29 juillet 2011

Madagascar, un an plus tard

Vendredi 29 juillet

Un an a encore passé… comme une étoile filante.

Un enchainement de concerts, de soirées, de saut d’une urgence à une autre, de nouveaux projets, nouvelles stimulations, nouvelles remises en question, nouvelles déceptions, et puis de nouvelles motivations qui ressurgissent… et des coupures régénératrices, des parenthèses salvatrices, des plongeons dans d’autres univers fictionnels qui aident parfois à mieux appréhender le réel.

Des nouveaux venus aussi, Adélie et Léon dans la famille, Arya, dans la famille aussi un peu, et puis d’autres à venir encore. La relève, toujours plus nombreuse, telle une armée de bambins prête à changer le monde et à nous mettre à l’amende d’ici pas si longtemps !

Un nouvel appartement à St-Paul, un vrai chez nous avec Alice, dans lequel on se sent particulièrement bien.

Un an a encore passé, et même pas pris le temps de raconter la fin du voyage l’été passé, les jours précieux passés à Valparaiso, cette ville dont on ne peut que tomber en amour… mais les souvenirs s’agrippent, au moins les plus tenaces, ceux qui resteront, et j’ai bon espoir de noircir de mots, un jour, ce carnet inachevé.

Un an a encore passé, et entre deux festivals, une tournée au Québec avec La Mine de Rien et l’enregistrement du nouvel album de Fake Oddity, me voici à nouveau dans l’avion. Avec Alice bien sûr, et Laurent (Lolo), l’invité surprise, le troisième homme, bien que deuxième paire de roubignoles (non, je n’oserai pas le mot c*******, il y a des gens bien ici). Ça devrait bien rigoler.


Lundi 25 juillet

Les sacs sont bouclés, bien que tardivement. Petite appréhension d’avant départ, on n’y échappe pas, et puis l’impression que chaque mail reçu est trop important, qu’il faut que j’y réponde sans faute… du mal à tout lâcher. TGV Lyon-Paris Roissy. Aéroport, salle d’embarquement, je me connecte frénétiquement, passe des coups de fil, envoie des mails comme un mort de faim… embarquement, déconnexion, décollage. Air Austral, gros engin, gros nanars de circonstance (Le Dernier Templier, Iron Man…), grosse difficulté à trouver le sommeil.


Mardi 26 juillet

Transit à St-Denis, La Réunion, au petit matin. A la descente, on voit par les hublots les montagnes de l’île qui culminent juste au dessus la ville, ça donne envie. Sortie de l’aéroport : on est bien en France. Mêmes plaques d’immatriculations, mêmes flics, mêmes cabines, mêmes pubs… je me demande bien à quoi ça sert de faire 10h de vol et de traverser les hémisphères pour se retrouver au même endroit ! On aperçoit quand même l’arbre dans lequel Raph a passé son enfance, on n’est pas venu pour rien.

Nouvel avion en direction de Madagascar. 1h30 de vol. On atterrit à la capitale Antananarivo (dite Tana) vers midi. Change de pognon (euros en ariarys). Il fait beau et chaud. Taxi et premier « Mora mora ». La devise du patelin, le truc sur toutes les lèvres, tout le temps… Mora mora, ça veut dire tranquille, cool, lentement. On a bien compris, ici faut laisser faire les choses, ne pas courir, ne pas stresser… ça nous va parfaitement. Les paysages qui défilent ont une teinte ocre dominante la terre est rouge, délimitant les nombreuses rizières. Des enfants souriants jouent sur les terre-pleins bordant la route, le taxi double de nombreux piétons, vélos, vieilles bagnoles (2ch, 4L, ladas, …), 4x4, et quelques attelages de zébus (vaches avec une bosse proéminente). La ville fait son apparition sur les hauteurs, avec le palais de la reine qui pérore un peu la haut sur sa colline.

Le chauffeur parle un français approximatif mais plutôt fluide et nous parle de la ville de Tana et des possibilités de logement entre deux « Mora mora » et « pas de problème ». On lui demande de nous poser à un hôtel, il nous emmène à un autre, sûrement des potes. A peine posés nos affaires dans une chambre pour trois, il revient nous chercher pour nous emmener dans un bar où nous attend un certain Eric qui veut discuter avec nous « juste pour nous montrer ce qu’on peut faire, pas de problème, juste pour écouter ». Eric est très cool bien sûr, souriant, cheveux gominés, blague facile, gueule de Jamel Debouze. Il nous assomme à coups de propositions alléchantes de voyages aventures dans l’Ouest du pays, de THB (Three Horses Beer, LA bière locale, élevée au rang de religion) et de ti-punchs maisons. Il est très fort. J’avais déjà un contact avec Robinson, un guide conseillé par un voyageur sur un forum, qui m’avait même appelé en France suite à l’envoi d’un mail… mais on ne peut pas lutter contre Eric-Jamel, le ti-punch, la petite blague qui va bien, et la fatigue du voyage… après une brève négociation, un contrat est signé et un acompte versé !

Balade en ville. On est harcelé par des vendeurs de rue innombrables, mendiants, gamins dans une cacophonie de clacksons et autres bruits de motos. Un peu comparable à La Paz en Bolivie en termes d’activité, de bruit et de nombre de vendeurs de trottoirs. On se perd en empruntant des rues au hasard. On est bien quelque part entre l’Asie et l’Afrique, avec des ambiances d’Amérique latine et une note d’Europe, surtout de France, bien marquée. Absolument toutes les pubs et toutes les devantures de magasin sont écrits en français, tout le monde parle français… ça va changer des voyages précédents. J’achète un téléphone portable malgache avec une carte SIM d’ici, ça ne coûte rien et ça va bien nous servir.

Retour au Outcool web bar pour (bien) bouffer, avec Eric en fond continuant à blablater des touristes. On file se coucher à 20h30, défoncés de cette première journée qui peut se résumer ainsi : le premier taxi rencontré à l’aéroport nous a pris, nous a fait dormir chez ses potes et nous a fait signer pour 8 jours de voyage avec un autre de ses potes. Comment ça, nous, des touristes à la con ? Rien à voir, de belles rencontres, et beaucoup de chance. Hum.


Mercredi 27 juillet

Le réveil sonne à 6h, on doit partir une heure plus tard pour Antsirabé avec Eric et d’autres heureux voyageurs. Petit déj à l’hôtel, à la française, croissant baguette beurre confiture… des vestiges de notre bonne vieille colonisation (1895-1960). Eric est à la bourre, on poireaute. Un couple de français d’une quarantaine d’année bien tassée se pointe, ils sont de la partie. Olivier et Christine, pas l’air méchants. On poireaute. Un minibus finit par s’arrêter. Bagages en vrac à l’arrière, on se sert. Un autre gars s’installe, nous explique qu’on attend son pote qui ne se remet pas d’une méchante cuite hier soir ! Eric nous explique qu’il ne part pas avec nous, qu’un autre guide génial va nous accueillir à Antsirabé. Ah. Le minibus décolle à 9h, deux heures après l’heure prévue. Mora mora.

4h de minibus vers le sud. Encore ces paysages aux teintes terreuses, ocres et rouges, parsemé de vert mais laissant globalement plutôt une impression de sécheresse. Et puis des cultures en terrasse à perte de vue, je n’en avais pas vu autant depuis la Chine et le Vietnam. De nombreuses douanes ponctuent la route, obligeant le véhicule à s’arrêter pour on ne sait quelle vérification ou demande de bakchich. Chaque arrêt voit son lot de vendeurs s’agglutiner autour du bus avec leur plateau rempli de bananes ou de poulets juché sur leur tête.

Antsirabé donne tout de suite l’impression d’une ville beaucoup plus calme et posée que Tana, avec une grande particularité : les pousse-pousses. De partout des petites charrettes de bois peintes en rouge se croisent, tirées par des malgaches aux pieds nus courant sur le bitume.

En stoppant devant l’hôtel, un des potes cuités de la veille se rend compte qu’il a oublié son sac avec tous ses papiers à Tana. Je me dis qu’il serait de bon ton de rester avec eux, il se pourrait bien qu’à leur proximité, je sois immunisé ! C’est pas vraiment sympa, mais ça me soulage presque de voir ce genre de galère arriver à d’autres.

L’hôtel est calme, composé de bungalows indépendants en brique rouge disséminés dans un grand jardin fleuri. Première balade dans cette ville aux mille pousses-pousses qui nous pressent pour monter dessus, on n’ose pas trop, ça nous semble un peu dégradant quand même… et à la fois faut qu’ils bouffent. On traverse le marché couvert et ses senteurs de fruits mûrs, de viandes et d’épices. Les bâtiments sont plutôt bas, si ce n’est l’immense cathédrale en plein centre ville. La cité s’est développé tout autour d’un lac, sur les rives duquel les femmes viennent faire sécher leur linge fraichement lavé dans son eau.

Pause dans un petit resto vide et sombre, Lolo goûte une excellente spécialité locale : du porc aux feuilles de manioc concassées. Café un peu plus au nord, à « L’Arche ». On y rencontre Fabien, excellente gueule (un peu barbu, un peu rasta, avec une grosse dent qui dépasse) et feeling immédiat. Il nous dit bosser en tant que guide avec Robinson, le gars avec qui j’étais en contact pour le tour avant de rencontrer Eric ! Après un bon moment à parler musique et à bien rigoler, il nous propose de nous balader en ville avec lui.

Première étape à la confiserie « Chez Marcel » où on suit le processus de fabrication des bonbons locaux. Alice achète tout le magasin ;-)
Deuxième arrêt à un atelier d’artisanat basé sur la corne de zébu. Démonstration impressionnante de création d’objet d’art en direct par un vieux peu loquace, avant que le commercial de la famille n’essaye de nous vendre la totale… et y parvienne en partie bien sûr.

Fabien est d’excellente compagnie, les blagues fusent, on a un humour compatible, ce qui n’est pas si évident que ça. Il n'arrête pas d'utiliser l'expression "zébument", la traduction locale de notre "vachement", genre "ce groupe est zébument bon", "cette ville est zébument loin"...
Il nous raconte aussi la folie des habitants d’Antsirabé pour les combats de coqs : il y a une vraie effervescence populaire autour de ces affrontements aviaires, avec beaucoup d’argent en jeu et des rapports coqs-entraineurs complètement surréalistes.

Traversée du Grand Marché, d’une taille effectivement assez spectaculaire. La lumière du soleil de fin de journée sur les étals est somptueuse. Fabien nous dis de faire gaffe à nos affaires. Il salue un pote et nous explique que c’est un grand pick-pocket, qu'il en connait plein ! Ca le fait rigoler.

La boucle est bouclée, retour à l’Arche. On paye un punch banane à notre copain du jour, puis un punch poubelle (mélange de tous les fruits de saison !), puis un planteur… on commence à être bien, on parle musiques et voyages et différences culturelles et traditions, et on se paye encore des bonnes tranches de rigolades. On a passé de supers moments avec lui.

On va manger au resto de l’hôtel, où un serveur à la tête de Tahiti Bob se met à nous offrir encore des rhums en fin de repas et à nous parler des groupes de rock locaux et de la fois ou il a mis une mandale au bassiste d’un groupe de black métal parce qu’il ne jouait pas assez bien. Tout ça en riant et en nous resservant. Propre. Les malgaches sont définitivement cool.


Jeudi 28 juillet

Réveil un peu après 8h et petit déj plutôt copieux à l’hôtel. Max, notre vrai guide, jeune, moins rock ‘n roll que Fabien mais l’air bien sympa, nous dit qu’il est possible de louer des VTT pour faire le tour des environs, avec notamment des lacs qui déchirent. Why not ? On débarque à L’Arche fièrement perché sur nos montures tout terrain. Fabien nous avait laissé espéré qu’il passerait encore la journée avec nous, mais malheureusement il doit absolument trouver des voyageurs pour le même tour que nous, au risque de ne pas pouvoir le faire partir. Comme on aimerait bien faire le trajet en parallèle avec lui, on l’incite à aller à la gare routière alpaguer le chaland, et on part en direction de l’Ouest.

Passé le merdier urbain, croisements aléatoires de piétons, minibus, charrettes, pousse-pousses et autres scooters, la route goudronnée se dégage un peu et les échoppes laissent la place à de nouveaux superbes paysages aux nombreuses cultures délimitées en autant de parcelles de couleurs, parfois suffisamment gorgées d’eau pour laisser le soleil s'y refléter. Les rizières côtoient des cultures de blé et autres patates douces, et grimpent en terrassements dans les collines au loin.

Les 7km de cette route goudronnée bien entretenue sont avalés en ½ heure, et le lac Andraikiba en vue. Un joli lac, assez grand, entouré d’arbres et de cultures en terrasse. En contrebas de notre point de repos, un pêcheur lance un filet à l’eau pendant que deux gosses essayent de tuer des oiseaux dans les arbres à l'aide d'un lance pierres. Une petite vieille nous vend un régime de petites bananes parfaitement mures et de biscuits parfaitement étouffe-chrétiens.

Étant parti tard, on avait prévu de n’aller que jusqu’à ce lac, mais il n’est que 13h et le second lac, dont tout le monde nous a loué la beauté, n’est qu’à 11 km en continuant le chemin : on décide de s’y rendre. Et là c’est une autre histoire. Le goudron se transforme en chemin de terre caillouteux et friable alors que le plat relatif se mut en jolie grimpette. Le soleil cogne fort, on est au pire moment de la journée, et pas une crotte d’ombre sur le trajet. Tous les enfants des petits hameaux traversés nous accueille en criant « VASAHA ! VASAHA ! », qui peut se traduire par « ETRANGER ! » ou encore « TOURISTE BLANC ! ». La plupart des habitants de ces patelins ne parlent pas français, sinon quelques mots. Les paysages sont beaux mais le sentier est assez difficile et l’avancée laborieuse. Alice se met à faire la gueule en voyant qu’elle a du mal à monter et qu’il reste beaucoup à parcourir. On finit par arriver au deuxième lac après 2h d’efforts, aux alentours de 15h.

Tout le village nous accueille et essaye de nous vendre des œufs et des cœurs en pierres semi-précieuses (j'ai déjà donné), pendant qu’un vieux monsieur nous escorte plus haut jusqu’au lac Tritriva, enclavé en contrebas dans un cratère volcanique. Le soleil est malheureusement déjà trop bas pour apprécier sa fameuse couleur verte émeraude, mais il en jette quand même, le salaud, et le point de vue sur tous les environs est splendide. Notre guide de circonstance nous conte différentes légendes sur le lac, des amants maudits noyés transformés en arbres entrelacés sur le rocher, au commandant Cousteau n’ayant jamais réussi à atteindre le fond…

On n’a malheureusement que peu de temps, la position du soleil ne nous permettant pas de trainer. Il fait complètement nuit à 18h ici, avec une absence quasi totale d’éclairage public. Le retour est plus rapide car principalement descendant, mais un peu casse gueule aussi. Alice n’en peut plus, elle préfère souvent marcher à côté de son vélo plutôt que de dévaler le sentier caillouteux et glissant. Le premier lac est en vue un peu avant 17h, et nous sommes de retour à Antsirabé une petite demi-heure plus tard. Entre temps, on a pu admirer les rayons jaune-orangées obliques du soleil déclinant sur les terres cultivées jalonnant la route.

A 18h, RV à l’hôtel avec Max et le groupe au complet. Olivier et Catherine sont là. On les a recroisé régulièrement et ils sont très sympas, on est plutôt content de partir avec eux. Par contre les 2 gentils borrachos porte-bonheur ont été remplacé par un autre couple, 55 ans environ, qui me fait dresser les poils immédiatement. L’homme a une tête de connard plein aux as et sa précieuse femme est surmaquillée avec un foulard en soie autour du coup… au secours !
Ils se mettent à se plaindre que leur minibus était en retard le matin, que le resto conseillé par leur guide était d’un très mauvais rapport qualité prix, avant de s’enquérir du fait que leurs sacs ne seraient pas mouillé pendant la descente en pirogue et qu’il y aurait bien de l’eau chaude lors des nuits passées en bivouac. Ils n’ont rien compris et ça me fout hors de moi de côtoyer des cons pendant toute une semaine, dans un cadre complètement naturel, où je voulais justement fuir ce genre de personnes et de comportement. Ça va pas être triste.

On va diner à l’Arche en espérant croiser Fabien sans succès. On commande avec Lolo un Romazava, spécialité avec différents morceaux de viandes baignées dans un grand bouillon assaisonné aux feuilles de manioc et à la brède Mafana dite fleur jaune. C’est vraiment trop particulier. La fleur jaune donne des fourmillements astringents et désagréables en bouche, avec un arrière goût vraiment trop cheulou. Je n’arrive pas à finir mon assiette, c'est rare. On se rattrape avec une bonne flambée de crêpes à l’ananas.

Les autres rentrent dans la chambre pendant que je vais à l’autre bout de la ville me connecter au seul cybercafé dégoté… aucune autre connexion wifi dans la deuxième plus grosse ville de l’ile ! Ça promet pour la suite. Dans la pièce à côté, un restaurant avec une chanteuse et un guitariste jouant des airs langoureux pendants que les gens dinent. J’ose demander les services d’un pousse-pousse pour me ramener jusqu’à l’hôtel… sensation pas très plaisante, mais le gars me ramène en courant à l'hôtel. Je passe le bonsoir à Tahiti Bob avant de rejoindre Alice et Lolo, confortablement allongés dans leurs lits avec des bons bouquins dans les mains. Demain, l’aventure commence.

Premières photos à découvrir ici