puis des petits colibris (enfin on croit). Le soleil est au rendez-vous aujourd’hui, et les tortues sont toutes de sortie, les unes sur les autres (dans des positions très moyennement catholiques), par dizaines à chaque fois. Certaines d’entre elles plongent dans l’eau en nous voyant arriver, alors que les autres nous lancent des regards d’un vide absolu. Des aigles tournoient au dessus de nous, se posant parfois dans les branches d’un arbre. A un endroit du fleuve, sans doute plus profond, on se retrouve littéralement entouré de dauphins roses, qui ne cessent de sauter autour du bateau. On a vraiment l’impression d’être dans un autre pays avec Alice, dans un autre voyage. Il y a quelques jours à peine on se caillait sur des volcans à 5000m d’altitude, et là on est dans la jungle amazonienne avec des dauphins et on crève de chaud. Hallucinant. On a du mal a se dire que le voyage touche à sa fin aussi, et on profite de tous ces instants au maximum, conscients qu’ils sont précieux et qu’ils resteront.

De retour à 10h30 au camp de base, on fait nos sacs pour le départ et… on mange à 10h45 ! C’est de la folie, je n’ai jamais mangé autant. Je crois que pour la première fois en voyage je risque de rentrer avec quelques kilos en plus ! C’était pas vraiment le but, mais la nourriture est tellement bonne ici qu’il est difficile de dire non. Wilfredo est de plus en plus antipathique avec le temps, se fout un peu de notre gueule ouvertement, nous engueule si quelqu’un n’a pas entendu une consigne qu’il a dit en murmurant avec le moteur allumé… personne dans le groupe n’est très fan. Nico par contre (le cuistot) a bien mérité un pourboire !

A midi, on est sur le bateau pour le chemin retour jusqu’à Santa Rosa. Dans le sens du courant, on ne met qu’une heure et quart pour faire le trajet, en plein cagnard. Moi, comme un con, j’ai fait péter le t-shirt et n’ai pas jugé opportun de m’enduire de crème… je m’en mordrai les doigts le soir même. On repart en jeep vers 14h, pour 3 bonnes heures de route de Santa Rosa à Rurre. Toujours aussi pourrie, la route a toutefois séchée. Ca ne nous empêche pas de crever une fois de plus. La routine quoi. A 30 minutes de l’arrivée, Christina se rend soudain compte qu’elle a oublié sa sacoche avec tous ses papiers et son pognon lors de la pause précédente, à 30 minutes de route également. On insiste tous pour y retourner, mais Wilfredo et le chauffeur nous font comprendre qu’ils n’ont pas que ça à faire, qu’il faut faire attention à ses affaires. Pas cool. Du coup je prête 300 Bs à Diego, qui parvient à stopper un motard acceptant de faire l’aller-retour avec lui. J’ai l’impression d’avoir eu tellement de galères de ce genre dans ma vie que la vivre comme simple observateur me semble presque irréel. Si je pousse un peu, avec le recul de ce jour où j’écris ces lignes, j’ai presque un début de pointe de jalousie ! Mais mieux vaut ne pas pousser ;-)

Retour à Rurre. La meuf présente dans le bureau de l’agence n’a pas la clé permettant d’ouvrir le tiroir dans lequel on a laissé nos passeports, on devra repasser. Retour au Curichal, le vieux est définitivement cool. Bonne douche et repos. On voit un papillon géant. Christina me rend l’argent prêté, tout roule. On retourne à « Dolphin Travel » vers 19h, nos passeports nous sont rendus. On voit avec elle s’il est possible d’aller faire un tour dans la jungle le lendemain matin, histoire de profiter jusqu’au bout, et vu que notre vol est à 16h20. Elle nous dit que oui, on organise tout, et puis soudain elle se rappelle qu’elle a entendu que le vol de la TAM serait annulé le lendemain. Elle passe un coup de fil et confirme : on ne pourra rentrer par ce vol. On avait prévu une légère marge pour être sûr d’être à La Paz à temps et pour y faire des emplettes, mais c’est quand même préoccupant. Elle nous dit qu’on peut se faire rembourser en cas d’annulation, et qu’on peut prendre un vol d’une autre compagnie, AmasZonas. Elle passe encore des coups de fil, il reste bien de la place pour le lendemain, à 13h. On annule la jungle, ça va faire short. Elle nous dit de revenir la voir vers 8h, à l’heure d’ouverture des agences, pour nous aider à gérer tout ça. Super gentille la madame. Pas comme la majorité des habitants de la ville, qui répondent à peine à nos questions et qu’on a l’impression d’emmerder au plus haut point, beaucoup moins tranquilles que dans les hauteurs de l’altiplano.

Remis de ces changements de dernière minute, on va manger une bonne pizza (de la bouffe de gringo) au « Monkey bar ». Ambiance feutrée, bougies et Smashing Pumpkins (décidément). L’appel du lit prend le pas sur les autres options qui s’offrent à nous. J’ai des coups de soleil partout, ça brûle.

Jeudi 27 août

On se lève pour filer à « Dolphins Travel » et régler définitivement nos histoires de vols. La madame nous accompagne au bureau de la TAM. Ca ouvre juste, personne n’est compétent, le gars regarde nos billets et nous dit d’aller au bureau central de La Paz pour procéder au remboursement. Bon. Le bureau d’AmasZonas est plus spacieux, plus pro, presque tout le monde passe par cette compagnie. La meuf nous dit qu’il n’y a plus de place pour 13h, mais qu’il y en a pour… 9h30, décollage dans 1h20 ! On commence par dire ok, avant de se rappeler qu’on a du linge à la laverie, qui ne sera prêt qu’à 11h ! On hésite à prendre un vol le lendemain matin, et puis finalement il reste 2 places dans celui de 11h30, ça nous laisse plus de temps, on accepte de suite. Les billets en poche, on court à la laverie en demandant s’ils peuvent se dépêcher, ils nous répondent que tout sera prêt pour 9h30. Parfait. Pffff, que de rebondissements, on a bien mérité un bon petit déj dans un établissement à la cool.

On rentre à l’hôtel chercher nos affaires, dire au revoir à la petite famille, on va chercher notre linge tout propre, et nous voilà à l’heure pour prendre le bus en direction de l’aéroport. Le vol n’est pas à l’heure, lui, et on attend un bon moment que l’avion atterrisse et que les voyageurs sortent pour pouvoir y rentrer à notre tour. Il n’y a qu’un avion qui fait 5 allers-retours par jour entre Rurre et La Paz ! La gestion à l’aéroport est au moins aussi roots qu’à La Paz, pesée à un endroit, retrait des cartes d’embarquement ailleurs, règlement d’une taxe d’aéroports « spécial touristes » à un troisième guichet. On nous appelle dehors pour rejoindre l’avion sans passer par la porte d’embarquement (ils doivent avoir perdu la clé du cadenas).

L’avion est minuscule, beaucoup plus petit que celui de la TAM. 19 places passagers seulement ! Je n’ai jamais pris un avion « de ligne » aussi rikiki. La porte menant au cockpit n’est pas fermée. L’avion décolle après une accélération très rapide sur la courte piste herbeuse. Ca fait quand même peur. D’en haut le spectacle du paysage est toujours aussi beau, mais les secousses se font beaucoup plus sentir, surtout arrivé en fin de parcours, l’avion étant en proie aux bourrasques de l’altiplano. L’arrivée est assez remuante, ça secoue dans tous les sens, on est content d’avoir atterri. A côté de nous, un gars est totalement en nage, dégouline de ce qu’on pense avoir été une grosse frayeur. On récupère nos affaires et on fonce dans un micro à destination du centre ville.

Juste avant d’arriver place San Fransisco, Alice aperçoit Marc sur le trottoir, notre pote montagnard du sud-ouest qu’on avait laissé prêt de la frontière chilienne ! On sort du véhicule et on court dans sa direction, mais en vain, il a déjà été absorbé par la foule se pressant dans les rues aux allures de marché. On retourne donc à notre QG de La Paz, l’hostal Sagarnaga. Les gars nous reconnaissent et nous parlent en français. On se sent un peu chez nous ici. On va se manger un petit en-cas et d’obligatoires « platano con leche » au Pepe’s bar. De retour à l’hôtel, Alice sombre dans une bonne sieste pendant que je profite du Wi-Fi dans la chambre (yeah !) pour regarder mes mails en retard, y répondre, me rencarder sur les actualités françaises, internationales et musicales, uploader de nouvelles photos sur Facebook… glander sur la toile, comme ça ne m’ai pas arrivé depuis longtemps.

Je finis par aller au bureau de la TAM pour le remboursement des billets. Je poireaute super longtemps avant qu’un gars s’occupe de moi et me dise qu’il ne peut rien faire sans Alice, on doit être tous les deux présents. Ok, on verra ça demain. Au réveil d’Alice, on va dîner dans notre resto préféré « The Colonial Pot », on a nos petites habitudes ici. Elle commande un hachis Parmentier pendant que je me régale d’un filet de lama, rosé, absolument délicieux, accompagné d’une sauce aux champignons, d’une bonne purée maison et d’un peu de riz. Le riz, c’est parce que mes intestins ont fini par succomber (au moins en partie) à la bouffe locale. Et Alice n’est pas au top non plu. Mais bon, on a quand même bien tenu, hein. On va se coucher totalement repus.

Vendredi 28 août

On se lève vers 8h après une bonne nuit de sommeil. Après un bon petit déj au Pepe’s bar, direction le bureau de la TAM (on va y arriver). Le gars de la veille nous fait encore patienter devant une télé qui diffuse des clips géniaux. On voit enfin le clip du tube de l’été d’Amérique du Sud, qu’on a entendu partout, aussi bien au Pérou qu’en Bolivie, et qui fait un truc comme « One, two, three, four, un, dos, tres, quatro, RUMBA ». Une tuerie qui laisse des traces dans la tête. Le clip montre plein de meufs à moitié nues remuant leur cul, évidement. On apprend que le chanteur s’appelle « Pitbull ». Classe. Dans un autre style, « Fey », mélange de Lorie et de Kylie Minogue, elle est aussi tout à fait recommandable. Quand il a finit de remplir des tas de paperasses, le type nous en fait signer plein aussi, et nous assure que l’argent sera directement reversé sur le compte d’Alice. Ca, c’est fait.

On retourne faire un tour en ville, bien décidés à acheter quelques souvenirs ou petits cadeaux dans les ruelles marchandes autour de l’hôtel. On passe la majeure partie de la journée posé au Banais Café pour lire et écrire, et à arpenter les rues pour faire des achats. On a promis à Plak qu’on lui ramènerait un fœtus de lama… maintenant il faut que les douanes le laissent passer ! Alice tombe amoureuse d’une boutique de fringues tenue par un français (né à l’hôtel Dieu à Lyon !), « Gitano Urbano », qui fait des habits à la fois traditionnels et complètement dans l’air du temps, découpés classe. Il nous explique plein de trucs sur la laine d’alpaca. Alice repart avec un sac bien rempli ! Il nous conseille d’aller le déposer à l’hôtel sans trainer, un commerçant s’étant fait tuer par une barre en fer dans le cou la veille au soir, à l’angle de la rue ! Hum, ok.

On est actuellement au Banais Café ou Alice vient de finir « Des souris et des hommes » de Steinbeck, et d’où j’écris ces dernières lignes.

Notre avion décolle demain matin à 6h55 de l’aéroport « El Alto » de La Paz. Pour Lyon. Via Miami et Londres. Là, ça sent vraiment la fin.

Vendredi 28 aoûtLa Paz / 20h02

23 août 2009

Mines du Diable & Farniente

Dimanche 23 aoûtLa Paz

Ca y est, le retard est rattrapé ! Et en plus j’ai eu le temps de mettre pas mal de photos en ligne sur Facebook. Je les mets au fur et à mesure, c’est un peu long. C’est ICI. On va complètement changer d’environnement pendant les 4 prochains jours : au milieu des anacondas, des piranhas et des caïmans, dans la moiteur étouffante d’une jungle hostile. Hum. En attendant voici le récit de ces 5 derniers jours, entre l’horreur des mines de Potosi et la sérénité de la ville de Sucre.

Mardi 18 août

La route entre Uyuni et Potosi est en train d’être refaite entièrement en goudron (Evo ?). Après 5h de routes caillouteuses et en lacets entre les montagnes, la dernière heure est donc beaucoup plus rapide. On a juste envie de taper les cons de français qui gueulent pour un rien et qui donnent des bonbons à tous les enfants qui passent en se prenant pour les sauveurs du pays.

A 16h30, taxi pour le centre ville de Potosi à la recherche d’un hôtel pas cher et sympa (comme d’hab). L’hostal Maria Victoria devrait convenir, avec ses chambres entourant un petit patio extérieur bien agréable. Délestés de nos grosses affaires, petite promenade en ville. La ville est, un peu comme La Paz, entièrement en pente, dans tous les sens. On a vite le sentiment d’une ville pleine de contrastes. D’un côté, elle semble grande, peuplée, branchée, moderne, avec des tas d’étudiants sillonnant les rues (dans leurs costumes scolaires ou habillés djeuns), plein de librairies, de cafés, de boutiques ouvertes tard. Et de l’autre côté, on sent une ville indissociable de son histoire, avec son architecture assez coloniale, ses dizaines d’églises catholiques dans tous les sens, et surtout le « cerro rico » visible où que l’on se trouve, la fameuse montagne au pied de laquelle fût érigée la ville pour les inépuisables réserves d’argents et autre minéraux qu’elle contenait. Le spectre de la montagne confère à la ville, qu’on le veuille ou non, une ambiance très spéciale. La population a beau être en grande partie passée à autre chose, la montagne reste là, immense, rougeoyante, forte de ses 5 siècles de travail minier et de ses 8 millions de morts. Etrange présence.

On visite la cathédrale de la plaza 10 de Noviembre, centrale. On est seul, un guide nous accompagne et nous explique les tableaux de l’époque coloniale, les retables, les médaillons à la gloire de Marie, l’orgue (orphelin depuis peu du seul « maitre » savant en jouer !), tout le tralala. Tout en haut d’un des clochers (renfermant 5 cloches immenses), on a un aperçu de toute la ville, qui déborde en grimpant sur toutes les montagnes adjacentes. On voit les très nombreux clochers d’églises, les couvents, les ruelles qui serpentent, les places, vertes et bien entretenues, et bien sûr le cerro rico, toujours, régnant sur les lieux.

On se pose dans le café « La Plata » pour boire un bon lait au miel, et puis on traverse la rue pour s’attabler au resto « El Meson », au cadre romantique et précieux, mais aux plats tue-l’amour et précieux (lire chers). Même la viande de lama y est moins bonne que celle préparée par Edgar ! On va se coucher pas trop tard, après que j’ai réservé un tour à l’intérieur de la mine le lendemain matin. Alice, un peu claustro et n’ayant pas du tout envie de vivre cette expérience, fera la grasse mat !

Mercredi 19 août

Je me lève un peu tôt, laissant Alice à ses rêves, pour prendre le petit déjeuner peinard à l’hôtel. Ni copieux ni bon (café pisseux, pas de jus de fruit, pain réchauffé et sec), mais ça cale quand même un peu. Dans l’entrée, la télé est toujours allumée, que quelqu’un la regarde ou non. Principalement sur le tennis (Masters de Cincinnati). Cette fois c’est les infos boliviennes, pas cadré, aucun reportage et son digne d’un caméscope des années 80. Ca parle de la grippe A bien sûr, et puis d’une manifestation bloquant tout passage de véhicule entre Potosi et Sucre, depuis deux jours. On doit se rendre à Sucre le lendemain…

Je suis le seul inscrit pour aller voir les mines. Une meuf pas très communicative se pointe et me demande de la suivre. Elle trouve quelqu’un d’autre pour partir avec moi, un allemand dreadeux, venant d’un autre hôtel, et elle nous lâche dans un « micro » (petits bus publics qui sillonnent la ville dans tous les sens). On croit d’abord devoir se débrouiller, avant qu’une femme nous dise de sortir un peu plus loin. Petite, trapue, 40 ans environ, elle se présente comme notre guide et nous emmène d’abord au marché pour acheter des sacs de feuilles de coca et des sodas à offrir aux mineurs. Et puis avec Schultz (je me rappelle plus son prénom, mais « Schultz » a un bon potentiel comique), on achète un bâton de dynamite, histoire de voir comment ça marche. Et surtout parce qu’on est des garçons, on aime bien les explosions.

Roberta (c’est vraiment son prénom) nous emmène ensuite dans un garage pour se changer : imper jaune complet, bottes, casque et lampe avec recharge accrochée dans le dos. On se retrouve vite dans un autre minibus, mélangé à un autre groupe, en direction du cerro rico.

Arrivé là-bas, on nous fait la démonstration de plusieurs explosions de dynamite. L’autre groupe en a aussi acheté. C’est les guides qui préparent le tout et qui s’en vont allumer la mèche plus loin, dans le paysage désolé qui s’étend devant nous. Ils reviennent vite, et effectivement ça pète fort. Deux grosses déflagrations qui coupent littéralement le souffle. On grimpe ensuite jusqu’à l’entrée de la mine, et on se retrouve à nouveau trois, avec Schultz et Roberta. Des dizaines de wagonnets plus ou moins rouillés sont disposés là, à côté de tas de pierres, et puis quelques mineurs assis en silence, mâchant de la coca en se reposant. Roberta allume nos lampes, on s’engouffre dans le boyau de la mine.

On marche dans une vingtaine de cm de flotte boueuse, et le boyau se rétrécit rapidement, surtout en hauteur. Soudain Roberta a l’air paniquée et repart en arrière en courant ! Grosse peur. En fait elle cherche un endroit ou le tunnel est un peu plus large pour qu’on puisse se coller contre la paroi et laisser un charriot rempli de minerais continuer son chemin sans avoir à freiner à notre approche. Les wagonnets remplis pèsent jusqu’à 2 tonnes et sont extrêmement difficiles à arrêter, surtout en descente. Cette mine, assez « moderne », est sillonnée de rails permettant le transport des minerais. D’autres mines plus petites ne sont équipées que de brouettes. Roberta nous explique que le principal est de ne pas déranger les mineurs en plein travail, de les respecter autant que possible et de les laisser travailler à leur rythme. Le principal sport dans la mine est donc d’être à l’écoute des bruits qui l’animent, et d’être prêt à se plaquer contre la paroi, voire de rebrousser chemin en courant jusqu’à l’embranchement précédant si un charriot se pointe. Ca a un côté assez stressant, sachant que les tunnels sont souvent très étroits, qu’on y marche souvent la tête baissée, voire presque à quatre pattes. Pas très rassurant. Il fait d’abord très froid, mais l’atmosphère se réchauffe a fur et à mesure qu’on s’enfonce dans la mine. Et devient vite irrespirable. De la poussière, des vapeurs de produits plus ou moins toxiques. Heureusement des tuyaux d’air comprimé parcourent la mine et des aérations sont régulièrement ouvertes pour permettre aux tunnels d’être un peu plus respirables.

On arrive devant « El Tio ». El Tio, c’est le diable de la mine, qui protège ou tue les mineurs, selon les croyances locales. Les mineurs sont pour la plupart catholiques et prient Dieu à l’extérieur, mais à l’intérieur c’est le Tio qu’ils vénèrent. Ils font des offrandes régulières aux nombreuses statues à son effigie. Ils disposent des feuilles de coca tout autour, des guirlandes, des clops dans sa bouche, versent de l’alcool (à 96°) sur lui en prononçant son nom et celui de Pacha Mama. Chaque Tio a un gros sexe en érection, les mineurs pensant que s’il copule avec la Pacha Mama (la terre), les mines seront beaucoup plus fertiles en minéraux. Il y a un tas de superstitions ici, il faut faire attention à ne pas froisser les travailleurs (pour certains par exemple, les flash d’appareils photo détruisent les minerais). El Tio décide de tuer les mineurs qui ne l’auraient pas assez adoré, en faisant exploser une dynamite en retard par exemple, au moment ou le mineur revient pour voir le résultat de l’explosion. Faut pas faire le con avec le Tio.

De nombreux charriots remplis passent à côté de nous, poussés et tirés par de jeunes travailleurs. On s’enfonce encore un peu plus bas. On arrive rapidement à des températures avoisinant 35°, on transpire dans nos imper et dans nos casques. On se faufile dans un trou par une vieille échelle branlante, puis en rampant dans un conduit jusqu’à arriver à un cul de sac ou un mineur est en train de faire un trou dans la roche avec une longue tige en fer et un marteau. Il travaille ici depuis 10 ans. Il nous explique que le gros de son travail est de faire des trous de 20 à 30 cm de long, du diamètre d’un bâton de dynamite, pour faire exploser la paroi comme il faut. Il nous montre la roche à sa droite : de la simple pierre. A sa gauche, on voit nettement un filon de minerais brillant (argent et zinc, nous dit-il). Le mineur doit provoquer une explosion faisant s’écrouler la partie gauche mais pas la droite, sinon c’est une journée entière de perdue à nettoyer l’éboulement foireux, et pas de salaire. Ici tous les travailleurs sont payés au résultat, quel que soit la pénibilité de leur travail quotidien. Et la mine n’est plus la source immense de richesse qu’elle était (et qui a abreuvé l’Espagne pendant plusieurs centaines d’années).

Les mineurs travaillent seuls ou à plusieurs, jusqu’à 25 en même temps selon la taille des tunnels et des filons. On passe dans des boyaux qui empestent la poussière d’arsenic (selon Roberta), ça pue et ça fait tousser. Et surtout ça tue à terme ! Les mineurs meurent tous en moyenne après 15 ans passés dans la mine, à cause de ce qu’ils y respirent. Gaz nocifs (dangereuses poches de monoxydes de carbone), produits chimiques… les décès sont principalement dus à la silicose, ou à d’autres problèmes respiratoires. S’ils ne surviennent pas accidentellement auparavant.

A partir du moment où un mineur descend en dessous de 50% de sa capacité respiratoire (certificat médical à l’appui), il a le droit d’arrêter de travailler et touche une pension de 15$ par mois. S’il meure, cette somme continue à être distribuée à sa famille. Ils sont tous au courant du danger, mais pour la plupart ils estiment ne pas avoir le choix de travailler ici, et sont fiers d’être mineurs, de faire ça pour nourrir leur famille. Les conditions de travail sont affreuses. En sortant de la mine après 2h30 à l’intérieur, j’ai déjà l’impression d’être un survivant et d’avoir fait un exploit. Eux y sont pour 20 ans, 8 à 10h par jour. L’un des mineurs m’a dit être déjà resté 32h là dedans, car le travail ne pouvait attendre.

Je rentre tout chamboulé de cette expérience. Les images du travail dans l’antre du diable resteront gravées longtemps dans ma tête. Il est un peu plus de 13h, je retrouve Alice et on va manger un bout en ville. A défaut d’être cher, l’almuerzo du midi (soupe de maïs bien grasse, morceaux de poulet baignant dans le gras et salade de fruit en boîte) dans n’est pas bon non plus. On dépose du linge sale à l’unique laverie de la ville, avant de rentrer dans la Casa de la Moneda, musée sur l’histoire de Potosi, notamment lié à l’histoire de la monnaie frappée ici avec l’argent des mines.

La visite guidée (obligatoire), en français, se fait en compagnie d’une famille de Longueuil (banlieue de Montréal au Québec) et de deux… lyonnais ! Bien sûr je fais la pub pour les concerts Mediatone de la rentrée, je ne peux pas m’empêcher. On traverse des tas de salles dans ce grand bâtiment colonial bien entretenu. Pinacothèque exposant de nombreux tableaux anonymes de l’époque coloniale, montrant notamment les conquistadors s’installant devant le cerro rico et commençant à faire exploiter la mine. On découvre surtout les différents instruments et techniques permettant de frapper la monnaie au cours du temps : à la main, par le travail de chevaux mettant en branle d’immenses mécanismes de bois sur plusieurs étages, puis par le truchement de machines à vapeur, et enfin électriques. Le comble, c’est qu’après avoir été l’un des centres mondiaux de confection de monnaie, Potosi a stoppé toute sa production en 1956, pour faire frapper sa monnaie en France (à Rennes), et imprimer ses billets au Chili (moins cher) ! On voit aussi des momies découvertes dans des églises, et puis des sculptures en argent et des objets de l’époque coloniale. Intéressant.

On passe le reste de la journée à baguenauder dans les rues, dans les marchés, à la recherche d’objet d’art (non, je n’achèterai pas de bijoux !) et de tissus notamment. On a beaucoup de mal à respirer ici, beaucoup plus que dans le sud-ouest où on a été pourtant à des altitudes plus élevées. On s’arrête au Café 4060 (l’altitude de la ville), un établissement décoré, super contemporain, agréable, Andres Calamaro en fond sonore. On en profite pour se manger une bonne pizza au chorizo, et puis des ravioles à la crème, fromage et noix. Top. Je crois qu’on en avait un peu un ras-le-bol de la cuisine locale, du coup on se régale.

Encore une petite promenade pré-nocturne, avant de retourner au Maria Victoria. Le gars de la réception a capté que je m’intéressai au tennis, il m’informe que Federer a gagné son match. Merci.

Jeudi 20 août

Lever vers 9h suivi d’un petit déj peinard. On passe toute la matinée à se balader dans Potosi, à profiter du grand soleil. Retour au Café « La Plata » (l’argent) pour boire un vrai bon double expresso. A côté de nous, un couple de français qui étaient dans le même bus que nous en provenance d’Uyuni, puis déjà dans ce même café la veille, puis dans le même resto que nous plus tard… on finit quand même par se parler. Ils ont le même plan que nous : partir pour Sucre dans l’après-midi. Je leur propose donc de partager un taxi, à peine plus cher et deux fois plus rapide selon le Lonely. Ils sont ok, on grignote un petit en cas, et puis on se donne RV vers notre hôtel. De là on part ensemble prendre un micro jusqu’à la gare routière d’où les taxis partent aussi. Et là on s’aperçoit que les 2 français sont un poil neuneus : ils sont tout excité de prendre un bus local pour la première fois de leur voyage, parlent tout gentiment, tout doucement, avec une bienveillance qui frise le désagréable. On a un peu envie de leur botter le cul. Mais bon ils sont gentils, hein. On trouve tout de suite un taxi, le prix est bien celui prévu, tout roule, c’est parti. Le trajet dure 2h30, pour 200 km environ ! La route de montagne est totalement refaite et le chauffeur trace comme un fou, à 120 km/h en prenant les virages à fond. On a perdu l’habitude de tant de vitesse. Après avoir papoté un peu voyage avec nos compagnons de route culs-bénis, on n’a vite plus rien à se dire et l’ambiance tombe vite dans la contemplation des paysages et l’écoute passionnée de la Lara Fabian bolivienne qui hurle dans le poste.

Le taxi nous laisse sur la Plaza 25 de Mayo, on part vite de notre côté avec Lilice. Rappelons que Sucre est la capitale de la Bolivie (même si le gouvernement est actuellement installé à La Paz). Son nom vient du général d’armée qui a libéré la ville en 1825 sous les ordres de Simon Bolivar, le grand libérateur du joug espagnol, et qui a lui donné son nom au pays. La Bolivie n’a donc pas encore 200 ans. Bolivar n’a en réalité pas libéré que la Bolivie, mais aussi le Vénézuela, la Colombie, le Pérou… il est adulé par toute l’Amérique du Sud pour avoir rendu leur indépendance à de nombreuses populations. Etrangement, il est pourtant mort seul, abandonné de tous, son rêve d’unification de tous les pays libérés (La « Grande Colombie ») ayant réveillé les dissensions internes et s’étant fait écarté de tout type de pouvoir. Il est aujourd’hui porté aux nues, au même titre que Che Gevarra, qui n’a lui non plus eu que très peu de soutien local quand il tenté de monter une guerilla pour renverser le pouvoir ici, comme il l’avait fait à Cuba. C’est d’ailleurs en Bolivie que le Che s’est fait fusillé, près de Santa Cruz, après des mois de vaines luttes armées avec ses quelques compagnons d’infortune.

Sucre est une grande ville qui semble tout de suite très sereine. Le centre ville ne renferme quasiment que de beaux bâtiments coloniaux chaulés, aux jolis toits de tuiles rouges. On croise plein de jeunes branchés dans les rues et les jolies places super bien entretenues. Des rues remplies de bars, de restos, de magasins de fringues ouverts tard la nuit. C’est super agréable de se promener. On voit au loin des sommets, tout autour de la ville. La ville est en fait posée sur de nombreuses petites collines, les rues grimpent et descendent à tour de rôle. De très nombreuses églises là aussi. Et puis des centaines de cabinets dentaires et de cabinets d’avocats !! On ne voit que ça. Il y a certaines rues avec 5 dentistes et 5 bureaux de conseils judiciaires côte à côte ! A priori les avocats s’occupent en particulier de problèmes du genre « qui a découvert le bon filon en premier dans la mine », et les dentistes… ben c’est vrai qu’à ce niveau là ya du boulot, ils ont quand même tous les ratiches bien pourries. Il y a plus de personnes habillés à l’occidentale ici, même si on continue à croiser très régulièrement des femmes en habit traditionnel avec leurs tresses et leur tissu multicolore dans le dos, contenant babioles, légumes ou enfants, c’est selon.

On se trouve un petit hôtel sympa, le « Veracruz », avec une chambre avec télé (je pourrai mater le tennis discrètement). On passe la fin d’aprèm à gérer la suite du voyage : on s’achète deux allers-retour La Paz-Rurrenabaque, on a décidé de terminer le trip par une touche de forêt amazonienne, et le bus est fortement déconseillé pour s’y rendre (la route est connue pour être « la plus périlleuse du monde » !). L’avion a un prix super raisonnable par ailleurs. Et puis on va s’acheter notre ticket de bus Sucre-La Paz, deux jours plus tard. On peut maintenant se la jouer tranquille à Sucre, profiter de la sérénité de la capitale. On se pose au « Joy Ride café », près de la place principale. Ambiance pub branché, musique rock ‘n roll, grosses platées de viandes et de frites à la sauce piquante, cannellonis et bonne bière. Royal.

De retour à l’hôtel, Nadal mettre sa pâtée à Mathieu, et puis on s’enfile plusieurs épisodes de « Damages » dans le lit. Est-on encore en Bolivie ?

Vendredi 21 août

Enfin une vraie grasse mat. On rouille un peu dans le lit, on prend le temps pour une fois, on est bien. A la télé, Benneteau est en train de battre Murray. J’apprendrai plus tard dans la journée qu’il s’est finalement pris une raclée. On arrive au Joy Ride Café vers 11h30, et on se prend un petit déjeuner 4 étoiles : une grosse de grosse omelette sur pain grillé avec oeufs, jambon, fromage, oignon, tomate. (ils appellent ça des « œufs contre la gueule de bois » !), et puis Alice prend des pancakes au sirop d’érable et un grand bol de cruesli & fruits frais au yaourt. On est calé pour la journée.

Balade dans la ville. On grimpe jusqu’à un point de vue sur toute la ville. On voit bien toutes les collines sur lesquelles s’étend la cité, tous ses bâtiments blancs type coloniaux, et ses clochers qui surgissent de partout. Il fait au moins 25°, gros soleil, on est en t-shirt. Petite bière (la « Huari », dont l’étiquette montre fièrement qu’elle a été médaille d’or en… 1977 !) avachi dans des chaises longues sur une terrasse extérieure, « Radio Gaga » de Queen dans les oreilles. On retrouve un couple de français qui faisait partie du groupe rencontré en début de voyage, sur le bateau nous menant à l’Isla de Sol. Ils ont principalement fait des treks tout autour de La Paz et s’en vont maintenant vers Potosi et Uyuni, on se raconte, ils sont très sympas.

On va ensuite faire un tour au musée de la Recolata, en fait un joli couvent franciscain aux quatre patios fleuris (style andalou), contenant pas mal de tableaux et d’objets d’époque. On y voit aussi un cèdre millénaire, absolument énorme (le tronc doit faire la largeur de 6 hommes costauds côte à côte), et puis une plaque qui commémore l’endroit exact ou Pedro Blanco, troisième président de la Bolivie (et premier bolivien), s’est fait assassiné par un coup de fusil en 1829, alors qu’il se promenait peinard prêt du toit.

En redescendant en direction du centre, on s’arrête visiter le musée des Arts Indigènes. Super intéressant, on y apprend beaucoup sur les traditions artisanales, textiles, musicales et festives de plusieurs minorités indigènes provenant des villages tout autour de Sucre, notamment les Jalq’a et les Tarabuco. Le plus fascinant est l’évolution des motifs (animaux fantastiques entrecroisés en rouge et noir chez les Jalq’a, petites scènes de la vie de tous les jours démultipliées et muticolores chez les Tarabuco) et des techniques de tissage à travers le temps, jusqu’à nos jours. Etonnamment, ces minorités ne cessent de perfectionner leur technique et un progrès énorme a été fait depuis les années 80, notamment grâce au regroupement des meilleurs tisserands en coopératives bien organisées et payant correctement le difficile travail accompli.

On rejoint notre « base » (le Joy Ride café) vers 19h. En montant à l’étage, on rejoint une salle de projection dans laquelle un film est diffusé chaque soir. Ce soir, c’est « The Devil’s Miner », un reportage sur un garçon de 14 ans, sans père, travaillant dans les mines de Potosi depuis 4 ans pour subsister aux besoins de sa famille (un frère et une sœur, plus petits), et tentant de suivre en même temps un cursus scolaire pour se donner une chance d’en sortir un jour. C’est un film très dur évidemment, que j’aurai tendance à conseiller à ceux qui souhaitent s’intéresser de plus près aux conditions de travail dans cette « Mine du Diable ».

On mange deux platées de pâtes avant d’aller se coucher. En demi-finale de Cincinnati, ça sera Federer - Murray et Nadal – Djokovic. Tout est normal. On termine la saison 1 de « Damages ». Totalement chanmé cette série.

Samedi 22 août

Après un petit déjeuner copieux (le même que la veille) au Joy Ride Café (décidément notre QG de Sucre), on repart se balader en ville. Il fait toujours aussi beau, aussi chaud. Par contre tout est fermé, à partir du samedi après-midi c’est vraiment une ambiance week-end. On chemine un peu plus dans l’ouest de la ville, on traverse un grand parc bien vert, avec une sorte de mini tour Eiffel au centre, et puis des petits cours d’eau, et puis un grand parc pour enfants. De très nombreuses familles sont là, à bouffer des glaces et des bonbons (les adultes) et à faire des tours de mille pattes et de grandes roues (les adultes et les enfants). On flâne dans les différentes boutiques d’artisanat (après le musée, on a l’impression de s’y connaitre grave), et puis je me rachète des lunettes de soleil (oui bon, je les ai encore perdues). Des « Diesel » cette fois.

Après ce grand tour, on se repose un moment au Joy Ride Café pour un moment de détente lecture / écriture, avant d’aller rechercher nos « mochillas » à l’hôtel, de prendre un micro jusqu’au « terminal terrestre » et d’embarquer dans le grand bus « El Dorado » en direction de La Paz, une fois de plus. Cette fois on a bien regardé toutes les offres, et on a pris un bus la classe, « cama » pour de vrai, chauffé, tout ça. C’est le top du confort, pour le même prix que les autres compagnies (ça paraitrait presque louche). On a la place, on peut coucher le siège presque en vertical. Et on dort plutôt bien.

Dimanche 23 août

Arrivée à La Paz à 7h du matin, comme prévu, après 12h de trajet sur une route parfaite. On se réveille au niveau del Alto, et on profite une fois de plus d’une vue éblouissante sur la ville en contrebas, avant de s’y engouffrer et de stopper à la gare routière. On marche jusqu’au café Banais, à côté de la place San Fransisco, ou on se pose pour petit déjeuner, lire, écrire. La finale de Cincinnati opposera Federer à Djokovic, qui a battu Nadal. Haha. Discussion msn entre La Paz et Hong Kong avec Claire (avec 12h de décalage horaire !), ça fait trop plaisir d’avoir de ses nouvelles. Alice est en train de finir le deuxième tome du Trône de Fer (à conseiller à tous ceux qui n’ont pas lu), elle est à fond dedans. On profite du temps qui nous reste avant de prendre l’avion cet après-midi en direction de Rurrenabaque, à une heure de vol au nord, en plein bassin amazonien. Retour à La Paz (en avion aussi) prévu le 27 août… suivi assez vite du vrai retour en France. Ca passe vite ces conneries.

Dimanche 23 aoûtLa Paz / 10h02

20 août 2009

Desert de sel, lagunes et geysers volcaniques

Jeudi 20 août - Potosi

Ca y est, j’ai pris un peu de retard. On est déjà à Potosi, et à quelques heures de Sucre, la véritable capitale du pays, où nous logerons ce soir. Et voici enfin livrées nos aventures vécues dans le sud-ouest bolivien. Des paysages désertiques et hors-du temps, des rencontres géniales, les quelques jours les plus envoutants de notre voyage pour l’instant ! Lisez plutôt…

Jeudi 13 août.
Le bus de nuit arrive à Uyuni à 6h du matin, au lieu des 7h prévues (pour une fois c’est dans l’autre sens). On est frigorifié, on n’a quasiment pas fermé l’œil. Le bus (semi-cama) n’était pas si inconfortable, mais la route tellement pourrie (surtout la dernière partie avec seulement des pistes terreuses et cahoteuses), l’habitacle tellement froid (les vitres sont complètement givrées à l’arrivée, il doit faire quelques degrés en dessous de 0), et l’odeur tellement immonde (un délicieux parfum de putrescence parfumait le véhicule) qu’on est pas aussi frais que prévu. Il est tôt, tout est fermé, il fait glacial. On cherche un hôtel recommandé par le Lonely, sans grand succès. On finit par rentrer dans un petit hôtel un peu pourri mais ouvert, central et pas cher. La chambre est froide (pas chaleureuse) et froide (pas chaude), ça ne nous empêche pas de nous glisser dans nos sacs de couchage sous les couvertures, et de dormir les quelques heures qui nous manquent pour reprendre pieds.

Au réveil on est encore un peu assommé, on a encore eu froid dans cette chambre humide sans le moindre pet de soleil. Dehors, par contre, c’est le gros beau temps, avec un ciel très bleu et un soleil très jaune (lire qui cogne). Depuis notre arrivée en Bolivie, on n’a quasiment pas vu l’ombre d’un nuage à l’horizon, alors qu’au Pérou on n’a pas eu un jour sans nuages sombres, voire un peu de pluie. Dès le passage de frontière vers Copacabana, les nuages se sont totalement éclipsés !

On commence à avoir faim. On se pose dans l’un des nombreux restos de la place principale, à l’étage, où on commande des plats et des boissons. Les boissons arrivent, les plats non. L’attente se fait pesante, mon estomac crie. La télé est à fond, et la radio aussi, en même temps ! Des infos sur le meurtre d’un policier à la télé, suivi de musique folklorique andine, pendant que la radio diffuse du Nirvana et du Smashing Pumpkins ! Au boût de 45 minutes je demande à la meuf ce qui se passe, elle me répond « La cuenta ? » (l’addition ?). Elle avait oublié notre commande de bouffe. On la reprend, il n’y a plus ce qu’on voulait. On termine avec deux plats de spaghettis bien gras et bien pas bons qu’on s’enfile vite fait, pas bien contents.

Le café en terrasse qui suit est plus sympa. Des chansons en français sont diffusées à fond, aucune idée de ce que ça peut être. Le gars nous assure que c’est du Manu Chao, moi je suis sûr que non. Ca chante avec l’accent gouailleur parigot, des chansons aux refrains bien français : « Les chiens ont soif les pigeons volent », « Dans mon jardin », « La valse à 5 temps » ou encore « Francine et Ginette ». Ma théorie : un touriste faisant des chansons dans sa cave lui a filé son CD, et il doit être loin de se douter que sa musique passe toute la journée (en boucle, à chaque fois qu’on repasse) sur la place d’Uyuni en Bolivie !

On passe ensuite un bon moment à essayer d’organiser notre tour du sud ouest. La petite ville regorge d’agences de voyages, on ne sait pas laquelle choisir. Toutes proposent exactement les mêmes tours (selon le nombre de jours souhaités), aux mêmes prix. Malheureusement, peu de voyageurs partent pour 4 jours (ce qu’on souhaite faire), et on est sûr de partir que si le 4x4 est plein (6 passagers). On demande au hasard à des « backpackers » dans la rue pour organiser un truc ensemble, sans succès.

La ville a un peu une allure de bout du monde, un peu western, avec plusieurs grandes rues qui se croisent perpendiculairement, des petits bâtiments couleur terre et le soleil, toujours le soleil. L’une des rues est transformée en marché. On s’y achète des gants en laine, un collant chaud pour moi… les nuits ici sont assez inhospitalières. Et puis on voit l’église. On a le contact d’un prêtre français qui officie dans la paroisse d’Uyuni ! C’est « padre pedro », un ami d’Ulla (elle-même amie de la famille d’Alice vivant en haute-Savoie), qui nous a filé ce contact. Il a lui-même officié en temps que prêtre à Potosi pendant 20 ans. A la réception de la paroisse, on demande Jacques Chenal. Il nous accueille dans un petit salon, très sympa, 45 ans environ, pas trop l’air d’un prêtre (ça aide). On boit une tisane en parlant de la Bolivie, de notre voyage, de son travail ici. Ils sont trois prêtres à vivre dans la paroisse, il nous raconte les différences avec la France, les journées cool, l’absence d’agenda nécessaire, les approximations dans les horaires des transports publics,… il a l’air bien tranquille ici. Il nous parle aussi des mélanges naturels entre les croyances des boliviens : ils sont tous immergés de traditions andines, vénèrent la terre de Pacha Mama, tout en allant naturellement à l’église et priant le Christ et la vierge Marie (qu’ils confondent avec Pacha Mama du coup). Ils nous parle du mode de vie ici, nous conseille sur le tour qu’on s’apprête à faire. Du coup il va être 18h et on doit prendre une décision, on ressort en direction de Blue Line Service, une agence qui nous tente.

Là-bas on nous dit de laisser tomber, personne ne s’est inscrit pour le circuit de 4 jours. En sortant, on croise un couple d’espagnols (basques) exactement dans notre cas, qui a passé la journée à chercher un tour de quatre jours pour le lendemain ! On s’inscrit ensemble, il ne reste que 2 personnes à trouver avant le lendemain matin 10h, et l’agence semble convaincue d’y parvenir. Soulagé, on retourne voir Jacques dons son salon paroissial.

Cette fois la discussion tourne politique. Je lui pose pas mal de questions sur Evo Morales, si les boliviens continuent de le suivre, qu’est ce que son élection a véritablement changé en Bolivie. Rappelons que Morales est le premier « indigène » à avoir été élu président de Bolivie, avec le soutien de tous les paysans et de toutes les minorités d’origine indienne, qui sont très fiers d’avoir l’un d’entre eux à leur tête. Il dirige le MAS (Movimiento por Socialismo), parti de gauche, très lié à Hugo Chavez au Venezuela. En arrivant ici, j’ai l’image d’un pays progressant grâce à lui, luttant avec tous les pays du « MercoSur » contre la main-mise des Etats-Unis sur l’Amerique latine, donnant des perspectives sociales fortes, ayant nationalisé les hydrocarbures, poussant le syndicalisme, luttant contre les corruptions des régimes précédant, proche du peuple. Bref, j’idéalise un peu le personnage et sa politique. Jacques nous dépeint un tableau beaucoup plus nuancé de la situation : télé d’état à la seule gloire du président, interdiction d’exercer aux journalistes opposants, corruption avérée de tous ses proches, ratification d’une nouvelle constitution sans aucune discussion, rien qui change dans la vie des boliviens au quotidien, aucune décision sociale forte. Les routes restent en piteux état, l’éducation et la santé n’ont toujours pas de bonnes infrastructures, les familles doivent tout payer. Il a mis en place des « bons », argent distribué aux écoliers, aux vieux, à tel corps de métier, mais sans réelle vision sociale forte, selon lui. En allant plus loin, il va même jusqu’à supposer (des amis à lui en sont persuadé) que le pouvoir en Bolivie reste une lutte de quartels de narcotrafiquants, sachant que la plus grande partie de la maigre richesse bolivienne provient du trafic de drogues. Autre fait avéré : Evo Morales aurait accepté de ne pas nationaliser une entreprise minière à côté d’Uyuni en échange d’actions dans l’entreprise. Si tout ce qu’il raconte est vrai, ce n’est donc qu’un homme politique comme les autres et il tombe du piédestal sur lequel je l’avais élevé. Selon Jacques, le peuple est toujours derrière lui (surtout le monde paysan, très nombreux) et sa réélection en décembre prochain semble certaine, mais les habitants de villes ont de plus en plus de ressentiments contre lui et sa politique. Les gens semblent le considérer comme un dieu vivant ou comme un homme à abattre, pas trop de nuances ici ! En tout cas la discussion est très intéressante, on a de la chance de pouvoir partager avec quelqu’un vivant ici. Pour ceux que ça intéresse Jacques fait lui aussi un blog : http://potosi.over-blog.com/. On finit quand même par aller se coucher en le remerciant pour ce moment passé.

On tombe sur un petit resto sur la place, un truc assez touristique où on mange moyen et cher. On s’en fout un peu, on n’a qu’une envie, c’est dormir.

Vendredi 14 août. Tour du Sud-Ouest - Dia 1

Lever 8h. On a eu moins froid que la veille, et la douche est abondante et chaude. On prend le petit déjeuner à la terrasse de l’hôtel, sur la place, au soleil. On se pointe à « Blue Line Service » vers 10h, les basques (Ibon, 34 ans, et Loréa, 35 ans) sont déjà là, ainsi qu’un français (Marc, 37 ans), qui vient compléter le véhicule. Ce dernier arrive tout juste de La Paz du matin, où il arrivait tout juste de Paris la veille au soir ! Entre le décalage horaire, le froid dans le bus de nuit et l’altitude, il ne semble pas plus frais que ça. On va partir à 5 passagers, et il est prévu qu’on passe en prendre un 6ème (qui ne part que pour trois jours) le lendemain sur le trajet. Le tour a donc bien lieu ! Avant le départ, on discute un moment avec Henri Jose, un jeune guide bien cool (qui part malheureusement avec un autre tour) avec qui le contact passe très vite. Discussion autour d’Evo Morales, il dit lui aussi que les prochaines élections sont faites d’avance, mais que les mécontentements se font sentir dans les villes. En allant plus avant dans la discussion, on apprend qu’il va venir vivre quelques temps chez des amis à Lyon d’ici 3 mois ! On s’échange évidemment nos adresses mail pour s’y croiser et tomar algunos « bières » (en français dans le texte).

Nos « mochillas » sont attachées sur le toit du 4x4 (Toyota Landcruiser, immatriculation « 948 BAG »), chacun est à sa place. Notre conducteur s’appelle Edgar, la quarantaine souriante, il nous salue chaleureusement, nous dit qu’on va passer 4 jours ensemble, qu’il va falloir se supporter mais qu’on devrait y arriver. Il a l’air bien fun, c’est parti.

Première étape, au sud de la ville : le cimetière de trains. Des carcasses de métal datant de la fin du XIXème siècle recouvrent une plaine désertique. Uyuni était à l’époque la ville par laquelle tous les trains passaient, le plus grand croisement ferroviaire de Bolivie. Ils servaient au transfert des minerais (principalement de l’argent) en provenance de Potosi, mais aussi d’autres mines avoisinantes, nombreuses dans le sud-ouest bolivien. Les trains sont laissés depuis 1926 à l’abandon ici, dans cet espèce de musée à ciel ouvert témoignant de cette époque révolue. La Bolivie n’est effectivement plus le pays minier par excellence, comme il a pu l’être. Des morceaux de taule jonchent le sol en vrac, et les nombreuses carcasses de wagons rouillés se suivent sans se ressembler. On peut grimper dedans, s’y accrocher, passer de l’un à l’autre. Endroit singulier.

On repart jusqu’à Colchani, petite ville bordant le Salar (pas encore à portée de vue). C’est ici qu’est installée la plus grande activité de transformation et d’empaquetage du sel provenant du salar. Le sel est amené là très humide, il passe deux jours à sécher au soleil avant d’être déposé au dessus de four chauffés au quiñas (combustible local). Les gros morceaux secs sont ensuite moulinés et mélangés avec de l’iode, puis empaqueté par paquets d’un kilo. Chaque jour, 3000 Kg de sel sont ainsi confectionnés et prêts à être vendus dans toute la Bolivie. A côté de cette petite usine, une autre fabrique des blocs de sel servant à la construction de bâtiments, et un petit marché vend des objets issus de l’artisanat local, à base de sel, bien sûr.

Encore quelques km, et nous foulons enfin le fameux Salar d’Uyuni. Cette majestueuse étendue de sel recouvre une superficie de 3500 km², avec une profondeur de 76m de sel et de 120m en tout (en comptant l’eau souterraine). Pour la petite histoire, le lac Minchin recouvrait tout le sud-ouest bolivien il y à 40000 à 25000 ans. Il s’est évaporé, laissant l’endroit sec pendant 14000 ans avant l’apparition du lac Tauca, qui ne laissa 1000 ans plus tard que 4 souvenirs : les lacs Poopo et Uru, et les concentrations de sel de Uyuni et de Coipasa.

On ne voit bientôt plus que du blanc à l’horizon, à 360°, on se croirait sur une immense étendue de neige. C’est absolument éblouissant, au sens figuré comme au sens propre, avec le soleil se reflétant sur le blanc de toute sa puissance. On s’arrête à côté de poches d’eau thermales, gazeuses, excellente pour lutter contre les rhumatismes selon Edgar.

On déjeune dehors, avec la vue sur le blanc sans fin, à côté d’un petit hôtel de sel, renfermant lui-même des sculptures en sel en forme d’animaux ! Edgar nous prépare de la viande de lama accompagnée de quinoa et de petits légumes : délicieux. On passe un moment à profiter de l’absence de tout élément indicatif de distance dans les environs pour faire des tas de photos irréelles entre des éléments lointains mais semblant au même niveau sur les photos. On commence à bien faire pote avec Loréa, Ibon et Marc. Les basques voyagent depuis 2 mois sur un voyage total de 6 mois, et Marc, plutôt branché montagne, a quelques 3 semaines de vacances qu’il veut passer dans les hauteurs de la cordillère des Andes ! Il a lui-même effectué un tour du monde d’un an entre 2000 et 2001.

C’est reparti pour une longue traversée du salar, tout bonnement irréelle. On roule sur la glace, sur les nuages, en n’apercevant au loin que des sommets montagneux qui surgissent d’on ne sait où. On a beaucoup de mal à évaluer les distances et Edgar nous assure que certains d’entre eux sont séparé par plus de 100 Km. Il nous dit aussi que tomber en panne au milieu du salar peut être mortel : aucune route n’est dessinée, chaque m² du salar étant carrossable, et il se peut qu’aucune voiture ne passe par le même chemin pour porter assistance à un véhicule, qui peut être extrêmement loin d’une quelconque sortie ou d’une quelconque habitation. Tous les chauffeurs ont le devoir de faire un crochet s’ils voient un véhicule est à l’arrêt. Ici le soleil règne en maître absolu, il est omniprésent. Il est presque impossible d’enlever ses lunettes de soleil, avec lesquelles le blanc immaculé prend par instant des teintes tour à tour grises ou vertes. En s’arrêtant au milieu du rien, on peut voir les formes hexagonales des milliers de plaques de sel, comme des alvéoles blanches s’étreignant à l’infini. Quand il pleut, Edgar nous explique que l’eau peut dépasser les 70 cm de hauteur sur tout le salar, le transformant en formidable étendue d’eau sur lesquels se reflètent les nuages, on a alors l’impression de rouler dans le ciel. Edgar n’arrête pas de faire des blagues pourries, du genre il a oublié la bouffe et on ne pourra pas manger pendant 4 jours, ou encore il fait semblant de tomber en panne en faisant cahoter et s’arrêter la voiture au milieu du désert. Puis il prend un fou rire et repart. Quand il nous parle il se retourne en lâchant le volant et en continuant de rouler à fond… il s’en fout, peu de chance qu’il sorte de la route ! Il se repère seulement aux sommets environnants pour garder le cap souhaité.

On sort du salar par le nord, au pied du volcan Tunupa. La zone est d’abord un peu marécageuse, avec des dizaines de flamands roses y ayant élu domicile. Un peu plus loin, un pâturage de lamas et derrière, un chemin menant à un petit village en pierre. On s’y installe dans un bâtiment de sel très accueillant, sorte d’auberge pour voyageur à la déco un peu kitsch dont la salle à manger donne une vue splendide sur le salar en contrebas. Au dîner, une bonne soupe de légumes et un plat bien costaud mélangeant pommes de terre, viande, œufs, tomates et oignons. Dehors, les étoiles sont magnifiques. On tombe sur Marco, pote d’Edgar et maître des lieux, à qui on pose des questions sur le ciel. Il nous propose carrément de le suivre pour observer le ciel avec son télescope, installé un peu plus loin à côté du village !

Là bas, plus aucune lumière ne vient gêner l’observation. La voie lactée est hallucinante. Je connais ma propension à exagérer, mais là je suis formel : je n’ai JAMAIS vu autant d’étoiles de toute ma vie. On observe Vénus au télescope et ses anneaux rouges. Et puis on reste béats devant la majesté du ciel. D’autant plus que c’est un ciel parfaitement inconnu pour moi : l’hémisphère sud ne donne pas à voir les mêmes étoiles que l’hémisphère nord ! Du coup je me sens un peu perdu. Marco nous montre « La croix du Sud », « La Queue du Dragon », nous parle des « Trois Vierges », pas encore levées. Génial. Pendant ce temps, Edgar tourne le tourne le télescope et se met à crier : « Un missile, un missile arrive droit sur nous ! ». Sacré Edgar.

C’est la tête pleine d’étoile qu’on va tous se coucher dans l’auberge, après une journée remplie de tant de belles images qu’on a du mal a croire que ça n’a été le fruit que d’une seule journée. Il en reste trois.

Samedi 15 août. Tour du Sud-Ouest - Dia 2

A 6h, ça frappe à la porte. C’est Marco qui nous réveille à cette heure là pour qu’on s’habille aussi vite que possible pour venir admirer la lune ! Elle est décroissante, on n’en voit plus qu’un petit tiers. Elle se lève vers 3h du matin, elle n’était donc pas là lors de la session d’observation nocturne. On sort tous aussi vite que possible. L’aube se lève doucement, mais il reste suffisamment d’obscurité pour pouvoir admirer les cratères de l’astre lunaire. A côté, Jupiter s’est levé aussi, et Vénus a changé de sens. On a vraiment de la chance d’avoir posé des questions sur le ciel, Edgar lui-même ne savait pas que son pote possédait un télescope !

On petit déjeune avec des beignets bien gras trempés dans du Nescafé. On est fin prêt pour l’ascension du volcan Tunupa.

Edgar nous dépose quelques 3 km plus haut et nous ouvre une grotte (l’entrée est protégée par un cadenas) dans laquelle on découvre plusieurs momies, deux adultes et deux ou trois enfants, extrêmement bien conservées dans la sèche obscurité du lieu. En sortant, l’ascension peut commencer. Il est 8h et Edgar nous donne RV à l’auberge vers 11h30. Si on se perd, il nous conseille d’écrire notre problème sur un papier et de le lancer le plus loin possible avec une pierre, en attendant que quelqu’un le trouve et vienne nous chercher. Rassurant.

On commence à 4000m d’altitude. On suit un chemin de crête pas trop raide mais qui grimpe bien quand même, le long de petits murets de pierre servant probablement à délimiter les terrains de culture de quinoa, qui recouvrent les flancs bas du volcan. On arrive au premier mirador après une heure de marche, à 4360m d’altitude. La vue sur le salar commence à être complètement magique. Les montagnes environnantes grignotant sur l’étendue de sel, on a l’impression qu’elles surgissent d’un océan de nuages. La robe du volcan passe du rouge au blanc en passant par le rose, des couleurs qui n’existent pas sinon dans les contes. On a l’impression de gravir un paysage de légendes. On aperçoit quelques « Viscachas » courir entre les pierres, des espèces de lapins avec une tête de kangourou ! On continue l’ascension, ça devient plus raide et demande plus de concentration, avec des pierres de plus en plus bringuebalantes. Alice est crevée, elle nous attend à mi-chemin, sur la crête. Marc a carrément pris un autre chemin, celui-ci semblant un peu facile pour un alpiniste ! On n’a pas vraiment le droit de gravir le volcan et d’arriver jusqu’au cratère, mais juste de grimper en haut d’un petit sommet attenant. Mars semble s’en balancer. On est donc trois avec Ibon et Loréa à se retrouver au sommet du second mirador. On est à 4800m. 800m d dénivelé en 2h, avec cette altitude, ça n’est pas rien, et on est à bout de souffle. Le point de vue est encore plus féérique que le précédent, on voit le désert de sel qui s’étend dans toutes les directions, à perte de vue, au pied du volcan. Sublime.

La redescente est un peu longue et nécessite une bonne concentration pour ne pas se fouler la cheville sur un caillou branlant. On récupère Alice en chemin, mais aucune trace de Marc. On arrive jusqu’en bas, là où nous a déposé Edgar, et il nous reste encore 3 km de sentier pour arriver à l’auberge. Les basques ont pris une longueur d’avance, mais on parvient à faire du stop avec Alice et on leur fait des grands signes en passant à côté d’eux dans un 4x4… eux tirent un peu la gueule. A midi tout le monde est là, sauf… Marc. On parle à Edgar du fait qu’on l’a perdu dans la montagne, il prend une tête très sérieuse : « Donde esta Marc ? » (où est Marc ?), ne cesse-t-il de répéter. A chaque fois qu’il passe devant moi, il fait mine de pleurer sur mon épaule : « Donde esta Maaaaaaaarc ??? ». Puis il me regarde et explose de rire. Vers midi et demi, une heure après le RV, on a finit de manger (une bonne purée maison avec un plat de saucisses en rondelles et en sauce), toujours pas de nouvelle, on commence à s’inquiéter. Il finit par arriver à 12h35, sur le toit d’une voiture… il a bien gravit le volcan jusqu’à son cratère, et il avait mal compris le lieu et l’heure de RV, vu qu’il ne comprend pas tout en espagnol ! J’essayerai de bien tout traduire par la suite.

Marc ne prend pas même le temps de manger et on est reparti ! Après avoir à nouveau emprunté le salar en direction du sud sur une cinquantaine de km, la jeep s’arrête à côté de l’isla Incahuasi. Outre le fait qu’elle soit la seule bande de terre sur des km à la ronde, cette « île » vallonnée au milieu du sel est aussi recouverte de centaines de cactus géants ! On grimpe sur ses petites collines envahies de cactus, avec une vue à 360° sur le salar, on la sillonne de part en part. Encore un lieu bien pittoresque et envoutant. C’est ici qu’on doit récupérer celui qu’on appelle tous « le 6ème passager ». Très mystérieux. D’après la première note parvenue à Edgar, il devait être australien et s’appeler Rodrigo Ramirez ! Puis une seconde note stipule une certaine Andrew d’Angleterre. Andrew s’avère être un homme, évidemment, un bon vieux londonien, roux, évidemment. Pas évident d’arriver dans un groupe qui commence à se connaitre et à rigoler à longueur de temps sur des « running gags ». Il a l’air assez calme, ne parle ni espagnol (ou très peu) ni français (ces deux langues étant les plus parlé dans l’habitacle), et lit « Le labyrinthe de la solitude ». Pas gagné.

On repart un peu plus serré, cette fois en direction de la sortie sud du salar. Sur notre droite, la cordillère des Andes crée une frontière naturelle avec le Chili, regorgeant de volcans (pas en activité). On fait une pause au milieu du désert pour faire une dernière série de « photos débiles », tout le monde mettant du sien pour trouver des idées plus débiles que les précédentes (et on s’en sort bien). On finit par dire au revoir à l’étendue blanche, non sans regret.

Le chemin est maintenant en terre. Après quelques km de route bien pourave, à croiser des troupeaux de « bicuñas » sauvages (plus petits, moins poilus et plus rapides que les lamas, mais de la même famille), on arrive à St Juan, un petit hameau perdu, habitation esseulée au milieu de rien. Alentours, un paysage de far west « tibétain » : des montagnes bien rêches, des sentiers allant nulle part, du sable et des cailloux.

L’ambiance n’est pas bien à la rigolade ici, on se fait accueillir de manière assez austère par les hôtes des lieux, qui ne laissent pas échapper le moindre sourire malgré des tentatives de dialogues polies et drôles (hum) de note part. Un autre groupe débarque dans les lieux, eux non plus n’ont pas l’air de bien rigoler, on est vraiment bien tombé. On s’efforce quand même de discuter un peu en anglais avec Andrew. On doit payer pour avoir de l’eau chaude, et une fois allumée il faut la laisser couler… du coup on fait tous la queue devant la douche et dès que l’un sort l’autre fonce tête baissée sous le jet. On se dépêche, on n’est pas sûr qu’il y en ait pour tout le monde. Ca fait un bien fou. Dehors il fait en dessous de 0°. Une bonne soupe, un bon plat mélangeant tous les féculents possible (pâtes, riz et frites) et sources de protéines (viande et œufs…), et puis on achète des bières pour faire glisser le tout dans la bonne humeur, avant d’aller se coucher dans une chambre rien que pour nous avec Alice, dans le No man’s land de St Juan.

Dimanche 16 août. Tour du Sud-Ouest - Dia 3

Réveil à 7h, petit déj rapide, on décolle à 7h30 de St Juan. On a encore une longue journée de route vers le sud, jusqu’à la laguna colorada, autre merveille promise de ce tour du sud-ouest. En fait c’est une journée presque entièrement sous le signe des lagunas. Une lagune, c’est un lac, mais en moins profond. Enfin je crois.

Le paysage est semi-désertique, toujours très far west. Notre première sortie de voiture a pour objectif d’admirer le colossal volcan Tapacilcha, qui s’élève à 5800m d’altitude à quelques km de nous. En semi-activité, ce volcan dégage quelques fumerolles qui se dispersent au gré du vent. Un vent qui souffle de plus en plus fort. La lune, presque imperceptible, se cache dans le ciel, juste au dessus.

Je prends une photo d’Egar en train de pisser un peu plus loin. Très solennel, il me conte la malédiction du pipi : « celui qui prendra en photo Edgar urinant verra sa carte mémoire de photos reformatée ». Et merde. De mon côté, je lui fais croire qu’avec Alice, on fait partie d’une secte dont le but est de découvrir le corps momifié d’Elvis Presley dans le désert. On porte tous les deux le même T-shirt « Dig Up Elvis » (le groupe rock de Julien Doré), avec Elvis dessiné en squelette dessus. Connerie sur connerie.

On papote sans arrêt dans le véhicule, l’ambiance est top. Edgar nous raconte qu’un pote à lui a fait un tour du salar avec Leonardo Di Caprio. Délire. Et puis on parle un peu politique bolivienne : pour lui, Evo Morales n’a pas eu assez de temps pour faire ce qu’il voulait, et son prochain mandat risque d’aller plus loin dans les réformes. Tout en ayant pas mal de recul, il souhaite le voir reconduire, et trouve que beaucoup d’efforts ont déjà été faits en terme de construction de routes, d’électrification des villages reculés (c’est notamment le cas dans le sud-ouest que nous traversons), de prémice de système de retraites, d’augmentation du salaire de base (passé de 450 Bs = 45 € à 800 Bs = 80 € environ, ça reste très bas), de représentativité des classes pauvres, etc. Un autre témoignage qui me redonne un brun d’espoir.

Nouvelle pause. On est au bord de la Laguna Cañapa, à 4105m d’altitude. On est complètement seuls, pas une seule autre jeep à l’horizon (c’est loin d’être toujours le cas). Cette lagune est habitée par une centaine de flamands roses à la robe pimpante. Derrière, des montagnes aux couleurs terre, vert et ocre. Au dessus, le ciel, d’un bleu allant du clair au très profond en regardant à la verticale. Le mélange entre paysage désertique, désolation et magnificence de toutes ces couleurs qui se superposent est saisissant. On croise même des perdrix !

Nouvel arrêt, nouvelle lagune : la Laguna Onda. Edgar se demande où peut bien se trouver la laguna Toyota (haha). Il nous dépose pour qu’on profite de la promenade à pied le long de l’eau, et part plus loin nous faire à manger. Le spectacle est sensiblement le même qu’à la lagune précédente, mais on ne s’en lasse pas. Des flamands roses par centaines qui filtrent l’eau, volètent, animent ce paysage du bout du monde.

On rejoint Edgar, qui a dressé une table dehors. Le vent souffle encore plus fort, on se sert de pierres pour empêcher la nappe de voler. Milanesa de pollo (filet de poulet pané), pâtes ET patates (comme d’hab). Un renard l’air tout perdu et claudiquant sur trois pates pointe son nez, on lui file nos restes, il vient manger juste à côté de nous, pendant que des mouettes (Alice pense que ce ne sont pas des mouettes, mais appelons-les comme ça) essayent de piquer aussi quelques bequetées.

La route est de plus en plus cahoteuse et terreuse, le paysage de plus en plus désertique. On s’arrête devant un nouveau spectacle naturel : des pierres volcaniques disséminées dans le désert (ça y est, on est entouré de sable) et prenant des formes incongrues avec leur érosion millénaire. On y trouve notamment le fameux « arbre de pierre », qui ressemble plus selon moi à une girolle de pierre. On se promène un moment entre ces formes érodées mystérieuses, dans un décor sujet à de grandes bourrasques de vent qui nous aveugle régulièrement les yeux de sable tournoyant. Un vent de plus en plus glacial.

On tente tant bien que mal de se réchauffer dans la voiture. La route est longue mais on finit par arriver au but de la journée : la fameuse Laguna Colorada. Je dis fameuse mais je ne connaissais pas son existence avant ce voyage. Elle semble pourtant connue, elle fait partie de la liste encore en lice des 7 nouvelles merveilles du monde ! Je dis encore en lice car il y a en ce moment même des élections (!) pour définir ces 7 nouvelles merveilles. On peut voter ici : http://www.new7wonders.com/.

Bon, et franchement on peut voter pour elle. La laguna colorada est une immense lagune, à 4278m d’altitude, dont la profondeur ne dépasse jamais 80 cm et surtout, de couleur disons rouge rouille. Sa coloration provient des algues et du plancton qui prospèrent dans des eaux riches en minéraux. On y voit encore des centaines de flamands roses, de trois espèces différentes. On est vraiment dans un lieu riche en toutes les palettes de couleurs, plus encore que précédemment. De bas en haut, de la terre marron, des touffes de plantes vertes, un dépôt blanc le long de la rive, l’eau bleue, puis l’eau qui devient rouge, les flamands roses, les reflets dorés du soleil, du gel blanc qui recouvre une partie de l’étendue, des montagnes terreuses et ocres au sommet grisonnant et neigeux, et puis le ciel immense passant par tous les bleus. On a l’impression d’une image photoshop absolument pas crédible !

On finit par quitter cette vision folle pour se rendre au lieu de repos, quelques km plus au sud. Tout le monde nous a prévenu : on risque d’être exposé à des températures allant de -20° à -30°, dues aux vents glaciaux qui soufflent la nuit dans cette région hostile ! On est prêt. Le bâtiment est très sommaire. Pas d’eau chaude, pas d’électricité, et on dort à 6 dans le même dortoir (ça, c’est plutôt sympa). Pour se réchauffer, on achète 3 bouteilles de vin (bolivien et chilien) qu’on se partage en trinquant avec force conviction, à l’instar des autres tablées alentours (on est assez nombreux ici) qui n’y vont pas de main morte non plus. C’est notre dernier soir ensemble, et l’alcool tente de refouler la pensée du départ. Les langues se délient bien et les discussions partent dans tous les sens, et surtout dans tous les pays. On parle de voyages, de façon de voyager, de tous les continents, de la difficulté de revenir au monde « normal » après une coupure d’un an à parcourir le monde. Marc, qui est consultant financier, nous raconte à quel point il était difficile pour lui de comprendre l’intérêt de « tout optimiser », à la moindre virgule, au retour de son périple. Andrew vient de voyager 6 mois, il repart dans 10 jours et déprime déjà. Les basques parlent de leur itinéraire prévu pour les 4 prochains mois… moi ça me fait complètement rêver, cette discussion est presque dangereuse !

On finit par tous s’emmitoufler dans des couches et des couches pour lutter au mieux contre la rudesse du climat, et on s’endort encore plein d’images dans la tête, qui continue à voyager.

Lundi 17 août. Tour du Sud-Ouest - Dia 4

Ibon nous réveille tous à 5h. La nuit n’a pas été aussi froide qu’on nous l’avait prédit et on se réveille presque transpirant sous nos multiples couches. On se dépêche d’empaqueter nos affaires, un petit pipi, et hop dans le « 948 BAG ». Il fait encore nuit noire, on a des millions d’étoiles pour seule compagnie, et puis la lune, qui se lève juste, petite virgule reprenant son cycle de croissance.

Le calme relatif règne quand même dans le landcruiser, je somnole un peu en regardant le spectacle à travers la fenêtre. Réveil soudain. On est arrêté juste à côté d’un grand geyser de fumée qui sort puissamment du sol à la verticale. On sort, il fait glacial. L’aube commence à pointer au loin. Tout autour de nous, il n’y a que désolation volcanique et fumée sortant du sol, et puis ce geyser d’où surgit une vapeur chaude (on met les mains devant pour se réchauffer) qui empeste le souffre. Au réveil, ça fait bizarre, on a l’impression d’être dans un film post apocalyptique à la John Carpenter. On rentre dans la voiture aussi vite qu’on en est sorti, il fait vraiment trop froid. Dix minutes plus tard à peine, rebelote, il faut ressortir. Cette fois plus de gros geyser, mais des dizaines de fumerolles chargées d’odeur sulfureuse, sortant d’autant de petits cratères bouillonnants d’un liquide saumâtre. Je me perds entre les cavités fumantes, je ne me sens définitivement plus sur terre. Le « Sol de Mañana » (c’est le nom de ce lieu) est à 4850m d’altitude, et il y fait pas loin de -30°, ce qui rajoute encore à la fascinante inhospitalité de ce paysage de science-fiction. De retour dans le 4x4, impossible de se réchauffer, on a tous les orteils gelés. Ca recommence quand même à déconner avec Edgar.

Il n’est pas loin de 9h quand on s’arrête à nouveau, et le soleil a déjà pris un poil de hauteur. On est cette fois stationné à côté d’une source thermale d’eaux chaudes ! Le soleil a commencé à réchauffer l’atmosphère et il ne doit plus faire très loin de 0°, pour autant l’envie de se dépoiler dehors n’a absolument rien de naturel. Le bassin est fumant et 2 ou 3 personnes baignent déjà dedans en nous disant de venir les rejoindre, que c’est le bonheur. Crédules, on se change tous en quelques instants (et en criant) et on saute dans le bassin. L’eau doit être autour de 30-35°, c’est effectivement le bonheur. Dedans, on est tellement entouré de vapeurs que même la température extérieure parait agréable. Mes pieds me brûlent, passer de l’état congelé à très chaud leur fait tout bizarre. Certaines personnes ont même du mal à entrer dans l’eau, ils y vont cm par cm, comme si l’eau était glacée ! Malheureusement Alice n’a pas prévu de maillot de bain ni de vêtements de rechange (dans le sac, sur le toit de la voiture) et préfère ne pas se baigner. Moi je suis aux anges. Le soleil continue de monter, éclairant les montagnes et les volcans alentours, alors que je me prélasse dans cette baignoire extérieure naturelle en profitant du spectacle. Au bout d’une vingtaine de minutes, Edgar nous convie pour le petit déj, et sortir de l’eau s’avère plus difficile encore que d’y rentrer ! On se change à toute allure, mes cheveux gèlent immédiatement, ainsi que l’eau des serviettes et des maillots dès qu’on les pose pour les faire sécher.

Après un bon petit déjeuner en intérieur à base de gâteau bourre-bourre et de « smacks » locaux au yaourt liquide, on est bien ragaillardi, l’eau thermale nous donne l’impression d’être réchauffé pour la journée. On continue notre route vers la pointe sud-est du pays, dans un environnement toujours très désertique. On aperçoit bientôt les trois volcans bordant la frontière chilienne, dont le Licancabur, haut de 5960 m et dont le sommet abriterait une ancienne crypte inca. A ses pieds, le magnifique lac à la robe verte, appelé « Laguna Verde ». En vérité trop profond pour être une lagune, on ne va pas chipoter, on est quand même dans le pays des lagunes, merde. C’est une importante concentration de carbonates de plomb, de souffre, d’arsenic et de calcium qui donne cette coloration à l’eau du lac, en plus du vent glacé fouettant en permanence sa surface, mettant en valeur sa brillante écume. Autant dire qu’il n’y a aucun signe de vie dans ce lac toxique, et qu’on n’a pas intérêt à s’y baigner. Mais c’est beau, et avec le volcan au sommet rouge et blanc derrière, il se dégage une fois de plus un florilège de couleurs.

Encore quelques kilomètres au sud, et nous voilà à la frontière chilienne. C’est ici qu’on dit au revoir à Loréa, Ibon et Andrew, qui se rendent tous trois à San Pedro de Atacama au Chili. Beaucoup de voyageurs choisissent cette option pour quitter la Bolivie et continuer sur les hauteurs chiliennes. Bien sûr on s’échange nos mails, bien sûr on se dit au revoir chaleureusement, bien sûr on s’invite les uns les autres à l’occasion. C’est donc amputée d’une moitié que la joyeuse compagnie repart vers le nord. Et à peine quelques km plus loin, c’est Marc qu’on va déposer à son tour au pied du volcan. Il va lui aussi partir en direction du Chili, mais ne voulait pas s’y rendre avant d’avoir gravi le Licancabur. Accolades renouvelées.

L’habitacle est maintenant bien triste, on n’est plus qu’Alice, Edgar et moi pour le long chemin du retour jusqu’à Uyuni. Un bon point, on est beaucoup plus confortable. Alice se pose sur la banquette arrière et moi devant avec Edgar, alors qu’on était jusque là toujours coincés tout derrière, au niveau des roues, sans grande place pour les jambes. Les 6 ou 7 heures de route (de chemin) pour rentrer n’ont pas un intérêt immense, sinon le loisir de se reposer pour Alice et de discuter avec Edgar pour moi, tout en chiquant des feuilles de coca. Je lui pose plein de questions sur sa vie, il me raconte qu’il a trois enfants de 12 (Edgar junior), 16 et 18 ans (deux filles ainées), que sa femme les a quitté il y a 5 ans pour un jeune chilien, qu’il gagne 1300 Bs par mois avec ce boulot qu’il adore (ça se voit), qu’il compte continuer encore 18 ans (jusqu’à ses 58 ans) à arpenter les routes du sud-ouest bolivien, qu’il est en train de racheter l’agence existante « Nueva Aventura » (courrez-y tous), qu’il aimerait partir en vacances au lac Titicaca ou au Mexique avec ses enfants… De son côté il me pose plein de questions sur la France, sur moi. Bien sûr une phrase sur deux est une connerie, dite très sérieusement et suivie d’un éclat de rire. On a un peu le même humour, avec Edgar, on se comprend bien et on rigole comme des cons. On chante aussi beaucoup, on invente des paroles en espagnol. Depuis le début du voyage, Edgar chante « Perdonala, perdonala, Dios moi, perdonala, na sabe lo que hace !!!! » (Pardonne la, pardonne la mon Dieu, pardonne la, elle ne sait pas ce qu’elle fait). Une chanson qu’il a inventée et qu’il ne cesse d’entonner super fort, dès qu’un petit silence s’est installé. On peut le dire, je suis le premier fan d’Edgar. On arrive en fin de journée à Uyuni. On n’a fait qu’une pause pour déjeuner une frugale platée de riz, tomate et thon mayo arrosé de Coca, le voyage a été bien épuisant, avec des routes bien pourries. Accolade à nouveau, avec Edgar cette fois. On lui file quelques 200 Bs supplémentaires pour le remercier de ces 4 jours incroyables, en lui promettant de recommander son agence autant que possible. Il nous dépose à l’hostal « Marith ». Ca y est, on est seuls.

Alice va se doucher pendant que je vais me promener dans le marché couvert du coin. J’achète un bouquet de fleur à une jeune fille qui s’applique à faire un truc bien joli, et puis plus loin un chapeau melon. Des vieilles marchandes me demandent pour qui sot les fleurs, je leur répond pour ma copine, elles sont toutes émeus, me disent que c’est très gentil de ma part et me couvrent de sourires et d’encouragement ! Vous inquiétez pas, je gère l’image des français.

Le soir, on traverse la ville pour manger un bon cheeseburger et une bonne crêpe fourrée au resto « La Loco », tenu par un français, à l’ambiance tamisée, feu de bois central, verre de vin, crêpe à la pomme caramélisée, Pink Floyd en fond sonore. Sur le chemin du retour, toute la population est encore en train de danser sur de la musique locale diffusée à fond par de multiples enceintes tournées vers la rue, femmes et filles d’un côté, hommes et garçons de l’autre. On s’emmitoufle dans le lit et on s’enfile deux épisodes de « Damages » (génial) avant de dormir d’un sommeil de plomb.

Mardi 18 août. Lever vers 7h30, et douche à peine chaude et sans pression. Vers 8h30, Edgar surgit dans notre chambre pour nous donner la carte de son agence, nous souhaiter une bonne suite de voyage et nous faire une dernière accolade amicale. Un Edgar au réveil, ça fait toujours du bien. On va reprendre des forces avec un petit déj bien complet avant de filer dans le bus qui doit nous emmener jusqu’à Potosi. Dans le bus, une famille française insupportable qui commente tout avec une espèce d’insupportable suffisance nous oblige à monter le son de nos écouteurs.

Jeudi 20 aoûtPotosi / 10h50