24 août 2010

Le bout du monde en hiver (à déconseiller)

Lundi 23 août - Valparaiso

Valpo ! J'arrive pas à croire qu'on ait remonté tout ça aussi vite. On a bien bossé pendant des semaines pour descendre tout en bas, au bout du monde, des heures et des heures de bus. Et puis hop, un vol de quelques heures et on est de retour au point de départ. Dans cette partie du monde, j'aurai tendance à dire que voler, c'est tricher. Mais on l'aura quand même bien mérité ce vol. Parce que la Patagonie en hiver, c'est pas vraiment une promenade de santé. Faut avoir un bon moral pour y rester... et de la réussite pour en sortir ! Voyez plutôt.


Mercredi 18 août

Puerto Natales est une petite ville portuaire, séparée de l’océan pacifique par des centaines de fjords. Une petite vieille moustachue aux ratiches pourries (très gentille par ailleurs) nous propose une chambre pas chère. On comprend le prix dès les premiers pas dans l’entrée de la bicoque qui empeste la pisse de chat. Hésitation. Pas longue. L’Erratic Rock, à deux pas, n’est pas cher non plus (après négo), ultra chaleureux, tout de bois et de pierre apparente à l’intérieur, et l’équipe semble aux petits oignons. Et puis Alice craque pour les 3 petits chats roux qui se ruent sur nous en quête de câlins. Et puis on sait que nos copains d’El Calafate se pointent ici demain. On s’installe, tout va pour le mieux. Et c’est ici que commence une longue série d’échecs.

On a souvent des décisions à prendre, j’essaye en général de ne pas trop m’y attarder, vu le peu d’intérêt de ces moments de planification pour le lecteur. Mais là quand même…

On se renseigne sur les possibilités de marche dans le parc Torres del Paine : avec la couche de neige qui vient de tomber, il est tout à fait déconseillé de parcourir le parc dans les jours qui viennent, ça peut être dangereux. Grosse déception. Et premier échec.

On se rend au bureau de Sky Airlines, chez qui on a acheté des billets d’avion pour rejoindre Santiago depuis Punta Arenas le 23 août. On souhaiterait, du coup, avancer le trajet de quelques jours, et pouvoir ainsi profiter davantage de Valparaiso, dans un climat plus favorable : tous les avions sont complets, sauf celui de la veille, en rajoutant 250 € pour le changement. Trop cher. Échec.

On décide d’aller jusqu’à Ushuaia, faire du chien de traineau ou autre activité de saison. Les bus partent le matin, presque tous les jours (12h de route). On pourrait partir le vendredi, y rester le samedi et repartir le dimanche pour attraper notre vol le lundi. Aucun bus ne rentre le dimanche. Échec.

Il existe peut-être des vols qui feraient Ushuaia-Punta Arenas, pour remplacer le bus… la gentille meuf des bus Pacheco nous conseille de nous renseigner auprès de l’agence d’information Sernatur, à l’autre bout de la ville. Elle nous fait une croix sur la carte. Elle s’est plantée de rue, on se retrouve à l’opposé. Échec.

On finit par trouver Sernatur. Le jeune qui nous répond ne sait rien, à part qu’ici, le truc à faire, c’est le parc Torres del Paine. Ok, merci. Une ligne aérienne reliant Ushuaia à Punta Arenas ? Oui, bien sûr, ça existe… en été. Échec.

Le gars finit par nous trouver un bateau qui part chaque samedi de Puerto Williams (juste en dessous d’Ushuaia, côté chilien) en direction de Punta Arenas. On arriverait donc le vendredi soir à Ushuaia, et on repartirait dès le lendemain matin, en traversant sur deux jours les magnifiques fjords qui parsèment la pointe sud du continent… et du monde. Mortel. Finalement, on se rend compte qu’en arrivant le soir à Ushuaia, aucune possibilité de rejoindre Puerto Williams avant le départ du bateau à 8h du matin le lendemain. Il n’y a pourtant qu’un petit fjord à traverser. Échec.

On est dépité. On a faim. Il fait froid. On verra bien plus tard. On a envie de bien manger. Trois adresses conseillées par le Lonely nous donnent trop envie, on a besoin de se faire plaisir. Les trois sont fermés pendant l’hiver. Comme la grande majorité des restos et des hôtels. Échec.

La bonne déprime s’abat sur moi, je suis complètement dégouté, frustré au plus haut point. Être si loin de tout, à un endroit si incroyable, si reculé, si unique, et ne pouvoir profiter de rien… ça me fout vraiment les boules. Heureusement, Alice relativise plus que moi sur ce coup. Elle trouve ça dommage, mais me répète qu’on est en vacances, ensemble, que ça lui suffit à se sentir bien, que rien n’est si grave, qu’on reviendra. J’ai plutôt l’impression de jouer ce rôle habituellement, de lui faire voir les bons côtés quand elle en a marre, mais cette fois les rôles sont inversés. Et même si je ne le montre guère, ça me fait du bien.

On se pose finalement dans l’un des seuls établissements de restauration ouvert, la Picada de Don Carlitos, sorte de grosse cantoche. Vincent et Anastasia se pointent eux aussi, on les invite à notre table. On mange une insipide milanesa de pollo (milanaise de poulet) accompagnée de purée mousseline : échec. Les deux autres se partagent une grosse chorillana (monticule de morceaux de viandes et de saucisse grillés, d’oignons et de frites…). On arrose tout ça de bon vin rouge et on leur raconte notre série noire, ça nous fait un peu rire avec le recul et l’alcool. Avec un bon Pisco Sour de plus, ça se détend encore, ça commence à raconter des anecdotes croustillantes sur les urgences alcooliques de l’hôpital de Lens (avec imitations de l’accent du nord), des infos médicales comme quoi les roux seraient en voix d’extinction… on imagine une réserve naturelle de roux. Alice prédit des problèmes, allégeant que le roux attire la foudre. Des bonnes conneries, c’est ce qu’il nous fallait.

En sortant, on tombe sur une pharmacie qui nous fait péter de rire, avec ses vitrines remplies d’objets des plus loufoques : manteaux, épées médiévales, cendriers, trottinettes, éventails, coupes du monde de foot, montres et autres nounours ! On va se coucher l’humeur plus rigoleuse.


Jeudi 19 août

Le réveil n’a pas sonné, et Chakana (le gérant de l’auberge, la bonne quarantaine, ultra serviable) frappe à la porte une petite demi-heure avant le départ du minibus pour Torres del Paine. On petit-déjeune la tête dans le cul, et on s’aperçoit qu’on n’a pas prévu de casse-croûte pour la journée. Chakana sort du frigo un avocat, du citron, de la laitue et du chou-fleur cuit, un morceau de patate… on s’improvise des sandwichs végétariens avec du pain fait maison. Sympa.

Du coup, on s’est quand même décidé à une excursion d’une journée complète dans le parc. C'est-à-dire : un minibus qui nous emmène à différents points pour nous montrer un aperçu du truc, sans rentrer au cœur même de la nature, là où seuls les sentiers peuvent nous mener. On a préféré ne pas attendre nos potes, la météo annonçant un temps plus clément ce jour. Dans le véhicule, un guide pas très bavard, deux chiliennes quinquagénaires, un polonais et une suédoise (sa meuf). Après un bref ensoleillement matinal, le temps vire au gris. Les chiliennes filment tout, le volant, les stickers du van, les montagnes cachées par les nuages. Le suédois bouquine, se foutant royalement de ce qui se passe à l’extérieur, pendant que sa copine slave, blonde donc, prend des dizaines de photos de la vitre sale pendant le trajet. Fine équipe.

Après une première étape un peu terne dans une caverne générée par l’érosion d’un glacier et dans laquelle a vécu une espèce d’ours préhistorique, le Milodon, on fait une pause pour prendre des photos des Cornes, pics rocheux superstars du parc, parce qu’ils le valent bien. Ils sont sûrement très classes, mais les nuages recouvrent l’horizon… on repart.

Entrée dans le parc. La gardienne nous dit qu’il est tout à fait possible de partir faire le W (parcours pédestre de 5 jours). Tous les sons de cloches divergent. Le guide nous dit que non, surtout pas, ce serait inconséquent. Avec ce temps pourri ça fait de toute façon moins envie. Y aller voudrait dire dormir dans des tentes ou des refuges "fermés" avec des marches un peu techniques dans des conditions incontrôlables, sur plusieurs jours. Bien sûr, étant un garçon un peu buté, ça me tente quand même. Mais Alice ne s’en sent pas capable et je la comprends.

Le van s’arrête prêt d’un lac, le guide propose une balade d’1h environ. On part vite, en premier, histoire d’être sûrs de bien s’intégrer au groupe. Il y a toujours cette grisaille, mais les nuages varient et on parvient presque à distinguer les cornes sur la rocaille d’en face. On longe une plage blanche (couverte de neige), et noire en dessous (dépôts sédimentaires). Et puis l’eau du lac est d’un bleu très clair, un peu trouble, provenant directement du glacier Grey qu’on aperçoit au loin. Des dizaines de petits icebergs bleus, aux formes de roses des vents, se sont détachés du bloc de glace et flottent silencieusement sur l’étendue d’eau. Malgré le mauvais temps, on se prend ces couleurs et ces expressions de la nature en pleine gueule. Il se met à pleuvoir, on rentre le plus rapidement possible au van en trajectant dans la neige, on a froid, on est trempé. Alice sort un vieux « j’m’en fous, le 25 décembre, je suis en maillot de bain sur la plage » ! (on sera à Dubai... mais c’est une autre histoire !)

Le van repart. Nombreuses petites pauses. Là pour admirer un nouveau lac bleu azur, ici parce que les nuages se sont un peu éclipsés, laissant apparaitre les étranges contours accidentés des torres, ici encore pour épier un troupeau de guacanos sauvages, voir un film sur les pumas qui habitent le coin ou marcher jusqu’à une grande cascade claire dans un superbe recoin du parc. Le temps tourne un peu, (mais très peu), et les quelques aperçus du parc sont époustouflants. On voit bien le W, on comprend dans quelles vallées passent les sentiers. Ca donne plus que jamais envie de s’immerger plusieurs jours dans le parc, de se perdre au milieu de ces merveilles sauvages, dans cette explosion de couleurs, de forme et de sensations. C’est juste assez incroyable pour en être plus frustrant, l’impression de toucher du doigt quelque chose d’immense en ne pouvant que l’effleurer. Je prends la ferme décision de revenir et de parcourir le parc entièrement !

Le vent s’est levé sur la fin de journée, et le van se meut en frigo sur le chemin du retour. On rentre à la fois contents et abattus, épuisés. Mais on est accueilli par nos potes Elodie, Fanny et Miro, à grands coups de Pisco Sour maison. Nacho, un des gars cool d’ici (qui passe son temps à écouter de la musique et à parler avec des meufs sur Internet) met de la musique française et nous demande si on connait : c’est le classieux Ce que je suis d’Holden ! Il nous dit que ce titre est un tube au Chili, et que leur album a été enregistré à Valparaiso ! Étonnant.

On part se manger une bonne Paila Marina (soupe typique de bestioles marines, avec des trucs difficiles à identifier dedans), arrosé de vin local un peu trop costaud. On a l’impression de ne pas s’être quitté longtemps et la présence amicale de la compaña (le petit nom qu’on a donné au petit groupe) nous réchauffe un peu.

De retour à l’Erratic Rock, Chakana nous sert une Bamba maison à la guitare, je renchéris avec un bon vieux Amore (faut bien perpétuer la légende en Amérique du sud), et puis un Andres Calamaro, plus couleur locale.


Vendredi 20 août

Journée salvatrice de glande. Le petit déjeuner donne le ton, avec plein de céréales et de yaourts différents, du vrai café en grain, une omelette bien épicée, et du pain à la tomate et à l’origan maison, avec tout ce qu’on veut pour mettre dessus (confitures, dulce de leche = sorte de confiture de lait dont ils raffolent…).

On pas grand-chose d’autre à foutre que se reposer, écrire, bouquiner, trouver des trucs à faire dans les jours à venir (ça s’est pas rien), et rendre un petit renseignement à trouver pour nos potes (qui sont partis la journée pour l’excursion au parc) : comment rejoindre Ushuaia d’ici le lendemain soir. Évidemment, le petit service va se transformer en véritable mission : aucune entreprise de bus ne va à Ushuaia demain, mais des bus partent ce soir pour Punta Arenas, où ils pourront prendre le lendemain un bus. Les tickets s’achètent d’une agence de la place… fermée en hiver. Ah non, il n’y a même pas de bus en hiver, ils ont arrêté tout le trafic, pas assez de monde. Ah si finalement, avec une autre agence, mais pas sûr, et les billets ne peuvent s’acheter nulle part à Puerto Natales. Argh, la spirale de l’échec semble refaire son apparition.

Dans une des agences, on voit une offre en gros pour une excursion d’une journée permettant d’aller voir une colonie de pingouins, vers Punta Arenas. Un truc cool à faire ! Ah, ce circuit n’ouvre que début septembre… échec.

Du coup on rentre à l’auberge où on sollicite Ivo (un autre gars de l’Erratic) pour qu’il nous trouve un truc à faire. Il se renseigne sur un circuit en bateau pour aller voir les baleines qui vivent dans les fjords du bout du monde : le truc dure 3 jours et coûte 900 € par personne ! Échec.

Il a un pote, Fernando, qui pourrait nous emmener dans les fjords en zodiaque, une excursion à la carte, dans le temps qui nous reste… excellent. Le gars passe nous voir et nous met l’eau à la bouche, en nous disant que c’est un des trucs les plus beaux à voir dans le coin, et qu’on serait seuls dans un paysage de bout du monde. Il finit par cracher un prix : 825 € pour 2 jours ! Faut pas craquer. Échec.

On tente de se réfugier sur des activités moins ambitieuses. On pourrait aller se faire un spa ? Coups de fils… non, le spa est fermé en, hiver. Echec.

Nacho me parle du Padel, dérivé du tennis bien pratiqué dans le pays, qui se joue dans une moitié de terrain avec des raquettes plus petites. Je lui demande s’il veut jouer avec moi, il est super motivé, il y a un terrain en ville. Appel. Personne ne jouait, ils ont transformé le truc en discothèque. Échec.

Je me fous sur Internet pour me raccrocher à quelque chose… la connexion Wi-Fi se coupe. Je demande à Nacho s’il peut mettre un match de tennis à la télé. Il veut bien, mais la chaine sur laquelle ça passe ne fonctionne pas aujourd’hui, il ne comprend pas. Double échec.

Nos amis rentrent en fin de journée : ils ont eu un temps sublime, ils rentrent émerveillés. Évidemment, on ne peut qu’être ravis pour eux… mais merde, je suis vert d’avoir fait confiance à la météo pour la veille !

Chakana rentre en même temps qu’eux. On lui raconte nos galères, il nous explique que c’est le premier hiver où l’Erratic Rock est ouvert. Qu’on est un peu des pionniers en cette saison, et que grâce à nous et à la demande que nous créons, les services vont se multiplier. Ok, je veux bien. Mais juste un avis : ouvrir la voie au tourisme en Patagonie l’hiver, j’aurai plutôt tendance à déconseiller.

Pour nous remercier de leur avoir réservé leur ticket, les copains nous offrent une bonne bouteille de rouge et du un délicieux chocolat. Ça fait quand même du bien de les avoir avec nous ceux là... ah merde, ils se cassent. On se dit au revoir pour de vrai cette fois, mais avec la ferme intention de se recroiser quelque part.

Cette journée a finit de piétiner mon moral, et je me sais particulièrement irritable et pas de meilleure compagnie. Alice, elle, continue à voir les événements du bon angle, garde sa bonne humeur du moment, attendant patiemment que l’orage passe.

On a fait des courses et on se prépare une bonne soupe avec plein de bons légumes du marché. Alice a la main très lourde avec le poivre… bon mais difficilement mangeable ! Échec.

Ça ira mieux demain.
Get Well Soon


Samedi 21 août

Lever vers 9h, on s’est finalement décidé à faire du kayak avec Fernando, le gentil gars qui nos proposait le trip hors de prix en zodiaque. Le Kayak, c’est plus dans nos cordes financièrement, et ça se passe aussi dans les fjords. Mais quelle idée de faire du kayak par ce froid (5°C environ) ! On ne l’aurait pas eu tout seul en tout cas.

On fait une vingtaine de km en 4x4 pour arriver dans une minuscule station portuaire squattée par deux catamarans et une famille de flamands roses. Fernando, la quarantaine, très doux et plein d’enthousiasme, nous raconte l’histoire du patelin : Ultima Esperanza (dernier espoir) est le lieu où ont débarqué les tous premiers conquistadors, un peu déprimés par un rude voyage et l’arrivée sur une terre patagonienne quelque peu hostile (d’où son appellation). Une famille allemande s’est ensuite installée ici au début du 19ème siècle et a fait fortune avec la laine de mouton avant de perdre presque tout et finir par surnager en ouvrant le truc au tourisme. On aura droit toute la journée à des tranches d’histoire, des explications commentées, Fernando est généreux.

Ses kayaks de mer ont trop la classe, avec une dérive qu’on contrôle avec les pieds. On s’emmitoufle dans des combinaisons complètes en néoprène, des anoraks, des gilets de sauvetage… et on s’enfile un double kayak avec Lilice. Fernando est lui tout seul, et nous met à l’amende sans forcer. Mais on prend vite le pli et on glisse assez vite le long du fjord. On croise des tas d’oiseaux, cormorans, cygnes, mouettes, et même un aigle qui se laisse porter par le vent un peu plus haut. La journée est fraiche mais le soleil se pointe souvent et la traversée est magnifique. On est seul sur l’eau… jusqu’au passage d’une dizaine de kayaks en pleine compétition, suivis par des zodiaques de flics ou des bateaux arborant fièrement des drapeaux pirate ! Et puis la tranquillité se réinstalle. On débarque sur une île, on fait le tour d’une incroyable baraque laissée à l’abandon par une famille qui en avait marre de vivre dans ce paradis désertique. Quelques tombes délabrées jonchent le sol un peu plus loin, des membres de la famille sûrement. Un lièvre de Patagonie (de taille impressionnante) surgit d’une touffe et file comme l’éclair se cacher de l’autre côté de l’île. Plus inquiétant, un chien un peu plus loin… on se pas à qui il peut être, mais il aura du mal à partir d’ici.

On repasse au "port" chercher un pique-nique qu’on va prendre un peu plus loin, dans un bras de fjord plus escarpé, plus perdu. On est en train de ramer entre des terres de steppes désertiques et des montagnes enneigées, avec l’odeur de la mer dans les narines. On se sent à la fois à la montagne, à la mer et dans le désert. Certains passages sont encore gelés et les kayaks doivent fendre la fine pellicule de glace formée sur l’eau pour les franchir. Fernando raconte qu’il lui est déjà arrivé de partir sur plusieurs jours dans la tierra del fuego (terre de feu), avec des températures si basses à la nuit tombée que les kayaks restaient coincés dans la glace plusieurs jours avant de pouvoir repartir !

On accoste pour profiter du casse-croûte et du café chaud transporté jusqu’ici par Fernando. Ce dernier trouve qu’on rame vite, comme tous les européens. Sans vouloir rentrer dans les clichés, il nous dit que la provenance des touristes se devine facilement à leur manière de faire du kayak : les européens assurent bien, les asiatiques font du sur place (ils avancent un peu, puis reculent en se faisant entrainer par le courant pendant les prises de photos), les israéliens vont n’importe où comme des enfants, les vikings du nord (suède & co) rament comme des forcenés, les russes vont partout, même dans des cascades hyper dangereuses, sans aucune notion du risque… on se marre bien à chaque explication.

On profite jusqu’au bout des paysages spectaculaires autour de nous, on grimpe en haut d’une colline pour mieux se rendre compte de l’enchevêtrement des fjords. Il est finalement 17h quand on rentre au port. Fernando nous parle de la « lumière de 5h » qu’il affectionne particulièrement, le moment où la Patagonie est la plus belle, avec le soleil presque à l’horizontal, des couleurs magnifique et une température qui monte étonnamment de quelques degrés pendant quelques instants. C’est vrai qu’on n’a pas si froid. On l’aide à ranger le merdier, à ficeler les kayaks.

Sur le chemin du retour, je lui pose des tas de questions sur sa vie au Chili, la politique au cours du temps, le merdier habituel. Il est assez passionnant. Raconte son enfance sous Allende, les souvenirs de longues heures de queue pour obtenir un bout de pain, alors que le pays subissait un boycott international. Et puis les images qu’il lui reste de la prise de pouvoir de Pinochet, les avions, les bombes, la peur. Il raconte la dictature, et compare avec le Chili moderne. Il est triste de constater que malgré l’horreur d’un tel régime et la tuerie sans scrupule de tous ses opposants, ceux qui ne bronchaient pas avaient une meilleure protection sociale et étaient davantage sur le même pied d’égalité que maintenant. Selon lui, les riches chiliens d’aujourd’hui n’auront jamais de problème avec leur santé ou même la justice, alors qu’on accuse les pauvres de tous les maux, qu’ils sont souvent sans couverture sociale et sans défense. Il estime que les socialistes qui ont gouverné le pays pendant 20 ans n’avaient de socialistes que le nom, qu’ils ont tout libéralisé sous l’égide du Progrès, et n’ont rien changé du système mis en place par Pinochet. Le système éducatif par exemple qui est pourri mais n’a jamais changé d’un iota. Il se plaint que les jeunes actuels n’ont aucune idée de ce qu’a été la dictature, qu’ils ne l’apprennent pas dans les programmes d’histoire, et qu’il ne pensent qu’à avoir des vêtements de couleurs à la mode ou la dernière console de jeu. Je lui fais remarquer que c’est malheureusement le lot de tous les pays "développés".

Il parle encore de l’hypocrisie des chiliens, qui d’un côté vont fonder des familles et se tourner vers la religion, pour derrière mieux regarder les autres femmes et faire n’importe quoi.

Je lui demande s’il parle, lui, de sa vie et de la dictature avec ses propres enfants (4, 13 et 19 ans). Il ne répond pas tout de suite, et finit par avouer que non, qu’ils sont trop différents, que c’est une autre époque, qu’ils ne comprendraient pas… avant d’admettre qu’il devrait le faire. La discussion ne cesse de rebondir, et je suis déçu de devoir la stopper net quand la jeep s’arrête devant l’Erratic Rock. On le remercie chaleureusement pour toute cette journée passée en sa compagnie.

Le soir, nouvelle soupe de légume maison : moins poivrée, elle est délicieuse.


Dimanche 22 août

Dimanche, grasse mat obligatoire. On prend un peu le temps, on glande, on caresse les chats. Et puis on prend un taxi qui nous emmène au pied d’une montagne, à quelques km de la ville, en direction de l’Argentine. Une vieille dame très grosse et pas bien stable (elle est à deux doigts de se vautrer sur la glace en prenant les devants à notre arrivée) nous accueille avec un accent incompréhensible et nous fait payer un droit d’entrée dans sa propriété, seul chemin d’accès au sommet en haut duquel on espère arriver.

Le sendero Dorotéa est mi boueux, mi neigeux, pas top agréable. Ça commence à bien monter, et on a du mal à savoir par où passer, à distinguer les signes rouges sensées nous indiquer le chemin. Ça continue à grimper un peu plus, et l’épaisseur de neige se fait de plus en plus haute. Après 1h30 de grimpette bien raide et glissante (Alice en a vite marre), on arrive en haut. On voit le Chili et l’Argentine, les fjords entremêlés, la jolie ville de Puerto Natales accrochée à l’un d’eux, les montagnes de partout… et bien sûr, l’océan au loin, mais avec beaucoup d’imagination. Ayant oublié de recharger mon appareil photo, on gardera ça jalousement dans nos têtes. La vue de cette terre de Patagonie est au moins aussi saisissante que le vent qui souffle en grosses bourrasques, et qui nous pousse à ne rester que peu de temps en haut. Le retour est beaucoup plus fun, on glisse dans la poudreuse comme des fous pour arriver en bas en moins d’une demi-heure, les pieds trempés mais contents comme des gosses. La sorcière de la montagne nous sert du thé, des crackers, du fromage et des biscuits en attendant le taxi. Comprends rien à ce qu’elle nous raconte.

A notre retour à l’auberge, tout le monde est posté devant la télé. Depuis 2 semaines, les infos parlent de 33 mineurs bloqués au fond d’une mine qui s’est écroulée. Au hasard de nos pauses café, on a régulièrement surpris des prises de parole du président Piñera ou des familles de victimes en larme. Je me rappelle, l’événement était survenu alors qu’on arrivait juste à Chiloé. Coup de théâtre, les chercheurs ont réussi à creuser un trou de diamètre très fin jusqu’à un refuge, et ils y ont remonté un message écrit avec de la pierre rouge : « nous sommes dans le refuge. Nous allons bien. Les 33 ». Énorme émotion devant la petite télé de l’auberge (et dans tout le pays), on voit les mineurs qui sautent de joie, grosses accolades, les familles en pleurs, le président qui revient vite pour faire un discours larmoyant en disant qu’il y a toujours cru, que le pays a mis à la disposition la pointe de la technologie pour les retrouver bla bla, et qu’il dédie ces retrouvailles et cette ode à la vie à sa belle mère qui est morte ce matin… il est très bon.

Un peu plus tard, la télé parvient à faire passer une mini sonde en bas du trou, et une première photo de la tête d’un mineur en bas apparait sur un petit ordi portable filmé par toutes les caméras. Il n’y avait de quoi survivre que 6-7 jours en bas, et ça fait 18 jours qu’ils y sont, plus personne n’avait d’espoir. Bref, c’est LE truc du jour, vécu à grand renforts de médias. Les sœurs de Chakana (qui étaient venu passser le dimanche à l’auberge en famille et jouer au UNO) ont les larmes aux yeux, et viennent nous chercher à chaque nouveauté : discours de la mère du plus jeune de 18 ans, de l’épouse du plus vieux de 78 ans qui était à quelques semaines de la retraite, lettre remontée à une autre maman. C’est à chaque fois une nouvelle émotion. Le pire c’est qu’on se prend au jeu, on a l’impression de vivre un truc fort et à l'unisson avec les chiliens... c'est rigolo.

C’est notre dernière soirée ici, on traine un peu avec Chakana et les chats, on se fait des pâtes. Il sort la guitare et se met à jouer Vanina en espagnol… après tout, il est peut-être temps de partir !


Dimanche 22 août

Réveil à 6h. Chakana nous prépare un dernier petit déjeuner en sifflotant. Il nous a donné plein de conseils pour Valparaiso, nous a réservé une auberge à la cool, nous appelle un taxi. L’adieu aux chatons est un déchirement pour Alice (pour moi aussi mais ça fait pas très viril). Accolade d’au revoir. Comme toujours, c’est au moment ou on reprend la route qu’on se rend compte se qu’on laisse derrière, qu’on se laisse envahir par l’insidieux vague à l’âme du départ. Chakana insiste pour qu’on dise aux gens de venir en Patagonie en hiver… oui oui, on le fera.

Petit trajet en bus de moins de 2h pour arriver à Punta Arenas. Grande ville construite au bord du détroit de Magellan. De l’autre côté, la terre de feu, l’île ultime qu’on ne foulera pas cette année. On laisse nos mochillas dans l’agence qui nous vend nos tickets pour l’aéroport, quelques heures plus tard. On s’est gardé un moment ici pour se promener et prendre le pouls de cette ville encore plus australe. Je fais remarquer à Alice qu’on a de la chance, qu’il fait beau. 5 minutes plus tard, un nuage a tout recouvert et la pluie se met à tomber !

On se réfugie dans un café. La pluie se transforme vite en neige, c’est la tempête. Un quart d’heure plus tard, le soleil est revenu. Le temps, ici, c’est n’importe quoi. En vérifiant les billets sur Internet, et en voulant faire le check-in en ligne, un message étrange s’inscrit. J’ai pas mal galéré pour acheter ces billets car il fallait avoir un compte paypal avec une carte bleue associée. Il n’y a pas eu de soucis jusqu’à ce que Paypal m’envoie un mail pour me dire que quelqu’un était probablement en train d’utiliser mon compte à mon insu. Ce quelqu'un c'était moi. Ils m’ont donc restreint mon compte jusqu’à ce que je leur en fournisse la preuve. J'ai fait tout ce qui m'étais demandé : changer de mot de passe, changer de questions persos, faire un débit sur mon compte puis noter le code qui apparaissait 2 jours plus tard sur mon relevé de compte, leur envoyer un justificatif de domicile en ligne… bref je me suis acquitté de toutes leurs conneries. A l’agence de Puerto Natales, j’avais fait vérifié, les billets étaient bien résevés à nos noms. Et le débit du montant avait été fait sur mon compte. Mais quand même, pour être sûr, on décide de vérifier auprès de l’agence d’ici. La meuf me dit que oui. Ah mais non, bizarre, les billets ont finalement été refusé par paypal il y a 2 jours et annulé, et… ah mince, le vol est à présent plein, complet, plus de place, over. Je sens le truc monter le long de mon épine dorsale, je regarde Alice… non c’est pas possible, je suis maudit, j’y crois même pas. Le cauchemar recommence…

Je demande à voir la chef de l’agence, explique tout le maudit processus… je suis dépité. Elle nous fait poireauter de longues minutes en disant qu’elle va essayer de trouver 2 places dans cet avion, mais que rien n’est sûr. On se dit qu’on va devoir rentrer en bus, et qu’on aura juste le temps de rejoindre Santiago, au revoir Valparaiso. Finalement la meuf nous explique qu’elle peut nous avoir 2 places, mais à plus du double du prix précédent. Ça fait quand même 360 € de plus en tout. Et d’autres personnes sont sur la liste d’attente, elle veut bien insister pour nous mettre en haut de la pile si on prend une décision immédiate. A-t-on vraiment le choix ? Elle comprend notre tourmente et nous accorde gentiment une ristourne de… 12 €. Ah ouais, cool. On se dit qu’on est bien dans la thématique du moment : « dépenser du pognon » (voiture à racheter, appartement, voyage au Chili…), on y va donc gaiement.

Il est un peu tard. Coup de fil, le minibus devant nous emmener à l’aéroport passe nous prendre à l’agence, fait un détour pour qu’on aille chercher nos sacs… ouf, on va finalement bien partir aujourd’hui. A l’aéroport, on apprend que le vol a un retard d’une heure. Tout est normal.

Lundi 23 août - Valparaiso

21 août 2010

Perito Moreno & Fitz Roy : têtes d’affiches du sud Argentin

Vendredi 20 août

Après un début sérieux, j’ai finis par prendre du retard. Le voyage commençant à approcher de son terme, l’écriture se fait plus rare, moins systématique, comme mise à mal par l’intensité de l’instant. El Calafate… El Chalten… ces destinations aux noms étranges résonnent déjà comme lointaines, alors que la sauvage Puerto Natales, au Chili, nous a déjà ouvert ses bras hivernaux il y a deux jours. Tant bien que mal. Mais ceci est une autre histoire, commençons par le commencement. C’était il y a 6 jours. Déjà.


Samedi 14 août

Au terminal de bus d’El Calafate, une nana souriante nous paye le taxi jusqu’à son auberge, l’America del Sur. Le soir, on se retrouve encore avec Elodie et Fanny, avec qui le courant passe vraiment bien. L’ambiance est excellente, tout le monde se trimballe en chaussettes (avec le chauffage au sol), ça joue de la guitare sur une mezzanine chill out, ça cuisine, ça picole, ça discute en toutes les langues. Après trois nuits un peu "compliquées", on se prend une chambre pour nous, avec vue sur le lac en contrebas, coucher de soleil, lit bien confortable. "It’s a new done, it’a a new day, it’s a new life… and I’m feeling good"

Le soir, asados (barbecue) préparé par le personnel fin cool de l’auberge, avec assortiment de légumes et salade (aubergine dorée, courge, tomate, patate douce sautée, lentilles assaisonnées, condiments…), et excellente viande de bœuf à volonté. On se prend un Pinguin de rouge (pichet en forme de pingouin qui dégueule le breuvage dans les verres) pour arroser le tout. Festin. On se sent bien avec nos deux nouvelles copines, avec qui on trinque en faisant déjà des projets pour les jours à venir.


Dimanche 15 août

La nuit est salvatrice. Pas de réveil programmé, sinon l’envie de profiter du petit déj (offert jusqu’à 9h30). La journée est à nous, on en profite pour se reposer, c’est dimanche, merde. Petit saut à l’extérieur tout de même, pour aller visiter la petite ville d’El Calafate, se promener près du lac partiellement gelé, et dire bonjour aux 200 mouettes, 3 flamands roses et 2 rouge-gorge (martins-pêcheurs ?) squattant la lagune de la réserve naturelle du patelin. Il ne fait pas si froid et le soleil est toujours là. On croise quelques touristes et quelques locaux, mais la petite bourgade qu’on soupçonne de grouiller en haute saison nous montre une face bien apaisée. On sent quand même au nombre d’hôtels, d’agences, de banques et de restos que le bled vit du tourisme, généré par la proximité du glacier Perito Moreno. On se pose dans un petit établissement pour manger, j’en profite pour regarder 3 balles de la finale du tournoi de Toronto opposant Federer à Murray.

Le soir, on se retrouve à l’auberge avec Elodie autour d’une soupe déshydratée, alors que Fanny passe la nuit dans un hôtel 4 étoiles (avec jacuzzi dans la chambre), cadeau d’arrivée de son amoureux qu’elle est allée cherche à l’aéroport. N’en déplaise à nos papilles malmenées, on passe encore un putain de bon moment à trainer, discuter, bouquiner, partager. On se sent vraiment bien avec Alice, dans un lieu si reculé et chaleureux, loin de nos quotidiens, tellement heureux d’être ensemble, ici.


Lundi 16 août

On sort de bonne heure de notre lit douillet : aujourd’hui, on se fait le Pito Moreno. On a réservé une espèce de tour complet d’une journée, avec mini-trekking à même le glacier en point d’orgue. On se retrouve tous dans le bus, avec Elodie, Fanny et Miro (Miroslaw de son nom entier, polonais d’origine). Le courant passe aussi bien avec lui qu’avec les filles.

Premier arrêt en vue du fameux glacier. Même de loin, une tuerie. Une impressionnante avancée de glace dégringolant des montagnes, surgissant de la vallée, et s’arrêtant net à l’embouchure un bras de lac, comme figé, laissant apparaitre un mur de glace de 3km de large et jusqu’à 60m de haut (équivalent à un immeuble entre 15 et 20 étages selon l’endroit). Cette avancée de glace provient de l’immense glacier qui recouvre 300km du nord au sud, entre le Chili et l’Argentine. On se trouve ici dans sa partie la plus méridionale. C’est un des très rares glaciers dans le monde à ne pas être en rémission, il se maintient. En perpétuelle avancée, il est donc alimenté par suffisamment d’eau (de neige se transformant en glace) dans ses hauteurs pour repousser la glace du bas (qui se disloque avec l’érosion) vers une ligne relativement stable. C’est aussi le glacier le moins haut de la planète, peu au dessus du niveau de la mer. Le soleil est encore de la partie et le paysage de carte postale fait son petit effet.

Avant d’embarquer dans un bateau, on nous demande de bien retenir son nom pour ne pas se tromper au retour : Alacalufé. Je retiens que c’est un truc qui ressemble à Dieucapeté… j’oublierai pas. On traverse donc le bras de lac. Le Perito est sur notre droite. Plus on s’en rapproche, plus sa présence se fait imposante. Soudain un grand fracas… un gros pendant de glace vient de s’écrouler dans l’eau dans un coup de tonnerre assourdissant. Une vague générée par la chute vient faire tanguer un peu l’embarcation. A couper le souffle.

De l’autre côté de l’eau, la vue est encore splendide. Des condors tournoient au dessus des montagnes derrière nous. On nous sépare en groupes de 20 pour fouler le glacier. On se rend compte qu’on est quand même super nombreux : 60 passagers par bateau, un bateau débarquant toutes les demi-heures… c’est la première fois du voyage qu’on est aussi entouré. Un guide nous explique comment marcher sur la glace : en canard en montant (marchant naturellement en canard, je n’aurai pas de souci), les pieds dans le sens de la pente en descendant. On nous sangle des crampons à nos chaussures. Les premiers pas on se sent un peu patauds, mais on s’habitue. On se retrouve donc vite sur la glace. C’est quand même un peu pète gueule, mais grimper sans glisser sur une surface glacée et pentue a quelque chose de jubilatoire. On se retrouve vite à l’intérieure de petites vallées de glace, en faisant attention aux trous et autres crevasses ponctuant le parcours. Tout est blanc et bleu autour de nous, on traverse des paysages lunaires, aux formes douces et tranchantes à la fois. On grimpe sur un étang gelé dans une cuvette, un guide met des coups de piolets pour faire craquer la surface, qu’on puisse goûter l’eau pure (et glaciale) juste en dessous. Et puis on finit dans une excavation dans laquelle est installée une petite table, et un whisky irlandais nous est servi, baigné dans de la glace ramassée elle aussi à même le flanc de glacier suite à trois petits coups de piolet.

L’expérience est vraiment sympa, si ce n’est la désagréable sensation de faire partie d’une machine touristique bien huilée, avec un groupe juste devant nous, un autre juste derrière. On est loin d’être seuls sur la glace, on ne s’écarte pas trop du bord du glacier, et une pause est organisée toutes les 5 minutes pour prendre des photos, on n’a donc pas la sensation de vraiment vivre une expérience extrême comme le ventait la brochure !

Retour à la terre ferme. Après un casse-croûte partagé, et l’observation de nouveaux morceaux de glace s’écroulant dans l’eau, l’Alacalufe (désolé, ça me fait vraiment rire) nous fait retraverser le bras de lac, puis le bus nous dépose sur la péninsule Magellan, sur laquelle ont été installés des km de passerelles pour pouvoir admirer le Pito Moreno d’un peu plus haut et sous tous les angles, à une distance très proche. On se promène donc une petite heure d’un balcon à l’autre, passant de mirador en mirador. Le ciel s’est couvert, mais le spectacle reste saisissant.

On est de retour en ville vers les 18h. Ça fait quelques jours qu’on n’arrive plus du tout à retirer de l’argent (alors qu’on devrait pouvoir), et on commence à être un peu just. Courses en ville, réservation de bus. Le soir, barbecue qui tue rebelote, avec nos amis dont on ne se sépare plus trop. On se remplit la pense en reprenant moult fois de leur viande excellentissime, leurs accompagnements succulents, et on se ressert des Pinguin de vin sans trop compter.


Mardi 17 août

Le réveil est encore pénible, il sonne un peut trop ces temps-ci. On a tous les deux mal au ventre (qu’on a mis à rude épreuve la veille au soir), et Alice a un peu plus la crève chaque jour. Je suis moi aussi un peu enrhumé. Pas la grande forme donc, mais on se rend aujourd’hui à El Chalten, à 3h de bus au nord dans la région des glaciers, connu pour ses paysages de montagnes, avec la big tête d’affiche qu’est le mont Fitz Roy.

A peine sorti de la chambre, on tombe des nues : il a neigé toute la nuit et la neige continue à tomber sans relâche, tout est blanc dehors. Le taxi qui vient nous prendre pour nous conduire au terminal de bus s’enlise dans la neige devant l’auberge et met du temps à partir. Le chauffeur nous dit qu’il n’a pas neigé depuis plus d’un mois… ah ok. Des fenêtres du bus, les paysages de Patagonie se sont transformés en d’immenses étendues blanches desquelles dépassent quelques touffes gelées. Des guacanos (petits lamas) courent en troupeaux dans ces étendues vides.

Petite pause à mi-parcours dans un établissement perdu au milieu de rien. On apprend que c’est ici que Billy the Kid, sa femme et son pote Butch Cassidy se sont réfugiés pendant un mois en 1894, alors qu’ils étaient recherchés dans tous les Etats-Unis pour leurs nombreux braquages et autres méfaits. Le bout du monde, on a vu pire comme planque.

Il est 11h30 quand on arrive al Chalten. La neige a cessé de tomber mais son manteau recouvre la ville et les montagnes. Passage obligé par la cabane du gardien du parc, où on nous explique les sentiers praticables, l’attitude à avoir si on croise des animaux. Pique-nique dans une auberge où nos trois amis s’installent pour la nuit qui vient, avant de partir tous ensemble sur un sentier partant au nord ouest en direction d’un lac de montagne et d’un spot de luxe sur les sommets starifiés. Le sentier est enneigé mais praticable, la balade grimpe bien sans être trop pénible, et on fait de nombreuses pauses pour profiter de vues plongeantes sur la jolie vallée enneigée. Le sentier contourne un gros rocher à pic trônant sur la montagne, traverse un petit bois. Le soleil fait une apparition au dessus des arbres, une sublime lumière diaphane se taille un chemin entre les branches. Parvenus au fameux mirador, les nuages gris sont revenus et on ne voit absolument plus rien devant nous. Et puis petit à petit, la brume s’estompe, on distingue un pic rocheux dans le brouillard, puis deux, et progressivement le Fitz Roy fait son apparition. Cette montagne aux contours cabossés de hauts pitons rocheux s’élevant vers le ciel a effectivement une putain de classe. Et le voir sortir de la brume de cette manière est juste magique. Elodie prépare un maté bien chaud (tisane locale qui se sirote dans un gobelet en cuir un peu tuné) qu’on se fait tourner, alors que les nuages reprennent progressivement d’assaut tout le ciel, ne laissant plus une miette découverte. On continue la balade jusqu’à l’objectif de notre mission : le lac de montagne. Recouvert de neige, classe. On glisse dessus, bataille de boules de neiges, photos, blagues à la con : parfait. Mais le ciel continue à faire la gueule, et on finit par se casser.

Le retour est tout autre : la neige a énormément fondu en quelques heures, et le sentier est à présent plutôt gadoueux. La vallée est elle aussi transformée, ne laissant que quelques vagues lignes blanches, mais ayant repris de ses teintes originelles, vertes et brunes. De retour à l’auberge, il est temps de se dire au revoir : nos trois amis restent ici pour la nuit, alors qu’on rentre dormir al Calafate pour attraper un bus en direction de Puerto Natales, au Chili, le lendemain. Au revoir chaleureux, échange de mails et de Facebook (tien, ça n’existait pas encore quand j’ai commencé à voyager), on se quitte à regrets.

Je m’endors un peu dans le bus retour, et me réveille un peu de mauvais poil. Fatigué, froid, marre. Le fait de se retrouver seuls peut-être, ou tout simplement une réaction à tant de froid en "plein été" ! Il est déjà tard, il fait nuit depuis longtemps. Les distributeurs refusent toujours de nous donner de l’argent. L’auberge est loin à pieds, on glisse sur la neige, on se mouille dans la gadoue.

Soupe déshydratée et yaourt en guise de repas du soir. Le cuistot (pure touch, bonne gueule, barbe de 3 jours, bonnet stylé retenant des longs cheveux, chantant tout le temps) doit sentir mon humeur et mets la BO d’Into The Wild d’Eddie Vedder à fond. On discute musique pendant un bon moment, il hallucine sur mon boulot, trouve que c’est le plus beau du monde. Je retrouve un peu de jus et de sérénité avant de m’abandonner à la nuit.


Mercredi 18 août

Dans le bus matinal en direction de Puerto Natales, on se retrouve à côté de deux français qu’on avait déjà rencontré le temps d’un petit déj à Chiloé, et qu’on avait croisés le long d’un sentier de montagne la veille au Chalten. Vincent et Anastasia, étudiants en médecine, trekkeurs fous. Ils ont déjà passés 4 jours à parcourir le parc Torres del Paine, aux abords de Puerto Natales, énorme tuerie et raison de notre halte, connu pour être l’un des plus beaux au monde. Ils ont un peu triché en prenant l’avion depuis Puerto Montt pour descendre dans le sud, d’où leur relative avance sur nous. Ils disent être venus à bout du fameux "W"(parcours de 4-5 jours de trek à l’intérieur du parc), qu’il est complètement praticable et qu’ils n’ont jamais rien vu d’aussi beau. On est rassuré. La steppe Patagonienne continue de défiler au son de Ghinzu et de tous nouveaux morceaux de Fake Oddity qu’ils viennent de m’envoyer par mail… l’album en préparation va vraiment être énorme. Nouvelle frontière Argentine-Chili. Nord-Sud cette fois. Sacs fouillés, plein de paperasse, nouveaux tampons sur les passeports… qu’Alice garde jalousement depuis le début du périple, refusant que je les touche en dehors des frontières ! Comprends pas…

Vendredi 20 août - Puerto Natales

16 août 2010

Premiers pas (milliers de km) en Argentine

Dimanche 15 août - El Calafate

On y est enfin. On n'a pas emprunté la route prévue, on a hésité, on a tergiversé, on s'est laissé convaincre, on s'est enfilé des milliers de bornes d'Asphalte, mais on a finit par y arriver. Au sud de la Patagonie, si près de la pointe sud du continent, dans cette région si lointaine qui regorge de trésors naturels, dont j'espère pouvoir vous parler ici même d'ici quelques jours. Mais replongeons d'abord dans ces quelques derniers jours à mille à l'heure, les premiers passés en Argentine, pour le meilleur et pour le pire...


Mercredi 11 août

Bus. Frontière. Paperasses. On est au beau milieu de la cordillère des Andes, des montagnes partout, de la neige aussi. Le ciel est étrangement séparé en deux : gris côté chilien, complètement dégagé côté argentin ! On y traverse encore quelques heures de montagnes (enneigées, rocheuses, parfois verdoyantes), en longeant d’interminables lacs bleus installés à leurs pieds. Les paysages nous bercent avec l’aide des Smashing Pumpkins et de leur vieil album Pisces Iscariot, regorgeant de trésors oubliés comme Landslide ou Starla.

Arrivée à Bariloche (prononcer "Barilotché", à la française ça manque un peu de finesse), grande ville bâtie sur une colline à flanc de lac, avec des montagnes enneigées en fond d’écran. C’est une station de ski très prisé, notamment par les brésiliens, d’où son surnom "Braziloche". On pourrait aussi l’appeler la Suisse argentine, au vu de ses nombreux chalets aux jolies architectures mêlant pierre et bois, et surtout vu la quantité de boutiques vendant du chocolat en centre ville ! Les vitrines en exhibent des fontaines, des tablettes de tous les noms, toutes les formes, toutes les couleurs et tous les goûts. L’européanisation est beaucoup plus présente dans cette ville que toutes celle qu’on a traversé au Chili, ressemblant à s’y méprendre à une station de sport d’hiver de chez nous. On s'y sent tout de suite moins bien, un peu nostalgique des jours précédents, petit coup de fatigue, passager sans doute.

On prend quartier dans une auberge vraiment sympa, El Gaucho (désignant le cowboy argentin typique, pas le vieux coco), gérée par une nana non moins sympa, souriante et avenante. A Bariloche, les gens nous paraissent soit carrément dédaigneux, répondant à peine, donnant l’impression qu’on leur fait perdre leur précieux temps dès qu’on s’adresse à eux, soit au contraire d’une gentillesse infinie, prenant tout le temps qu’il peuvent pour discuter avec nous et nous aider si besoin. Leur accent est par contre assez particulier, avec les « ll » prononcés « ch », et il me faut parfois faire répéter plusieurs fois avant de comprendre des mots pourtant simples. On s’installe dans un dortoir pour une fois, les prix étant nettement plus intéressants.

Petite bouffe sur le pouce en centre ville dans un café bruyant, les serveuses nous parlent à peine. Tentative de demande d’infos dans les agences de tourisme, on nous répond sèchement que si on ne souhaite rien leur acheter ça ne les intéresse pas. Dans une autre agence, un gars passe du temps pour nous expliquer gentiment : la fameuse ruta 40, qui descend jusqu’au sud du pays en longeant la cordillère des Andes, est elle aussi fermée à cause de l’hiver, la neige, le gel. Si on souhaite se rendre au sud, il faudra obligatoirement faire un grand détour, et soit 40h de bus environ ! Hum, on verra demain. Un lendemain qui vient péniblement, à essayer de trouver le sommeil dans des lits étroits et durs… et séparés.


Jeudi 12 août

La personne de l’accueil a changé, c’est maintenant un grand gars bien costaud, moustachu, dans un pur style bavarois (!), rugueux au premier abord, mais tout doux dans sa manière de s’exprimer, et les yeux qui scintillent. Il nous fait un prix sur les chambres, passe des coups de fil pour nous aider à nous organiser. On est à un croisement de notre voyage, et il est temps de faire des choix, de calculer les jours qui nous restent, de tracer notre itinéraire, quitte à prendre des chemins imprévus. Et c’est le bavarois qui nous convînt : avant de descendre, nous ferons finalement une halte à l’est, sur la côte atlantique du pays. C’est la main sur le cœur et les larmes au bord des yeux qu’il nous parle des baleines qu’on peut aller voir à Puerto Madryn : « une des plus belles choses que j’ai vu, c’est la chance de votre vie, à cette saison vous pouvez voire des centaines de "Bachenas" depuis la plage ! ». Je mets du temps avant de comprendre de quoi il parle… Alice m’aide à tilter : il parle bien de "ballenas" (baleines). Ce con est très convaincant, on décide de partir le soir même.

L’après-midi, on emprunte un bus local qui longe le littoral sur 18 km vers le nord-ouest avant de nous laisser aux pieds du Cerro Campanario, en haut duquel on se laisse hisser par un télésiège. On est un peu loin de la station de ski et cette petite colline n’est absolument pas recouverte de neige. Il fait un soleil éclatant et dans les 12°C. Du sommet, on a une vue à 360° sur le parc national Nahuel Hapi, ses bras de lac aux reflets vifs, entrelacés à perte de vue, ses chaines de montagnes aux cimes enneigées comblant l’horizon. Époustouflant. On s’accorde un chocolat chaud dans la confiserie fièrement installée au sommet, offrant une vue panoramique sur ce paysage improbable.

On rentre à temps au Gaucho pour prendre une douche avant de s’enfiler les quelques 15h de bus qui nous séparent de la côte. Je n’aurai jamais vu l’océan pacifique et l’océan atlantique en si peu de temps.

Dans le bus, on fait vite connaissance avec Isabelle, 32 ans, française (on reconnait facilement les français, c'est "l’effet Quechua"), instite à Barcelone. Elle a l’air cool, on lui propose de se louer une voiture à trois à notre arrivée à Puerto Madryn, pour être libre d’aller voir les baleines et autres animaux où on veut et comme on l’entend : elle est tout de suite d’accord.

15h de trajet, ça fait long, mais les sièges-lits sont larges et plutôt douillets dans ce bus à 2 étages. Grande classe, goûter (18h), dîner (22h) et petit-déjeuner (6h45) sont inclus dans le prix du trajet. Évidemment, c’est loin d’être bon. Mais l’intention est sympa. Une télé (juste au dessus de nos têtes) diffuse (bien trop fort) des films (de merde). La aussi l’intention est louable. Le stewart, très speed, me demande de rejoindre mon siège dès que je me lève, d’éteindre ma frontale dès que je l’allume, de relever mon dossier dès que je l’abaisse pour m’allonger. Mais il a une bonne tête. Bref tout va bien. Après 2h de route, barrage de police, check des passeports par des agents armés, et les chiens sont lâchés dans le véhicule ! Rien ne semble suspect, si ce n’est un passager qui a le mauvais goût de porter des dreads et d’avoir l’air bien trop cool. Il cherche quand même. On le fait descendre, fouille de tous ses bagages… rien. Fausse alerte. Le bus repart dans la nuit, et on essaye de trouver le sommeil.


Vendredi 13 août

On a réussi à dormir un peu. L’arrivée à Puerto Madryn, 7h, du matin, n’en est pas moins pénible. Isabelle part à son hôtel pendant qu’on achète des billets de bus pour rejoindre la véritable Patagonie australe… départ le soir même à 19h, pour encore 18h de trajet non-stop jusqu’à Rio Gallegos, où on ne sera plus qu’à 4h d’El Calafate, prochaine étape sérieuse de notre aventure. On a donc la journée entière pour profiter de Puerto Madryn et de la réserve faunique de la péninsule Valdès.

On loue près de la plage une superbe Opel Corsa blanche, histoire de remuer le couteau dans la plaie… pardon, une Chevrolet Corsa, Opel ayant été racheté par Chevrolet dans cette partie du globe ! Et c’est parti. Bonheur de conduire soi-même, de ne pas être dépendant d’un chauffeur, d’un horaire fixe, d’un itinéraire tracé. On sort progressivement de la ville en suivant le port avant d’emprunter des petits chemins de terre aux abords de l’océan. Isabelle est définitivement sympa, on lui raconte le Chili, elle nous parle du nord de l’Argentine, ça papote dans l’habitacle. Soudain on aperçoit des jets à la surface de l’eau, et puis on voit des formes sombres sortir avant de replonger… des baleines ! On sort en courant admirer les mammifères marins du haut d’une petite falaise. Il y en a plusieurs, et pas si loin que ça, une centaine de mètres tout au plus ! On reste des plombes en se disant que c’est trop beau.

Quelques km plus tard, on a l’impression qu’il y en a encore davantage. On est à marée haute, au moment où les baleines sont le plus près du bord. Et effectivement, il y en a plus encore, surgissant par intermittence de l’eau à quelques 50 m du bord. Impressionnant.

On continue comme ça, à s’arrêter régulièrement, avec un nombre de mammifères marins toujours plus abondant, jusqu’à arriver au spot ultime, une grande plage, avec pas mal de monde… et on comprend pourquoi ces gens sont ici et pas ailleurs : tout ce qu’on a vu jusque là n’était rien, et on avait l’air bien ridicule à s’extasier devant trois queues qui plongent au loin ! C’est juste un truc de fou : des dizaines de baleines (d’environ 12m de long chacune) surgissant juste devant nous, à quelques mètres seulement de la plage, accompagnées d’un chuintement sourd. Il y en a partout, qui tournent sur elles-mêmes en battant des nageoires, se mettent sur le dos, sortent leur grosse tête (quelque chose de monstrueux quand même), plongent dans l’eau ou s’amusent à laisser leur queue dépasser. Le spectacle est vraiment addictif et on a beaucoup de mal à se décider à remonter dans la voiture, quelques heures plus tard !

On paye ensuite le droit d’entrée de la réserve faunique, et on prend à peine le temps de s’engloutir un sandwich à Puerto Piramide, payé en euros par manque de pesos, avant de repartir sur les routes en terre d'une vaste étendue plate et désertique à l'intérieur de la péninsule. On croise à peine quelques voitures, quelques troupeaux de moutons, de guanacos (plus petits et plus vifs que des lamas), de vaches, et on se gare de l’autre côté, à une petite centaine de km de l’entrée. On se balade le long d’une superbe plage à marée basse, et quelques éléphants de mer au loin (sorte de gros phoques longs de 5m) qui dorment comme des étrons sur la plage. Isabelle croise un tatou. Des centaines d'oiseaux ont élus domicile sur la grève. Il fait beau. Le temps nous épargne ces derniers jours, et ça fait un bien fou.

On n’a pas le temps de s’éterniser, on repart vite en sens inverse sous peine de rater le bus. La traversée retour est encore plus déserte, on ne croise quasi rien ni personne sur la large route sableuse et caillouteuse. La vitesse est limitée à 60 km/h, je ne comprend pas et roule plutôt à 90 voire 100… jusqu’à la traversée subite de 2 guanacos que je suis à deux doigts d’emboutir… je comprends alors le danger et fais plus attention. Je me dis qu’à l’heure qu’il est, on a quand même bien évité les galères, qu’aucun gros tracas n’est venu assombrir le voyage, et j’avoue trouver ça assez louche. On rentre effectivement sans encombre, à l’heure pour rendre la voiture et attraper le bus suivant… vraiment très louche même.

On dit au revoir à Isabelle, avec qui on a passé une journée super sympa à bien tchatcher et à s’extasier comme des débiles devant des baleines. Quelques mètres plus loin, on entend parler en français… 2 filles à côté desquelles on se retrouve tout à l’avant du bus dans lequel on s’installe, à l’étage. On sympathise rapidement là aussi. Elodie est prof d’anglais en Guyane, et Fanny scénographe de musées à Lille. Ca rigole rapidement, et les discussions partent dans tous les sens. Le bus part, plein sud cette fois. Le "dîner" est un peu meilleur que la veille mais les sièges moins confortables : on est passé d’un bus cama (lit) à semi-cama, moins large et moins douillet. Je m’endors pourtant sans mal, et pas si tard.


Samedi 14 août

La nuit a été un peu turbulente, entrecoupée par les multiples réveils pour trouver une position plus confortable que la précédente, sans trop y parvenir. Juste en dessous de nous, le chauffeur et son staff ont fait la tawa toute la nuit, avec de la musique disco à fond, des chants, des percussions sur la vitre… un peu casse-dodo, mais rigolo à écouter quand même. Le nouveau stewart nous réveille à 8h en criant qu’il est l’heure du petit déjeuner. Sinon il ne pipe pas un mot et exécute ses tâches sans sourire. Alice n’a pas trop bien dormi et commence à être enrhumée. Mais ça va, on n’est pas si mal. Le soleil se lève sur les terres désertiques de la Patagonie, et on voit dérouler sous nos pieds la route asphaltée, posée droite au milieu de steppes. Pas de neige en vue, peu d’animaux, seulement une étendue plate et aride à perte de vue. On sait qu’on est au sud, très au sud. La conscience d’être plus au sud qu’on ne l’a jamais été dans sa vie à chaque seconde qui passe est particulièrement grisante. Aucune musique ne va mieux avec ce qu’on est en train de vivre qu’Off He Goes de Pearl Jam, les yeux perdus au loin, le bus grignotant chaque instant un peu de la distance nous séparant du bout du monde.

Arrivée à Rio Gallegos. On achète tout de suite des tickets pour le prochain bus en direction d’El Calafate, plus à l’Ouest, en remontant un peu au nord vers les montagnes andines. On part à 14h, arrivée 18h30, après deux contrôles de flics.

Samedi 14 août - El Calafate

12 août 2010

Chiloé, archipel de légendes

Mercredi 11 aoûtBariloche (Argentine)

C'est d'Argentine que je poste ce récit des quelques quatre derniers jours. Des journées particulièrement riches, entre la tranquillité empreinte de légendes de l"île Chiloé, la rencontre avec Che Guevarra, les lacs perdus aux confins de la cordillère des Andes, les beaux moments humains partagés, à cheval ou autour d'un verre... étonnement, c'est déjà avec beaucoup de nostalgie que je revis ces instants à l'écrit, alors que l'arrivée dans la grande ville d'Argentine qu'est Bariloche nous est quelque peu pénible et que la magie de ces jours hors du temps semble déjà s'estomper...


Samedi 7 août

A Pargua, le bus monte dans un ferry qui le transporte rapidement de l’autre côté, à Chacao. Sur l’île, les paysages sont morcelés et sauvages, avec de nombreux lacs ou fronts de mer, on se sait pas trop. Terminal de Castro, petite capitale et point central de l’île. A l’hospedaje Cordillera, la dueña nous accueille avec un sourire d’une chaleur rare, et on n’hésite pas longtemps avant de s’installer dans une jolie petite piaule pas chère (entendons-nous, pour le Chili) avec vue sur la mer.

On a l’après-midi pour découvrir la ville. Globalement très mignonne avec ses petites maisons aux façades peintes en bois et aux toits et murs en taule découpée, dans la lignée de Puerto Varas. Il fait gris mais ne pleut (presque) pas, et le soleil fait de belles apparitions, teintant chaleureusement la ville de ses rayons déclinant. La plaza des armas abrite une grande église en bois classée au patrimoine mondial de l’Unesco, à l’instar de 15 autres églises de l’archipel. Car Chiloé n’est pas qu’une île, mais une multitude de petites îles entourant un grand îlot central.

Une légende explique cette géographie : autrefois l’île n’était constituée que d’un unique bloc compact. Le serpent Ten-ten Vilú, régnant sur la terre et les créatures terrestres, se serait livré à un combat contre le serpent Coi-Coi Vilú, régnant sur la mer et les créatures marines, chacun d’eux faisant monter tour à tour et respectivement le niveau des mers et de la terre. Le serpent Coi-coi Vilú aurait pris le dessus, ce qui explique pourquoi l’eau serait montée d’un cran, ensevelissant une partie de l’île et ne laissant que quelques montagnes côtières émerger, formant les nombreuses petites îles autour.

Chiloé est un lieu pétri d’histoires comme celle-ci. Les anciens de l’île transmettent depuis des siècles contes et légendes, et Chiloé s’est créé avec le temps une mythologie propre, regorgeant de personnages magiques "classiques" (sorcières, sirènes...) mais aussi de créatures intrinsèquement liées à l’île. El Trauco par exemple, gnome répugnant s’accouplant aux jeunes vierges à travers des rêves impurs, expliquant les enfants hors-mariage. Mais aussi la Pincoya, belle femme nue dansant sur les plages et dictant la fertilité des eaux et l’abondance du poisson et des coquillages. Ou encore la Fiura, petite sorcière à l’insatiable appétit sexuel vivant dans la forêt et dont le souffle provoque la sciatique. Il y a aussi le mythe du Caleuche, bateau pirate fantôme piloté par des brujos (sorciers) et pouvant se déplacer sous le niveau de l’eau, provoquant des naufrages de bateaux de pêcheurs. Et beaucoup d’autres. On ne peut ignorer cette mythologie qui transparait par touches un peu partout, notamment dans les créations artisanales et les livres bien sûr. J’en achète deux pour me familiariser avec ces fascinantes légendes.

Mais revenons à la ville. Tout le centre est érigé sur une grande butte dominant l’océan, donnant sur quelques îles au loin, et laissant deviner les côtes chiliennes à l’horizon. A marée haute, l’eau vient lécher les fondations de bois des Palafitos, maisons sur pilotis construites aux abords de l’eau, le long de bras de mer s’engouffrant dans la ville. Eux aussi sont classés au patrimoine de l’Unesco. Ca sent l’iode, les algues, les mouettes, et des bateaux de pêche sont amarrés un peu partout, voir échoués à même la grève à marée basse.

Un ami de Nico l’Ardéchois nous aide à organiser une cavagata (ballade à cheval) pour lundi. En attendant on flâne, on profite de l’air marin et du relatif calme de la ville. Relatif, car malgré le peu de touristes, il y a quand même beaucoup de vie, beaucoup de magasins ouverts tard, une ambiance qui brasse à la nuit tombante. Comme dans les autres villes qu’on a traversé, les enfants sont un peu les rois, et une boutique sur deux leur est dédiée : fringues, jouets… Les pharmacies sont ouvertes 24/24, comme certaines banques. D’ailleurs il n’est pas rare de trouver des distributeurs de pognon dans les pharmacies, qui diffusent aussi souvent de la musique dansante un peu fort. En gros, si les boîtes sont fermées, tu peux toujours aller teufer dans une bonne pharmacie ! Pour revenir au pognon, le Chili est quand même ultra cher, surtout si on ose comparer les prix avec la Bolivie. Tout est finalement à peu près au même prix qu’en France, on est donc obligé de faire un peu plus attention à nos dépenses (en France, on ne dort pas à l’hôtel tous les jours !).

Au Café Ristretto, on découvre un mot de remerciement écrit la veille par Audrey et Mathieu du Café du bout du monde à Lyon. Quelqu’un les connait ? C’est vrai qu’un bon expresso, ça change du Nescafé qu’on nous sert systématiquement.


Dimanche 8 août

On prend un peu le temps de se lever, se doucher, et se faire servir un copieux petit déjeuner par la dueña de l’hôtel (toujours aussi souriante et pleine d’allant), en regardant l’émission « Les maçons du cœur », diffusée à la télé de la salle à manger. Sordide.

Un microbus local nous conduit jusqu’à Achao, pittoresque village sur une autre île qu’on rejoint une fois de plus à l’aide d’un ferry. Le soleil perce encore par moment entre deux pluies fines. On se balade le long du port et de la mer. Des vieux pêcheurs accrochent leurs barques à des conglomérats de polystyrène (??), des femmes étendent leur linge, le soleil se reflète sur l’eau, on se laisse bercer par le feulement des vagues, la brise marine, la quiétude de ce petit village qui nous semble si loin de tout. Sur la place, une autre jolie église en bois classée. Une messe y est donnée (on est dimanche), on entre discrètement… elle est très belle à l’intérieure, très lumineuse, toute de bois recouverte… et blindée de monde qui prie, on se casse.

On prend un autre bus pour rejoindre Dalcahué, autre village « sur les terres », de l’autre côté de la traversé en ferry. Une foire artisanale s’y tient le dimanche. Le port est magnifique, avec des pêcheurs sont en train d’écailler le contenu de leurs filets et le de le vendre directement aux passants, sans sortir de leur bateau. Des bateaux sont de toutes les couleurs, ravivées par un soleil qui fait à nouveau une belle percée. Les rues sont un peu en ébullition, toutes sorte d’artisanats sont proposés, mais aussi des liqueurs de coin (un peu risquées) et des ponchos en laine de mouton (un peu rêches). La liqueur la plus connue est la « licor de oro », est obtenue en mélangeant du lait, de l’alcool, du sucre, des clous de girofle, des citrons, du safran, des amandes amères, des gousses de vanille et une pincée de cannelle !

A notre retour à Castro, on se sent véritablement détendu, comme happés par la sérénité que dégagent les environs. Je me plonge à nouveau dans les légendes du coin. Mais on va quand même s’enfiler un bon vieux menu « hamburger frites coca » dans un café resto blindé du centre ville, histoire de pas trop se laisser dériver non plus.

La nuit tombe rapidement sur Castro, on va faire des emplettes au supermarché et on se prépare un bon casse-croûte pour le lendemain, avant se sombrer dans des rêves tripés, dans lesquels j’organise des concerts pour des êtres étranges dans des îles fantômes…


Lundi 9 août

Le réveil sonne à 6h45. Même pas mal. Ou peu. On se lève aussi vite que possible et on dégringole la colline jusqu’au Palafito hostel, où on a RV avec le fameux Wilki, dont Nico l’Ardéchois nous a parlé et qui semble haut en couleur. Dès son arrivée, on comprend : Wilki, c’est Che Guevara ! Son portrait craché. On va passer la journée à cheval avec le Che. Cool. Il nous invite à monter dans son pick-up pour rejoindre Cucao, à 1 heure de route de Castro.

Dans l’habitacle, ça se met vite à parler de pleins de trucs, ça fuse, ça parle musique, mode de vie, politique et nature… Wilki est un gars passionné et passionnant, qui s’occupe d’environ 25 chevaux dans les environs de Castro et qui donne des cours de théâtre et est diseur de contes dans des écoles du coin. C’est un dingue d’histoires et il a à cœur de perpétuer la tradition des anciens de transmission orale des légendes liées à Chiloé. Il nous en raconte quelques unes, comme celle du Cachafaz qui permet à celui qui n’a aucun don pour la musique de maitriser un instrument en suivant un rituel magique faisant apparaitre dans l’obscurité le Cahafaz, qui transmet le savoir musical. Il nous parle de groupes de rock d’Amérique latine à découvrir. Il est par ailleurs fan de Mike Patton et Mr Bungle ! Bref, le courant passe.

Je lui demande de nous donner ses sentiments sur la politique actuelle du pays, lui demandant s’il n’est pas triste que la droite soit repassée au pouvoir après 20 ans à gauche (qui suivait 16 ans de dictature avec Pinochet, de 1973 à 1989). Il me répond qu’il préfère ne pas en parler, que ça lui donne envie de pleurer, mais admet ne pas avoir été convaincu par le dernier gouvernement de gauche : « des intellectuels exilés en Europe pendant la dictature et souhaitant transformer le Chili en pays européen, en axant tout sur l’économie, sans prise en compte des individus, de notre histoire, de nos différences », il n’a donc pas voté pour la première fois de sa vie. Selon lui, Piñera, le nouveau président, sait gérer une entreprise et faire de l’argent (il l’a prouvé en devenant l’une des fortunes du pays), mais n’a aucune expérience dans la gestion politique et la direction d’une nation. Pour autant, Wilki pense que cette élection est une bonne chose, espérant qu’elle générera un électrochoc dans une classe politique de gauche trop sûre d’elle et un peu endormie sur ses 20 ans de pouvoir, où il y a eu ponctuellement de bonnes choses comme la présidence de Michèle Bachelet (au pouvoir de 2006 à 2009) à qui il porte un grand respect. Je lui explique la situation française qui est un peu comparable, avec une gauche pas convaincante et manquant cruellement de leader crédible face à une droite s’amusant en attendant à grignoter progressivement les droits sociaux acquis à la force d’années de luttes. Il me demande comment va Carla Bruni. Encore elle.

Toutes ces discussions n’ont pas lieu que dans la voiture bien sûr, on passe en fait toute la journée à échanger, suggérer, s’interroger l’un l’autre. Je traduis à Alice quand elle ne comprend pas, mais elle comprend globalement assez bien, même si elle a du mal à parler par elle-même.

La Cavalgata en elle-même est super agréable, malgré un temps très nuageux, voire un tantinet pluvieux. On enfourche nos montures à Cucao, de petits chevaux bien robustes avec des selles bien confortables, constituées d’une épaisse laine de mouton. Le cheval d’Alice est un peu pénible mais elle le mate, excellente cavalière qu’elle est. C’est moins mon cas, mais mon cheval est cool (un punk à crête) et je suis à l’aise. Après mon expérience de cavalier mongole, plus rien ne peut m’atteindre. On sort lentement du village bordant le lac Cucao, puis on traverse une prairie sablonneuse avant de débarquer sur l’immense plage, face à l’océan pacifique. Cette fois on est sur la côte ouest de Chiloé, c’est le vrai océan, avec l’Australie tout au bout. La marée est montante, le vent souffle fort et les vagues sont assez hautes. Wilki nous explique qu’il est interdit de se baigner ici, même en été, trop dangereux. On longe l’océan pendant un bon moment vers le nord, sur le sable ou sur des dunes un peu touffues donnant des points de vue sur la plage, mais aussi sur les montagnes boisées (cyprès et végétation sauvage) du grand parc national Chiloé à notre droite. Wilki se lamente de la déforestation dont ce dernier est la victime, notamment dû à l’installation de grandes lignes électriques sillonnant une nature jusqu’alors épargnée par l’empreinte de l’homme. Il se rappelle que lorsqu’il était enfant, cette partie de l’île n’était accessible qu’en bateau en traversant les lacs adjacents, ou à cheval. Une route en terre a été construite il y a 30 ans, et cela fait seulement 2 ans qu’elle est recouverte d’asphalte.

On met la nostalgie de côté, et on part au galop sur les dunes de sable. Sentiment grisant de liberté. La marée continue à monter par vagues successives. On arrive ainsi au bout de la plage, face à une petite montagne qui avance sur la mer. Le niveau est monté et on doit traverser l’eau pour rejoindre l’autre bord et grimper sur la montagne. Mais plus on avance dans la mer, plus on s’enfonce, et les vagues qui déferlent font peur aux chevaux. Wilki se retrouve les pieds dans l’eau, on ne voit plus les pattes de son cheval… il nous dit qu’on peut passer sans problème… avec de l’eau jusqu’au dessus des genoux ! On décide donc de faire marche arrière et on se trouve un petit coin tranquille entre montagne et dunes, protégés du vent par quelques arbres. On partage notre casse-croûte avec Wilki qui a oublié sa bouffe en partant un peu vite. Il nous raconte encore son adolescence sous Pinochet, l’esprit de révolte qui émanait alors de la jeunesse, les grands espoirs suscités par les élections démocratiques de 89. Il avait alors 17 ans. Il nous raconte un peu sa vie, nous parle de sa femme et sa fille, son projet de construire une maison « écologique », ses voyages et là où il a vécu : Bolivie, Pérou, Tierra del fuego… originaire de Chiloé, il a beaucoup voyagé sur le continent et fait pas mal de métiers. Je lui raconte un peu Lyon, et mes voyages à moi. Il trouve que l’un des seuls immenses avantages qu’offre la mondialisation est la possibilité de voyager, d’aller se balader de part le monde et partager ses expériences, comme on est en train de le faire. Wilki, c’est une belle rencontre.

Le retour est un peu long et pénible, avec la grisaille qui n’en finit pas et un vent qui s’immisce partout et nous frigorifie. Et puis à force, le dada, on a beau pérorer et faire le cavalier fier sur sa selle, ça fait mal au cul. Mais cette journée en compagnie de Wilki, seuls à cheval sur une plage paumée dans une ambiance de bout du monde, aura été d’une incommensurable richesse. Le Che nous raccompagne jusqu’à Castro dans son vieux pick-up, dont la vitre gauche un peu bringuebalante à l’aller cède carrément sur le retour. Il nous dépose au terminal de bus après mains remerciements, promesses de se recontacter, de s’envoyer par mail des noms de groupes à écouter.

Le bus s’éloigne de Castro, passe par Ancud, puis se laisse transporter par le ferry l’éloignant de cette archipel envoutant qu’est Chiloé, qui donne vraiment un goût de reviens-y. On sonne à la casa Margouya de Puerto Varas à 22h30. Marie nous ouvre avec un grand sourire (et quelques cernes laissés par l’énorme teuf la veille), on est de retour dans nos quartiers.


Mardi 10 août

Le réveil sonne (encore une fois) un peu tôt. C’est aujourd’hui qu’on se fait la traversée du lac Todos Los Santos. On a décidé d’attendre avant de s’y jeter, parce que ça ne vaut vraiment le coup que s’il fait beau temps, parait-il. Et c’est couvert.

On monte quand même dans le premier bus à destination de Petrohué, un poil après les cascades du même nom. Le village n’est quasiment composé que d’un hôtel 5 étoiles et d’un embarcadère. On prend place dans un grand catamaran de tourisme à 2 étages. On est seuls à l’intérieur. Avant l’arrivée de 4 bus bondés de personnes du troisième âge, de familles bourgeoises et de lycéens de sortie. L’embarcation est prise d’assauts et le calme laisse la place à brouhaha et bousculades.

Les nuages matinaux se sont fait la malle, et le soleil entame sa montée dans un ciel totalement dégagé. On voit parfaitement le volcan Osorno, qui culmine juste au dessus du lac du haut de ses 2660 mètres enneigés. Toutes les montagnes exhibent leurs versants bien verts, d’où surgissent quelques cascades, et leurs cimes bien blanches. L’eau est bleue verte et calme et miroitante. Le bateau commence la traversée. Un guide prend le micro et donne des détails (en espagnol et en anglais) sur le lac, son histoires, ses volcans, sa vie, son œuvre. On passe devant une île appartenant aux propriétaires de la compagnie, le gars nous présente leur maison, leur terrain, leur cimetière. A côté de ces informations inutiles, le spectacle est juste fascinant. Le lac, immense, est dominé par la cordillère des Andes, et gardé par 4 volcans, le dernier, El Tronador (3491m) ayant un versant chilien et l’autre argentin. Des lycéennes chiliennes (« qui me kiffent grave », dirait Raph) insistent pour être prises en photo avec nous.

Au bout de 2 heures de traversée, le catamaran s’arrime au port de Puella. Tous les passagers courent s’assoir dans un car qui les transporte jusqu’au village… 800 m plus loin. Soudain, ce petit bled charmant, paumé entre lacs et montagne, se transforme en parc d’attraction touristique : canopée, balades à cheval, restaurants chers… On essaye autant que possible de sortir de la meute, en marchant le long du sentier. Un gardien du parc national Vicente Pérez Rosales dans lequel on se trouve nous donne des infos sur les sentiers à parcourir, et nous conseille d’aller frapper à la porte d’une petite maison jaune, à deux pas, si on veut manger un menu pas cher en dehors du vacarme ambiant. On s’exécute. Une petite dame un peu âgée nous ouvre, l’air interrogateur. Je prends la parole : « nous sommes deux français et… » « Ah, vous venez de la part d’Angelica ! Entrez, vous êtes les bienvenus, je vais vous préparer à manger ! ». Euh… ok, on s’assoit à une table. Dans la petite pièce, l’équipage du bateau est déjà en train de déjeuner. On nous sert une bonne soupe de lentille, une salade de tomate, du bœuf, du riz, une salade de fruit, un café… le top. On ne paye quasi rien et la dueña nous inonde de sourires. En partant, elle nous rappelle de faire plein de bisous à Angelica de sa part : qui qu’elle soit, on la remercie bien !

Petite balade jusqu’à une cascade, avant de grimper un peu sur la montagne pour avoir une vue sur le lac, un peu à l’écart de la fourmilière. Alice est super contente de monter encore un sentier bien pentu, mais très peu de temps par contre. Il fait vraiment beau, on se sent bien, perdus entre les montagnes dans cet écrin ensoleillé avec vue sur un lac splendide, je me retrouve en T-shirt pour la première fois du voyage.

Le retour est ultra reposant, le catamaran traverse à nouveau les paysages de rêve avec un soleil un peu plus bas, éclairant différemment lac, sommets et cascades. Alice s’endort.

On arrive à temps à Petrohué pour monter dans le dernier bus en direction de Puerto Varas. "Cuando Te Conoci" d’Andrés Calamaro résonne dans les hauts-parleurs alors que le soleil rougeoyant se couche derrière le lac Llanquihue. A destination, on s’installe au Tronko’s autour de bonnes bières artisanales et d’une grande paella espagnole. On raconte Chiloé à Nico, Marie et Riche, qui sont contents qu’on aie rencontré leur pote Wilki, et qui nous font nous rendre compte de la chance qu’on a de voyager à un moment si paisible, avec si peu de touristes, et de pouvoir profiter d’une plage de Chiloé pour nous tout seuls par exemple. Ils nous conseillent aussi pour la suite, et sont plutôt encourageants. On se fait servir un bon Pisco (alcool local à base d’alcool, de jus de limon, de sucre et de blanc d’œuf), et la soirée prend fin à l’auberge, où on discute encore un moment avec Marie et une autre française qui vit ici, dans une ambiance détendue. Marie nous offre des pignons géants à faire bouillir (provenant d’un arbre du coin) et quelques piments. On se sent à la maison.


Mercredi 11 août

Encore ce satané réveil. On attend avec impatience la prochaine grasse mat. Surtout Alice avec sa légendaire bonne humeur du matin. On se prépare un petit déj avec les denrées qui nous restent, puis taxi jusqu’au terminal de bus. Toute la presse locale fait la une sur une nana de Puerto Varas recherchée depuis 42 jours (on a vu des affiches un peu partout depuis notre arrivée) et dont le corps a été retrouvé sans vie dans sa propre maison la veille, alors que son mari disait l’avoir vu sortir, et que les policiers enquêtaient depuis des semaines. Le mari devient le suspect n°1 de l’affaire. Bien sûr, je m’achète la presse et me passionne pour le dossier de 6 pages sur cette mystérieuse histoire, fait rare dans un bled aussi petit que Puerto Varas.

Le bus part. Dans quelques heures, nous seront en Argentine.

Mercredi 11 aoûtentre Puero Varas (Chili) et Bariloche (Argentine)

08 août 2010

Puerto Varas, à la croisée des tranquilles

Samedi 7 août - Castro

Avant d’avancer plus avant, encore une petite anecdote inquiétante vécue à Pucón, omise dans le précédent récit : le dernier soir, alors que nous rentrons à l’auberge, une voiture de la Policia est stationnée juste devant, gyrophares allumés. Deux agents en costume kaki se tiennent droits comme des i dehors, juste à côté de la porte d’entrée extérieure de notre chambre. Ils ne répondent pas à notre salut embarrassé. Quelques minutes passent dans la chambre. Je me risque à jeter un œil à l’accueil : trois personnes inconnues, civiles, qui semblent agacées de ma présence, me disent d’avancer plus loin. Alexis n’est pas là. Le feu est presque éteint, il fait sombre. L’un des hommes ouvre les placards de la pièce et scrute les étagères avec une lampe de poche. Je m’enfui à nouveau jusqu’à la chambre, sous l’œil torve du policier, dehors. J’y retourne 15 minutes plus tard : la voiture n’est plus là, ni les trois inconnus, et Alexis, derrière son comptoir, arbore son plus beau sourire de surfeur. Je lui demande ce qui s’est passé : « nada, nada ! », souriant. Je n’y avais plus repensé depuis, mais ça ne vous parait pas étrange, à vous ?

Mais revenons à nos moutons, plus au sud, du côté de la jolie Puerto Varas…


Jeudi 5 août

Puerto Varas. Dès notre arrivé, on est frappé par les nombreuses maisonnettes (d’architecture allemande, on l’apprendra par la suite) dont les façades joliment peintes sont constituées de multiples petites lattes de bois juxtaposées (un peu comme des tuiles), avec des toits en ardoise bien typiques. On se croirait un peu en Finlande. Les quelques rues qui constituent le centre ville sont agglutinées à proximité d’une grande baie portuaire, porte d’entrée de l’immense lac Llanquihue dont on ne distingue que les contours les plus proches avant de les perdre dans la brume. Une atmosphère de quiétude se dégage de ce qui semble être un sympathique village de pêcheurs, et on y ressent une forme d’authenticité qui faisait un peu défaut à Pucón. Le temps, lui, est plutôt au gris.

A la casa Margouya, petite auberge bien bab’ au 1er étage d’un bâtiment jouxtant le lac, Marie nous accueille chaleureusement. C’est une jeune française sympa qui gère le lieu avec son copain chilien Richie, pendant que Nico, l’ardéchois à l’origine du truc, s’occupe d’un pub à bières qu’il a ouvert la rue d’à côté. Pas cher et roots, avec une super petite cuisine équipée et une pièce centrale super agréable avec des tentures multicolores, une table, de la musique, un chien qui dort sur un fauteuil. Quand on explique à Marie qu’on compte descendre jusqu’à la terre de feu, elle fait une espèce de grimace que j’ai déjà vu… sur tous les visages des gens à qui on a parlé de notre itinéraire ! Rassurant.

Petite promenade sur une petite colline boisée dominant la ville et le lac. L’activité accrobranche y est possible… l’été. Des zizis de taille clairement exagérés sont griffonnés à la hâte sur des panneaux de signalétique en bois. Ça, c’est comme le Coca Cola, yen a vraiment partout, signature universelle d’une race humaine masculine définitivement portée sur son attribut de naissance. La redescente vers le centre nous permet de croiser encore de nombreuses maisons top classes, dont les toits sont irisés par une belle éclaircie.

Petite soirée cool à l’auberge, de lecture, de discussions, d’Internet et de quelques fruits.


Vendredi 6 août

Il a plu toute la nuit, mais le ciel semble un peu plus clément ce matin là. On se prépare un festin au petit déj à base de victuailles achetées la veille dans un supermarché : salade de fruits frais, yaourts, café, œufs brouillés au fromage, jus d’orange pressé… avant de se diriger vers la rue d’où partent les micro-bus en vers les alentours. Direction les fameux Saltos de Petrohue, sur une rivière idéale pour faire du rafting… l’été. Le spot, à 1h30 de route, vaut vraiment le coup d’œil : de magnifiques cascades coulant puissamment le long d’étroites gorges et se déversant dans des cuvettes d’eau bleu turquoise. On peut admirer ce paysage spectaculaire depuis des petites passerelles construites juste au dessus. Et on ne s’en prive pas.

On reprend un bus jusqu’au départ du sentier « le solitario » sensé courir sur 6 km en contrebas du volcan Osorno, et traversant différents types de paysages. On commence par 2 km environ de forêt, le chemin monte un peu mais pas trop, plutôt agréable. Et soudain on se retrouve à l’air libre, plus de sentier, plus rien. De larges travées de sable noir et de roches volcaniques sillonnent un paysage aride essentiellement composé de grosses pierres recouvertes de mousse vert clair. On se décide à suivre une travée noire qui semble grimper vers le volcan… jusqu’à ce qu’elle rejoigne une autre travée et que le paysage nous semble suffisamment hostile et sujet à se perdre pour rebrousser chemin, en suivant nos traces de pas dans le terrain sablonneux noir pour être sûr de retrouver le sentier en sens inverse !

Dans le bus retour pour Puerto Varas, il se met à pleuvoir dru dehors. Abba se met à résonner dans les enceintes du véhicule. L’averse passe, un rayon de soleil irise le lac et un arc-en ciel apparait. Comme par hasard. Merci Abba.

En ville, on essaye de voir les possibilités dans le coin et de prévoir la suite. Plein de trucs à faire, mais la météo des jours à venir ne semble pas s‘y prêter, on décide donc de partir passer quelques jours sur l’île de Chiloé (un peu au sud, sur l’océan pacifique) avant de revenir dans le coin profiter des lacs et des sommets volcaniques, dont on n’a pu pour l’instant que deviner la présence derrière un épais plafond nuageux.

Tous les chiliens que nous rencontrons ici, de l’office de tourisme aux agences de voyages en passant par les serveurs de cafés et les passants, passent beaucoup de temps à nous aider avec une gentillesse rare, essayant de répondre à chaque question avec précision, nous écrivant toutes les infos sur des feuilles de papier, nous recommandant des amis à contacter à différents endroit. Dans la rue, les voitures s’arrêtent pour nous laisser passer aux clous et les conducteurs nous font un signe de la main avec un grand sourire. Dans les bus, tout le monde se salue chaleureusement et les chauffeurs font des crochets de plusieurs centaines de mètres dans des petites rues en terre pour déposer des usagers juste devant chez eux. N’importe qui peut monter et descendre n’importe quand. La vie s’écoule paisiblement ici, et on sent une belle humanité, des gens qui prennent soin les uns des autres. Une jolie leçon de vie. Seul étrangeté, commune avec les boliviens : ils mangent tous des glaces à longueur de journée, en plein hiver. Pourquoi pas.

A la casa Margouya, Marie et Richie ont la belle vie (pardon, pas pu m’empêcher... ah non merde c'était Ricky). Ils se préparent du bon boudin poêlé dont le fumet nous donne l’eau à la bouche. On mange finalement des filets de saumon trop cuits baignant dans une sauce trop grasse à base de crème, d’huile et de fromage ! On finit par une bonne bière artisanale au Tronkos, le pub de Nico l’Ardéchois, chevelu, barbu, LE gars cool des magazines, qui a tout lâché il y a 10 ans pour venir accueillir le monde dans ce havre de paix et lui faire goûter sa bière. Une bière exceptionnelle par ailleurs, à la belle amertume teintée de miel. On rentre dans une auberge vide, tout le monde est sorti faire la fête (il faut dire qu’on est les seuls hôtes du moment !). On se sent un peu comme chez nous ici.


Samedi 7 août

Le bus pour Chiloé part à 9h15 de l’autre bout de la ville, on est à l’heure. Il fait assez beau, mais des nuages menacent encore. Le temps est très changeant dans cette région des lacs. Le bus s’enfonce vite dans une brume compacte, avant de ressurgir en plein soleil puis de se prendre une nouvelle radée ! Les merveilles de la technologie nous permettent d’écouter sur l’iPod le dernier album d’Arcade Fire, "The Suburbs", sorti il y a à peine quelques jours. Un ferry fait traverser au bus le détroit pour atteindre l’île de Chiloé. Le paysage y est assez magique, beaucoup de plus petites îles accrochées, de brume, d’où surgissent de petites maisons espacées et quelques troupeaux. On se laisse bercer par "Harrowdown Hill" de Thom Yorke ou "Weeping Willow" de Sebastien Schuller, qui collent parfaitement avec le paysage.

Samedi 7 août - Entre Puerto Varas et Castro (île de Chiloé)