22 août 2011

De Manakara à Sainte-Marie...

Lundi 22 août

Déjà la fin ! C'est de l'aéroport de Tana que j'écris ces lignes, au milieu de la salle d'embarquement. Les dix derniers jours ont filé, on ne les a pas vu passer. Mais on en a profité comme rarement, on a pris notre temps. Moins de temps à écrire, plus à vivre l'instant. J'ai quand même réussi à raconter cette fameuse remontée vers le nord en minibus avec Christine et Olivier, nos compagnons de presque tout le voyage. Et, promis, je vais essayer de finir le récit cette fois ci. Surtout que les derniers jours à Sainte-Marie ont vraiment été le clou du spectacle, coin de paradis et rencontres improbables... mais je raconterai ça plus tard. Nous en étions encore à Manakara, beaucoup plus au sud...


Jeudi 11 août

Le minibus est bien devant l’hôtel au petit matin, vers 7h, comme prévu. On a deux chauffeurs pour le prix d’un, un jeune s’est joint pour apprendre le métier. Les sacs sont chargés, on est parti pour cinq jours de totale liberté dans un minibus 12 places. Le plan est de monter jusqu’à Tamatave… pour le reste aucune obligation, on s’arrête où on veut pour dormir ou se balader, no stress.



Avant de filer vers le nord, va faire un tour au Trou du Commissaire, le fameux spot qui nous avait échappé la veille en l’absence de vélo. Le cadre y est plutôt idyllique. Un muret de pierre cercle une zone baignable. Le soleil est déjà haut, l’eau est bonne et il est difficile d’en sortir. Des enfants se baignent avec nous en habit d’Adam, ils jouent avec des mini pirogues confectionnées avec des feuilles de bananiers.



En sortant de l’eau, un gars du coin nous montre trois langoustes dans un seau, dont une énorme, et nous propose d’aller nous les faire griller ! On s’en régale assis à une petite table sous un porche, à deux pas de la plage. En allant commander des cafés au petit bar sur pilotis qui fait face à l’océan, je tombe sur la serveuse en train de se faire tripoter par un gars derrière elle, elle se défait de son étreinte en rigolant, un peu gênée, et part faire chauffer de l’eau. Sans chercher à leur trouver des excuses, il faut avouer que le cadre se prête pas mal aux galipettes. On agrémente le goûter avec des pains malgaches, petits beignets au manioc. Il est n’est que 10h quand on reprend la route.



Le minibus nous conduit en 4h environ à Ranomafana. Plutôt confort, mais les chauffeurs kiffent la vieille daube française et on se tape en boucle Sheila, Mireille Mathieu et autres Garou. Le décor extérieur se transforme à mesure qu’on grimpe dans les montagnes, avec l’apparition forêts denses, vallonnées, tropicales. Bananiers, palmiers, forêts de bambous…

En traversant un petit village, une troupe de gentils poussins piaillent derrière leur maman au milieu de la route. PAF le poussin ! Dans la même lignée, Moï et Linda nous avaient raconté avoir shooté un chien lors de leur venue express de Tana à Miandrivazo

On se pose à La Palmeraie, petit hôtel avec quelques chambres en Rez-de-Chaussée dans un petit havre de paix. Une balade en "ville" nous entraine de manière hasardeuse dans un atelier de tissage. A côté d’un grand terrain de foot, une fête bat son plein, avec un manège et de la techno à burne sur des enceintes pourraves qui saturent.

Le chemin nous entraine vers la rivière, qu’on franchit sur un pont manifestement provisoire, fait de bric et de broc, suite à l’effondrement du gros pont métallique, décimé par un cyclone dévastateur en 2007. Les vestiges métalliques en disent long sur la violence du truc. La côte Est de l’île est régulièrement dévastée par des cyclones, principalement pendant la saison des pluies, de novembre à mars.



Juste après la rivière, une grande piscine accueille une population dense, composée autant de touristes que de malgaches. La piscine est totalement naturelle, avec une eau thermale à 39°C ! La douche obligatoire est presque trop chaude, mais la baignade fait terriblement du bien. Olivier et Catherine font leur apparition. On se casse.

De retour à La Palmeraie, Lolo nous découpe un ananas acheté dans la rue… tiède, sucré, juteux… explosion en bouche. On se parle de records pourris, Olivier nous narre l’exploit d’un pote à lui qui a réussit à engloutir 7 camemberts et demi en 3 min 30… on reste français.

La nuit se met à tomber, on part avec le minibus quelques km plus au nord pour tenter d’observer la faune nocturne aux abords du parc naturel, accompagné par un guide du bled. C’est pour ce parc qu’on a décidé de rester dans le coin. En scannant les branchages à l’aide de lampes, on découvre un gros gecko, des grenouilles arboricoles et des minuscules caméléons qui ont vraiment la couleur et la texture de l’écorce d’arbres et des feuilles.



On ne tarde pas à aller se coucher avec quelques écrevisses dans l’estomac. Dans la chambre d’à côté, des malgaches font la fête. Ça chante et ça décapsule de la THB.



Vendredi 12 août

Après un petit déjeuner à La Palmeraie, servi par une famille aux petits soins, ‘est parti pour une balade dans le parc Ranomafana toute la matinée. Un guide local nous accompagne pour nous éclairer sur la faune et la flore, principalement endémique, probablement inconnue. Traversée d’une rivière. Forêt. Pas de la petite forêt de tata, de la bonne vieille forêt bien dense et sauvage, à la végétation tropicale qui agrippe chaotiquement chaque cm² d’un terrain immense et vallonné. Le guide nous explique les applications médicinales de chaque plante, les propriétés de l’arbre du voyageur et des fougères aborigène, nous fait repérer les manguiers, cocotiers, palmiers, bananiers, figuiers, nous fait goûter du poivre sauvage. Les chemins se perdent entre les arbres, ça grimpe. Un pisteur est parti devant nous et crie pour nous faire bifurquer quand il dégotte des bestioles sympas. On voit quatre espèces différentes de lémuriens, des petits insectivores et herbivores en famille, des grands mangeurs de bambou, très près de nous, et d’autres encore. Plutôt rigolotes les bestioles.



Sur un arbre un gecko minuscule trop bizarre, sur un autre un plus gros, couleur mousse, qui se fond à un arbre comme un caméléon. Perdu au milieu de cette jungle, un texto de Thomas m’apprend que Tsonga a encore battu Federer à Montréal. Incroyable.



De retour en ville, petite bouffe dans une gargote du centre, avant de repartir avec Lolo à la piscine d’eau chaude. Plus aucun vasaha dans l’eau, on se dit que le taux d’étranger doit dépendre des jours d’arrivée du train à Manakara. Beaucoup de malgaches en vacances par contre, assurément aisés, prenant des photos et se filmant. Les malgaches sont physiquement vraiment distincts des africains, l’influence asiatique et indonésienne saute aux yeux.

On décide de se faire masser dans une petite case, à côté de la piscine. Un orage éclate en plein massage, des rafales de vent s’engouffrent dans la case ouverte, ça a le mérite de mettre un peu de piment à un massage plutôt fade et manquant cruellement de tonicité. On en ressort pas si détendu, mais la peau nourrie à l’Ylang Ylang (essence naturelle locale) et sentant la citronnelle. C’est déjà ça.

De retour à La Palmeraie, je reviens à un de mes passe-temps préféré : tenter de me connecter à Internet. Le réseau Moov, celui de ma nouvelle clé 3G+ salvatrice, ne passe pas dans le village. Je manque encore de me faire embrocher par un zébu qui s’échappe dans la rue principale. Je finis par me connecter au cyber-café du coin. J’abandonne après avoir téléchargé 15 mails en 30 minutes.

Encore un bon repas bien sympa tous ensemble, que des produits frais, y compris le rhum arrangé.


Samedi 13 août

Lever 6h, on a passé deux nuits ici et il reste de la route. Le trajet sinueux continue entre les montagnes. Petite traversée de village… PAF la poule. Et de deux. Un village plus loin, arrêt devant une maison pour remettre du carburant de contrebande dans le moteur, bouteille après bouteille. C’est long mais significativement moins cher. Le moteur reste allumé, comme d’habitude. C’est leur trip ici. Encore un arrêt, les chauffeurs achètent sur le bord de la route des litres de vin local vendu dans des bouteilles d’eau. Pour être sûr.





Vers 11h, arrivée à Amboustr. La ville est en effervescence, en plein marché hebdomadaire. Dans une boutique d’artisanat, je suis à deux doigts d’acheter une bonbonnière trop classe en bois de palissandre. 20 Kg. 500€. Un regard "tendre" d’Alice suffit à me faire lâcher l’affaire. Dans la rue, petit check avec Julien, notre guide d'il y a quelques jours, croisé par hasard.

Pause déjeuner après 2h de route supplémentaire à Antsirabé. Retour au Pousse-Pousse, Christine et Olivier ne connaissaient pas. On se régale entre autre de choux farci et de coteaux du Tricastin. Difficile de résister à une carte de vin français. La Françoise nous raconte que le fromage est en plein essor ici, avec un agriculteur français qui s’est mis au reblochon et au fromage à raclette. Va pas tarder à faire bon y vivre.

Je me rends dans une boutique TELMA, l’opérateur téléphonique de ma clé 3G+. Super difficile de comprendre leur système, je demande une formation minute. Résultat : mon compte a un problème incompréhensible, ça n’arrive jamais. Mais pas de souci à se faire, en envoyant un formulaire de réinitialisation de mot de passe par courrier, je devrais avoir une réponse positive d’ici deux à trois petites semaines. Tout va bien alors. Je suis dans l’obligation de racheter une carte et créer un nouveau compte qui semble fonctionner. Hum.

Depuis le minibus, à l’approche de Tana, on admire le soleil couchant et la pleine lune qui surgit du sommet des collines.

Il fait nuit noire à notre arrivée dans la capitale. Le Saint-Antoine plein, on se rapatrie sur le Jean Laborde. Un Hôtel sordide tenu par un vieux français acariâtre, tenue stricte et cheveux blancs gominés, se plaignant des malgaches, des taxes et nous répondant avec dédain. L’ambiance glauque a quelque chose de l’après-guerre, des relents colonialistes, on se croirait dans un roman de Céline.

Une bonne bouffe au Outcool nous détend avec un fond sonore trusté par Nirvana, Vampire Week-end et Coldplay, avant qu’un expat’ bien entamé ne décide de mettre à fond un vieil album de Thiéfaine, « Soleil cherche futur ». Et d’expliquer bien fort que le soleil, en fait, c’est une planète en fusion. Un champion. Il enchaine ensuite les diatribes à la con du genre « les malgaches sont tous rigides, bornés et abrutis, de toute façon ». J’aimerai savoir pourquoi la majorité des expatriés sont des cons.


Dimanche 14 août

Lever 6h pour prendre un petit déj à la terrasse du Saint-Antoine. Internet gratuit et rapide, ça n’est qu’à la capitale, autant en profiter. Je prends le temps d’écouter de nouvelles versions de titres de Fake Oddity et de répondre à trois mails. La télé diffuse BFM TV : en une, Noah personnalité préférée des français. Il ne se passe donc rien.

Devant le Jean Laborde, ça s’embrouille un peu avec les chauffeurs pour une histoire de pognon, ils n’ont pas récupéré assez de sous de la part d’Eric qui semble injoignable. sa femme finit par arriver en moto, ça s’arrange après une bonne heure d’attente et de blabla.

Le minibus repart, direction Tamatave. Encore un long trajet sur des routes sinueuses mais goudronnées. Pause bouffe dans la ville de Moramanga dans une cantine locale, avec grosse plâtrée de riz accompagnée d’un peu de poisson. Dans la rue, une procession festive débaroule, rythmes et danses endiablées, drapeau agité. Peut-être un retournement aux morts ?



En fin de journée, arrivée à Tamatave, grosse ville portuaire. La ville semble étendue, avec de longues et larges avenues empruntées par d’innombrables véhicules. Les pousses-pousses sont remplacés par des vélos triporteurs. On a du mal à trouver un hôtel n’affichant pas complet, mais on finit par poser nos valises aux Flamboyants, essentiellement fréquenté par la communauté chinoise.

Petite balade longeant de nombreuses "baraques à Rhum" avant de prendre place dans un resto avec vue sur la plage, le port et l’océan indien. On invite les chauffeurs, pas très loquaces, réservés, mais qui semblent ravis de notre attention et nous remercient maintes fois. Spécialités de la mer dans un cadre assez clean, limite glauque, avec plusieurs vieux vasahas sirotant des cocktails accompagnés de jeunes malgaches plantureuses et sexy.

Les chauffeurs n’ayant pas eu le temps de se trouver une chambre à leur portée, ils dorment dans le minibus, devant l’hôtel.


Lundi 15 août

Lever 5h30. De pire en pire. N’empêche, on s’habitue à ces conneries. On va de suite au bureau de Cap Ste-Marie, l’un des prestataires organisant des traversées en bateau pour joindre la Grande île à la plus petite. Les tickets en poche pour le bateau de 13h, on a le temps de rouler tranquillement vers le nord.

On rejoint donc en 4h de route dégueulasse Soanierana-Ivongo, bled de embarcadère face à l’île Sainte Marie. L’attente est plus longue que prévue, les horaires sont toujours donnés à titre vaguement indicatifs à Madagascar. Pendant ce temps, Olivier gère les formalités obligatoires : paperasse au bureau local de Cap Ste-Marie, paperasse à la gendarmerie, paperasse à la police. On achète des gros fagots de vanille à une petite vieille bien gentille, on bouffe des sandwiches à la Vache qui rit (denrée internationale). On finit par embarquer, il est 15h.



Traversée d’une heure sur une vedette bien rapide, avec de bonnes sensations sur les grosses vagues d’une mer agitée. Au loin, une baleine saute en propulsant un joli geyser.



Le soleil est déjà bas alors qu’on foule la terre ferme du petit port Saint-Marien. Une foule grouillante nous accueille pour proposer taxis, hôtels et autres safaris baleines. On saute dans un taxi-brousse blindé pour rejoindre un hôtel 4 km plus au sud. La route longe l’océan. Le soleil se couche derrière quelques nuages disparates.

La Palourde, constitué de bungalows à même l’océan, est quasi désert. Les bungalows sont disposés à quelques petits mètres de la plage, avec une vue splendide sur l’océan bleu turquoise, dans un calme incroyable. Le sable est fin, des cocotiers se penchent au dessus de l’eau… un petit air de paradis sur terre, tel qu’on le vend dans les magasines.



Joel, malagache au large sourire indécrottable, l’air complètement défoncé, nous accueille. On comprendra vite qu’il est comme ça de manière naturelle. Adorable, il rigole tout le temps et répond à toutes les questions par "Si vous voulez" ou "C'est possible" ! On peut se baigner loin ? Si vous voulez. C’est pas dangereux ? Si vous voulez. Que peut-on manger ici ? C’est possible. Il y a des vélos à louer dans le coin ? Si vous voulez. Sérénité radieuse. Si le malgache est cool, le st-marien le surpasse largement.

On demande à manger du poisson, des calmars, du poulpe. Si vous voulez. Il va demander de la came fraiche à un pêcheur qui passe. Une sauce coco ? C’est possible. Il monte sur un arbre cueillir une noix de coco, la découpe et prépare une sauce si bonne que ça semble invraisemblable. On se régale comme on ne s’est jamais autant régalé de tout le séjour. Et pour info, c'est presque gratuit.



On passe un moment à regarder la lune se lever au dessus de l’eau, puis on s’endort bercé par les vagues. Elles sont si proches, on a l'impression que l'océan va rentrer dans le bungalow. Putain, on est pas mal.

Dimanche 21 août - Entre Tamatave et Tana

14 août 2011

D'Antsirabé à Manakara

Dimanche 14 août

Nous voici de nouveau à Tana, retour à la case départ avant d’emprunter une nouvelle direction, le nord-est. Les deux-tiers du voyage sont déjà derrière nous, on entre dans le douloureux « money time ». On en a pourtant déjà plein les yeux, les oreilles, les sens. Les malgaches sont pauvres pour la plupart, mais d’une gentillesse rare. Se connecter à Internet reste la mission la plus ardue du voyage, ça n’aide pas la mise à jour du blog. En voilà encore une tranche. Récit d’une traversée en direction du sud-est malgache.


Samedi 6 août

Lever 9h, première grasse mat’ depuis le début du voyage. Lolo reste au lit. Ma batterie d’appareil photo ne se relève pas non plus, elle a du prendre un pin. On n’a plus que l’appareil d’Alice, moins bien.

A l’entrée du Green Park, Christine et Olivier sont en pleine négo avec Eric "Jamel" qui est descendu de Tana… il leur propose de louer les services d’une voiture et d’un chauffeur pour cinq jours, pour les remonter de Manakara, où ils seront dans quelques jours, jusqu’à Tamatave, beaucoup plus au Nord. On finit par accepter de partager les frais, on est vraiment sur la même longueur d’ondes avec eux. On n’hésite pas longtemps, sauf Lolo qu'on vient de réveiller et qui tente péniblement de surnager au delà des brumes matinales à grands coup de tartines et de cafés. Il finit par grommeler un accord enroué. On se donne donc RV quelques jours plus tard, et ils partent sans attendre, un peu plus au sud.

Moï et Linda sont encore là, on prend le temps de se poser ensemble et de profiter du jardin. A peine sortis de l’hôtel, les pousses-pousses nous alpaguent et nous proposent de nous conduire à un famadihana, fête de retournement des morts. Voyons ce que ça raconte.

Petit pitch préalable : cette cérémonie semble être le point culminant du Culte des Ancêtres qui fidélise la quasi-totalité de la population. Les malgaches partent du principe que la mort n’est qu’une étape de la vie parmi d’autres, sa phase ultime. D’où le proverbe « Ceux qui sont partis n’ont qu’une avance de temps car la route est commune ». Rendre hommage aux morts est une manière pour eux de rendre grâce à la vie dans sa forme la plus aboutie. Le famadihana a lieu plusieurs années après le décès, quand la famille du défunt estime qu’il a besoin d’un nouveau linceul pour se réchauffer.



Nous voilà tous les cinq en route, tirés par des pousses-pousses à travers les routes goudronnées de la ville puis des chemins plus cabossés de la campagne entre les rizières. La fête est à 5 km du centre. On descend de l’habitacle quand la pente est trop forte ou la route trop pourrie, c’est vraiment gênant de rester comme un pacha sur son siège rembourré quand le pousse-poussier contracte ses muscles et transpire à grosses gouttes. On finit par arriver dans un hameau en haut d’une colline. Il y a beaucoup de monde, mais on est les seuls vasahas. On est d’abord présenté à un jeune de la famille organisatrice, puis au doyen. On lui demande si notre présence le dérange. Il nous dit qu’au contraire il en est honoré, qu’il souhaite qu’on passe un bon moment, qu’on danse, qu’on prenne des photos et qu’on lui envoie. Il est tous sourires, ravi. Il faut dire qu’on lui a glissé une bouteille de rhum.



La procession commence, une troupe de musiciens joue des airs guillerets au violon et au tambourin, certains dansent, tout le monde suit. Il y a entre 200 et 300 personnes, de tous âges. Différentes personnes s’approchent pour nous expliquer ce qui se passe. La famille qui organise est manifestement aisée, d’où l’ampleur de la fête. La procession arrive devant un grand caveau familial. Les musiciens redoublent d’entrain et les invités se répartissent tout autour. Puis vient le temps des discours.



Deux "autorités locales" et le responsable de la famille prennent tour à tour la parole en malgache. Un gars à côté nous explique ce qui se passe. Chaque orateur commence par demander au public la permission de s’adresser à lui. Cette demande s’adresse plus particulièrement aux plus âgés d’entre eux. Les autorités locales donnent un cadre formel à la cérémonie en présentant la famille et en lisant le décret signé l’autorisant à ouvrir le tombeau - on apprendra ensuite que de nombreux tombeaux sont pillés et les os humains revendus à des fins médicamenteuses. Le patriarche rappelle ensuite le sens de cette cérémonie : c’est avant tout un temps festif qui vise à rassurer les défunts sur le fait qu’ils sont toujours présents dans les mémoires. Il interpelle tous les enfants présents en leur disant qu’ils seront bientôt à leur tour les gardiens de cette tradition. Moment poignant de transmission de valeurs traditionnelles et populaires d’une génération à une autre.



L’ouverture du caveau est ensuite descellée à l’aide de différents instruments contondants et de marteaux. Tout le monde se recule de quelques pas, pour ne pas se prendre les gaz s’échappant du tombeau dans le pif. Les personnes de la famille rentrent à l’intérieur et ressortent à tour de rôle avec les corps exhumés de leurs parents, frères ou enfants, enroulés dans des linceuls de soie, transportés en procession au milieu de la foule. Tout le village se bouscule pour assister au renouvellement du linceul, enroulé par dessus le précédent. L’ambiance est à la surexcitation, et l’alcool que les convives ne manquent pas de consommer en abondance donne une certaine garantie de longévité à la teuf. Même si un peu de chaque verre est versé par terre, pour les morts. Pas de raison qu’ils picolent pas, eux aussi. Les deux représentants de l’autorité locale nous permettent d’aller visiter l’intérieur du tombeau, avant de nous réclamer une petite THB "en signe de respect".

On nous prend par la main pour nous inciter à danser prêt des musiciens, à deux pas de la dizaine de corps exhumés. Sentiment étrange et ambivalent, mais on a vraiment l’impression de participer à une communion populaire forte de la vie malgache, de se fondre temporairement dans une culture méconnue.



On finit par se faire reconduire par nos potes les pousses-pousses. L’un d’eux a crevé, différentes théories sont avancées, qui vont du caillou pointu au sabotage. Bon, un pousse-pousse crevé, ça roule, même pas mal. Je demande à Stéphane, mon "chauffeur", pourquoi il est pieds-nu. Pas assez d’argent pour acheter des chaussures. J’ai l’air con.



Le soir, après quelques heures de reconnexion au cybermonde et un petit rhum avec Hari "Tahiti Bob", Moï et Linda, direction le resto Le Pousse-Pousse, tenu par une française, histoire de parfaire cette journée à thème. Cadre cosy de super bon goût, Carpaccio de zébu au citron et aux herbes, steak de zébu rossini avec un foie gras local excellent… une adresse "surfaite" selon les relous.


Dimanche 7 août

J’ai écris jusqu’à tard dans la nuit. 2h. Ensuite, plus moyen de fermer l’œil. Insomnie. Conscience insubmersible, même au travers de rêveries absurdes. 5h. Les cloches de la Cathédrale font un boucan d’enfer. Dimanche. En plus d’être impénétrables, les voies du Seigneur font du boucan. 5h30. Lolo va aux chiottes, fume une clope dehors et se rallonge pour lire. 6h. Nouveaux tintements de cloches bien sonores. Pourquoi tant de haine ? 8h. Je me lève. Du retard sur le blog, il faut que je poste.

Je demande à un Pousse-Pousse de me mener à un café Internet… après une demi-heure de vas-et-viens dans toute la ville, je me rends à l’évidence : Internet n’existe pas dans cette ville le dimanche. Il disparait pour mieux laisser la population se connecter au Seigneur. Des centaines de malgaches endimanchés se pressent devant la cathédrale. L’occasion pour certains de faire démonstration de leur richesse, avec des tenues des grands jours rivalisant de classe. D’autres portent des habits raccommodés, dépareillés, trop longs, trop courts… mais tout le monde semble faire le max.

Retour au Green Park. Je commande un petit déj et discute avec Hari de mes cyber-préoccupations. Il me conseille tout simplement d’acheter une clé 3G+ ! Ça marche partout et c’est accessible en terme de prix… va falloir que j’y songe, sérieux.

Une fois tout le monde levé et rassasié, direction la gare routière en pousse-pousse… On cherche à aller à Ambositra (prononcer "Amboustr"). Je commence à être bien pote avec Stéphane le pousse-poussier. Quand je fais des blagues, il explose de rire. Quand je suis sérieux, il se tord de rire aussi, persuadé que je blague.

Un peu avant la gare routière, un rasta quinquagénaire nous incite à descendre des pousses-pousses pour nous vendre des places, expliquant que le taxi-brousse passera nous prendre ici dans les dix minutes. Après 40 minutes d’attente dans un boui-boui glauque diffusant en boucle des clips de Justin Bieber, le rasta réapparait. Pas de problème le taxi-brousse arrive. Encore 15 minutes. Il revient et nous demande si on ne préfère pas y aller en voiture pour le même prix, un particulier cherche à partager les coûts d’essence. Ok. On se retrouve tous les trois à l’arrière d’une vieille Merco des années 70.

Le gars emprunte la RN7 vers le sud. Il roule comme un taré, tourne toujours au dernier moment sans décélérer, double sans aucune visibilité et appuie sur la pédale à l’entrée de chaque village. Sur le siège passager, une étudiante malgache qui partage aussi le trajet. Elle nous donne son numéro si on veut la contacter à Fianarantsoe, encore un peu plus au sud. Allez Lolo, à toi de jouer.

Arrivée à Ambositra. L’Artisan hôtel, recommandé par le Lonely, a des allures de Club Med. Le fait qu’il soit complet finit de nous convaincre à chercher ailleurs. Le Grand Hôtel est en plein centre, pas cher, et avec des décos de chambre véritablement incroyables. Parfait.

A peine posé, on se fait alpaguer par un certain Julien, qui nous propose de se balader avec lui quelques heures pour nous faire visiter les environs et découvrir les ateliers artisanaux... Ambositra étant considérée comme la Capitale de l’Artisanat. On est parti, on ne reculera devant rien. On s’éloigne rapidement de la ville par des petits chemins bien verts. Ambiance paisible, des gamins jouent au foot, des paysans travaillent dans les toujours omniprésentes rizières. On entend puis on voit un zébu qui nous fonce dessus, on s’écarte du chemin, son propriétaire lui court après juste derrière. Julien nous explique qu’ici il existe une sorte de rodéo avec des zébus, les participants devant resté accroché le plus longtemps possible à leur bosse ! Il nous parle aussi des émeutes qui ont eu lieu en 2009, des morts dans la ville. Et puis des bandits de grands chemins qui s’attaquent aux véhicules dans le sud du pays, autour des mines de saphir, volant et tuant sans vergogne. Je ne sais pas si tout ce qu’il raconte est vrai, mais en tout cas il est bien flippé, le Julien.



A côté de ça il nous amuse avec des devinettes. La balade dure un bon moment, on grimpe en haut d’une colline. Il fait beau. Super panorama sur la petite ville et sur de magnifiques paysages de rizières et autres cultures en terrasse. Petites maisons en bois qui servaient de palais à un ancien roi.



Redescente par des sentiers escarpés. On entre dans une petite maison en terre typique des habitations de campagne. Au rez-de-chaussée, un homme est en train de travailler le bois d’ébène pour faire naitre des figurines fines et élancées. Il nous fait visiter l’habitation, très rustique. Posters de joueurs de foot au dessus de son lit. Dehors, des enfants s’amusent sur des échasses.



On continue à fendre la campagne, les enfants nous suivent. Nouvelle étape dans la cours d’une habitation. Une grande roue à bois y est installée. Un homme actionne le mécanisme pendant qu’un autre travaille le bois à l’autre extrémité. Suite à la démonstration, des étals remplis de sculptures sont découverts et il est difficile de repartir sans rien acheter.



De retour en ville, on rentre dans une autre cours intérieure. Dans un atelier, une femme brode des petits personnages et scénettes sur des draps. Un peu plus loin, Julien nous entraine dans un passage sans aucune forme d’indication. Dans une pièce sombre accessible par une cours intérieure, une vieille femme tisse des écharpes de soie sauvage. Des onomatopées beuglées parviennent de la pièce à côté. Elle continue à sourire en nous faisant calmement comprendre que son mari est ivre mort. Sur le mur de la pièce, un poster de Ronaldo côtoie une image du Christ tendance rococo. Face à tant de bon goût, on lui achète des écharpes.

Retour au Grand Hôtel après 8km de balade. Il fait déjà nuit, on a notre compte. Au resto de l’hôtel, rencontre avec un couple français qui traverse Madagascar en vélo, en demandant l’hospitalité chez les gens dans les villages qu’ils traversent. Bon trip. On leur explique que s’ils vont trop au sud, ils ont de grandes chances de se faire égorger. Mais qu’ils peuvent le tenter, hein.


Lundi 8 août

Julien nous a organisé un ramassage par un Taxi-Brousse devant l’hôtel à 8h30, direction Fianarantsoa. On a réservé une banquette entière de 4 places pour ne pas être trop collé. Une banquette est pourtant composée de trois sièges, mais la coutume est de s’y tasser à quatre. Un Taxi-Brousse n’est autre qu’un minibus, mais blindé de monde, avec des horaires approximatifs, et sujet à des arrêts intempestifs et qui peuvent sembler irrationnels. Le notre ne déroge pas à la règle. Il s’arrête une bonne demi-heure devant un marché… je finis par sortir pisser en me frayant un chemin jusqu’aux toilettes publics. Au retour une petite vieille édentée me souris. Elle est vêtue d’un sweat capuche Pantera… L’image va rester gravée. Le minibus est parti. Je le retrouve une dizaine de mètres plus loin, Alice et Lolo ont fini par lui faire comprendre mon absence.

Après quelques pauses et autres remplissage de réservoir, le taxi-brousse part vers 10h. Il roule lui aussi comme un malade, et il a probablement passé son permis en Angleterre. Arrivée dans la gare routière de "Fianar" vers 13h30. C’est une grande ville, la troisième du pays, qui donne une impression de modernité comparé à Antsirabé. 150 000 habitants. Une 4L (en fin de vie depuis au moins 20 ans), nous dépose au Soratel, à deux pas de la gare ferroviaire. Prix cool et grand standing comparé à ce qu’on a eu depuis le début : grande salle de bain avec baignoire, télé, wifi… je revis.

Le temps incertain aidant, on décide que cette ville n’a pas un intérêt énorme. Petite bouffe dans le coin, repos, internet, deux trois bricoles. Alice a son oncle Jean-Pierre au téléphone, ça risque d’être malheureusement compliqué d’aller le voir à Antalaha où il habite, vers la pointe nord-est de l’île, difficile d’accès. On a réussi à organiser un Rendez-Vous dans un petit resto avec Moï, Linda, Christine et Olivier, grâce à nos portables malgaches respectifs.

Linda et Moï vont finalement déclarer forfait. Dîner super sympa, échange de petites anecdotes issues des deux derniers jours écoulés. Olivier nous raconte le match de foot qu’il est allé voir au stade de la ville, Fianar-Antsirabé, l’ambiance de fou, les joueurs qui se changent au cul du camion en l’absence de loges et qui repartent serrés comme des sardines dans un petit minibus. Il nous parle aussi du réceptionniste de leur hôtel qui est obligé d’aller passer le BAC ces jours-ci car il n’a pas les moyens de se l’acheter ! Enfin, un gros titre du journal du jour aperçu dans un kiosque : « Résultats du BEPC à Madagascar : 4 blessés ». Le resto nous attend pour fermer… à 20h30.

Retour à pieds sous une pluie battante. Au milieu du trajet, extinction des feux. Il n’y a plus personne dans les rues, on se repaire tant bien que mal à la frontale pour éviter les grosses flaques d’eau. On est pourtant dans l’hyper-centre de la troisième ville de Madagascar, et il n’est pas 21h.

De retour à l’hôtel, Alice essaye de regarder l’une des trois chaînes reçues par intermittence sur la télé en bougeant les antennes. Début de nanar avec Jennifer Lopez avant que toutes les chaines ne sautent. Je profite de la soirée pour boucler le long deuxième post de ce blog.


Mardi 9 août

Réveil en douceur à 5h. Je n’ai pas dormi bien longtemps. On va prendre aujourd’hui le petit train qui relie Fianar à Manakara en 7 ou 8h, plus au sud sur la côte Est. La gare est en ébullitions. Files d’attente désordonnées pour les classes les moins chères, amas de voyageurs attendant à côté de leur bagages, guides à l’affût de vasahas désorientés, ventes de petits pains et de café chaud…



On retrouve nos « compagnons de l’ouest ». Moï et Linda ont assuré en réservant et en avançant nos billets. On finit par prendre place. La 1ère classe dans laquelle on est installé est d’un confort tout relatif, je n’ose pas imaginer les autres wagons. Catherine et Olivier en ligne de mire, on essaye de les éviter. Le train finit par partir à 8h30, après 1h30 de retard syndical.



Le train va s’arrêter dans une bonne vingtaine de gares, toute la journée. Certaines dans des villes d’importance moyenne, d’autres au beau milieu de la forêt dans des coins vraiment paumés. Chaque arrêt est un spectacle à part entière : les quais grouillent de monde, voyageurs en transit, enfants qui s’amusent, et surtout marchands et vendeurs de tous poils. Chaque station a son lot de denrées culinaires (à consommer sur place ou à emporter) correspondant aux cultures ou aux spécialités locales. Samossas, nems, beignets de légumes, de pomme de terre ou de manioc, écrevisses, crevettes, salades, pâtes, clous de girofle, poivre vert…
Des fruits aussi, en nombre : oranges, mini-bananes (délicieuses), papaye, corossol, carambole, jaquier… on n’a pas besoin d’une pause à midi pour se nourrir, la tendance lourde est plutôt « on goûte à tout, tout le temps ». Les vendeurs n’hésitent pas à grimper dans les wagons pour tenter de vendre tout ce qu’ils peuvent jusqu’au dernier moment. Ca me fait penser à l’ambiance du Transsibérien, en remplaçant les mamouchkas par des vieilles malgaches édentées, et les gares blockhaus en béton par des forêts primaires… bon, ok, c’est pas la même.



Avant chaque départ, des sifflets retentissent et les enfants des villages s’agrippent à l’arrière du train pour se laisser tomber un peu plus loin, quand la machine a bien pris de la vitesse et qu’il y a bien moyen de se faire mal.



De parcelles de cultures interminables plus ou moins gorgées d’eau et irisées de soleil, on passe à de la forêt plutôt dense et variée, mêlée à des paysages vallonnés et montagneux, avec son lot de rivières et de cascades. Les points de vue du train sont stupéfiants et les passagers se précipitent d’un côté à l’autre pour prendre des photos, systématiquement pourries par un arbre qui vient se mettre entre l’objectif et la vue.



L’ambiance est top dans le wagon, ça se balade, ça discute, ça lit, ça somnole et ça rigole. A côté de nous, un canadien plutôt bon trip qui nous parle de la saison de hockey sur glace. Juste derrière, un jeune français est en train d’avaler le 2ème tome du Trône de Fer, tellement absorbé qu’il ne lève même plus la tête pour voir ce qui se passe dans et en dehors du train. Les dernières heures se font quand même un peu longues… le voyage dure finalement 13h !



Arrivée à 20h passées à Manakara. Pleine nuit. Il pleut et les passagers se bousculent sur le quai. Le vent se lève, la pluie redouble d’intensité, tout le monde essaye de se trouver une place à l’abri, c’est la cohue. Seule une ouverture étroite permet d’entrer dans le hall de la gare. On se perd dans la foule. Traversée du hall, une autre petite porte permet de sortir de la gare. Permettrait, si les gens ne restaient pas plantés sous le porche, bloquant le passage. On force un peu. Dans le merdier devant la gare, un gamin essaye de glisser sa main dans ma poche, je l’arrête à temps. On a perdu les autres. Des dizaines de pousses-pousses essayent de nous alpaguer pour nous emmener à notre hôtel. Lolo prend place dans l’un d’eux, un autre prend Alice par la main et l’installe sans lui demander son avis, et je monte dans un troisième. On essaye de discuter des prix, ils nous disent de ne pas nous inquiéter, que ce sera le prix « normal ». Une bâche un peu trouée est rabattue sur le pousse-pousse pour me protéger de la pluie. Je me retrouve complètement seul dans l’habitacle, l’averse bât son plein, le vent et l’eau s’engouffrent, l’orage retentit, j’ai à peine vu la tête du pousse-poussier, qui m’emmène je ne sais où. Où que ce soit, il doit en chier. La pluie se calme un peu, on est arrivé. Lolo et Alice sont là. Bien sûr, les pousses-pousses qu’on a pris avec Alice nous réclament 4 fois le prix demandé à Lolo. Ça s’engraine un peu, un guide qu’on avait rencontré dans le train nous vient en aide, on paye un prix correct.

Aux Délices, les chambres sont petites et rudimentaires, mais au sec. Un bon et gros filet de poisson grillé me réconcilie avec cette fin de journée. A la fin du repas, Christine et Olivier débarquent, trempés… leur réservation d’hôtel n’ayant pas marché, ils ont fait des km en pousse-pousse sous la pluie avant de trouver de la place dans un hôtel pourri à deux encablures.


Mercredi 10 août

On se retrouve vers 8h pour prendre le petit déj ensemble. On a la surprise de voir débarquer Moï et Linda dans le minibus qu’ils ont loué pour les jours à venir. C’est ici que nos chemins se séparent, ils continuent vers le sud alors qu’on a choisi de remonter. Ils étaient malades de ne pas nous avoir dit au revoir et de s’être quitté en pleine apocalypse la veille au soir. Et j’ai perdu mon chargeur de portable malgache dans le train, je ne suis plus joignable. Ils décollent. Il y a des chances pour qu’on se retrouve à Lyon dans pas si longtemps.



On part se balader vers l’océan. Wouah. L’océan indien. La pluie d’hier a laissé la place à un gros soleil. Mais le climat est clairement plus tropical ici, chaud et humide. Palmiers et cocotiers bordent la plage. On se fait couper une noix de coco pour boire le lait délicieusement frais à la paille. Les vagues sont puissantes, il est vraiment déconseillé de s’y baigner. Un touriste serait mort noyé le mois passé. Ils sont vraiment flippé ces malgaches. On trempe les pieds quand même. Effectivement, le courant semble taquin.



Au loin, des pêcheurs tanguent sur des vieilles pirogues. Promenade le long de la plage. Les vagues explosent sur une digue à l’entrée d’un bras de mer. On fait signe à des pirogues pour leur demander s’ils peuvent nous faire traverser ce dernier. Pas de souci, les jeunes piroguiers viennent nous chercher un à un. Leurs embarcations prennent l’eau, mais on arrive de l’autre côté. Dans des seaux, le résultat de leur pêche matinale : des poissons énormes. Un peu plus loin, un serpent glisse furtivement devant nos pieds, dans le sable.



Sortie de la plage, balade par les chemins. On passe au dessus du Canal des Pangalanes. Séparé de l’océan par une étroite bande de terre, il a été construit en 1901 pour mettre une liaison fluviale entre les 650 km qui séparent Tamatave de Manakara, sur la côte Est de l’île.



De retour à l’hôtel, on a décidé de louer des vélos pour faire les 8 km qui nous séparent d’un spot de mer avec baignade autorisée, plus au sud. A l’hôtel, la patronne nous dit qu’il y en a, mais pas très bons, il vaut mieux les louer ailleurs. Un guide de passage appelle un autre guide spécialisé pour lui dire de venir nous aider. Une demi-heure plus tard, toujours personne. On prend les devants. Tous les lieux qu’on nous indique sont foireux : plus de vélo, adresse inexistante… de retour à l’hôtel, le guide arrive, bourré. Toutes ses indications ont déjà été explorées en vain. Nouvelle tentative à l’hôtel Sidi. Ils nous disent que notre hôtel, Les Délices, a des vélos. Aux Délices, on revient donc leur demander des vélos, si pourris soient-ils. Ok, mais il n’y en a que deux. Ils vont chercher les autres. Attente interminable. Je finis par enfourcher l’une des montures pour aller m’acheter une clé 3G+ à l’autre bout de la ville, sur le chemin de l’océan. La clé en poche, je reste un moment à attendre les autres, qui finissent par arriver… à pied ! L’échec est cuisant. La journée touche à sa fin, on décide de retourner à la plage accessible.



On se mouille à défaut de se baigner, et on ouvre deux noix de coco cette fois, dans lesquelles on verse un peu de rhum en guise d’apéro, face à la mer. Ya pire.



Le soir, on mange tous Chez Elisa. Une coupure de courant vient agrémenter le dîner. Toute la ville est dans le noir et on se retrouve à décortiquer d’excellentes langoustes grillées à la chandelle. Classe.

En se remémorant la galère du jour, Olivier nous en raconte une autre vécu par un voisin du train. Il descendait la Tsiribihina en Chaland, un gros bateau à moteur. L’hélice s’est empêtrée dans le fond et s’est cassée. Après des heures de tentative de rafistolage au marteau, un autre chaland les a récupérés, avec tous leur bagages et matériel. Un jour plus tard, le nouveau chaland est tombé en panne d’essence, ils avaient oublié le bidon dans le bateau en panne. Pas mal non plus.

Dès demain, un minibus avec chauffeur devrait être mis à notre entière disposition à tous les cinq, pour une période de cinq jours. Il devrait passer nous prendre à l’hôtel à 7h. Il devrait…

+ de photos ici

Vendredi 12 août - Ranomafana

08 août 2011

Les mystères de l'Ouest malgache

Lundi 8 août

Internet, enfin ! Madagascar est extraordinaire par bien des points, et notamment sa faculté naturelle à se couper du monde. Rien de plus facile ici. Et rien de plus galère quand on tient un blog et qu'on aimerait pouvoir donner des nouvelles régulièrement. Mais pour tout avouer, ça fait un bien fou d'être coupé à ce point là de toute forme de communication. Cet état de fait est probablement dû en partie au côté particulièrement sauvage de l'ouest malgache. Huit jours passés à parcourir terres, rivières et montagnes d'une région débordante de curiosités naturelles fascinantes, en compagnie d'une joyeuse troupe bien métissée. Même si on se serait bien passé des cons.

J'ai essayé de foutre quelques photos directement dans le blog pour une fois.
Il y en a plus
ICI (pour ceux qui n'ont pas Facebook).


Vendredi 29 juillet

Réveil. Il est tôt mais il fait déjà jour et beau. Je boucle mon sac rapidement pour avoir le temps de passer un peu de temps dans le (seul ?) café Internet du bled. Retour en pousse-pousse. La ville en dénombrerait 7000, et les "chauffeurs" galèrent pas mal. La majorité d’entre eux louent leur véhicule pour la journée et dorment entassés dans des dortoirs d’Antsirabé en attendant de ramener un peu d’argent à leur famille qui crèchent en dehors de la ville.



A mon arrivée devant le Green Park, tout le monde est là, ready to go. Fabien, qui n’a pas trouvé assez de touristes de son côté, est venu nous dire au revoir. Le simple fait de voir sa bonne gueule fout la patate. On grimpe dans un minibus, les bagages sont entassés à l’arrière… départ en direction de l’Ouest.

Le chauffeur roule comme un malade sur des routes "douteuses" à "clairement cabossées", et s’enfile 250 km en 4 petites heures. Les sacs ne cessent de tomber de leurs sièges, et on s’agrippe comme on peut à son voisin. On sent le climat changer en même temps que le paysage se transforme. Des hautes terres d’Antsirabé, bien ensoleillées mais jamais suffocantes, avec des terres fertiles et bien irriguées, on passe à des paysages plus arides et montagneux (genre falaises ocres de l’ouest américain) et la chaleur monte au fur et à mesure que le minibus descend en altitude. On traverse encore nombre forêts, petits villages et autres champs cultivés avant d’apercevoir en contrebas la grande rivière Tsiribihina et la ville de Miandrivazo, point de départ de notre descente en pirogue.

On élit domicile dans un petit gîte sympa, avec des lits affublés de moustiquaire, abords du fleuve oblige. Le village n’est à l’évidence pas riche, les habitations sont sommaires, l’électricité fournie par des groupes électrogènes.

Une promenade sur la rive s’impose, on observe les traversées de pirogues dans le contrejour du soleil déclinant. Le village est calme, même si des enfants nous entourent rapidement en criant "Vasaha" et en nous prenant par la main, hilares. Les cheveux longs ne sont pas courant ici. Avec Lolo, on est un peu des spécimens. Ils réclament qu’on les prennent en photo, pas contre un billet, juste pour se regarder après et prendre des fou-rires. Ok, ils réclament des bonbons. Ok, on craque. Les silhouettes des piroguiers se détachent devant un soleil qui se couche sur lla rivière, ça pose.



Retour au gîte. Le couple "prout-prout" veut tout organiser, et surtout qu’on reste tous ensemble. Bribe de discussion :
Eux : - on mange où ce soir ?
Nous : - pour l’instant on allait se boire une petite bière ici, on verra plus tard pour manger, on se promènera et on improvisera
Eux : - Ah, super idée, prenons l’apéro ici avant d'aller au resto.

Aucun resto ne nous accepte, n’ayant pas assez de provision pour faire à manger pour sept ! On finit par trouver grâce dans une enseigne perchée un peu plus haut à qui il reste un ou deux poulets qu'ils peuvent agrémenter de frites. Un autre groupe mange sur la même terrasse, des belges dont la plupart n’ont pas pu récupérer leur bagage en arrivant à Tana. Leur guide vient tchatcher avec nous, la discussion est passionnante. Il nous parle de la tristesse que lui provoquent les problèmes de sono pays et l’instabilité politique préoccupante.

Selon lui, le pays n’a jamais su exploiter un sous-sol richissime (pétrole, minéraux, matières premières…) et des sols fertiles qui devraient permettre, avec une volonté politique, un véritable développement économique. Il se plaint des dissensions entre les 18 ethnies de l’île, attisées par partis politiques différents qui essayent tous de monter les unes contre les autres pour tirer leur épingle du jeu. La population malgache est pourtant plutôt unie au départ, même s'il subsiste quelques tensions historiques entre les habitants des hautes terres du centre et ceux des côtes. Les élites seraient systématiquement corrompues, s’enrichissant au détriment d’une grande majorité pauvre. Dès qu’un homme politique semble vouloir changer de cap, il se cogne à un système branlicotant où l’argent disparait dans des tas de poches intermédiaires, empêchant les réformes de se mener à bien, les écoles et les routes de se construire, une classe moyenne se créer, et par la même l'économie de se relancer sainement. La merde.

Les régimes se sont succédé sans parvenir à grand-chose. Ratsiraka est passé de socialiste révolutionnaire dans les années 70 à grand défenseur d’une économie libérale dans les années 90. Ravalomanana, qui lui a prit le pouvoir en 2002 après une crise née d’élections dénoncées frauduleuses, a tenté de faire bouger les lignes dans le bon sens et d’engager des réformes… tout en enrichissant sa famille et ses entreprises et en rachetant les médias. Un classique. Il a aussi ouvert le pays aux investissements américains, africains et chinois au détriment de la France, mise un peu sur la touche, qui ne serait pas étrangère au coup d’état de Rajoelina en 2009 ! Ce dernier, jeune homme d’affaire aux dents longues (34 ans), maire de Tana, surnommé "TGV", s’octroie le pouvoir malgré l’interdiction par la constitution malgache degouverner le pays avant 40 ans révolus. Depuis son arrivée au pouvoir, qu’il estime transitoire (des élections en bonnes et dues formes sont promises depuis 2 ans), la liberté de la presse n’a cessé de se dégrader, l’analphabétisation gagne encore du terrain…

Le guide est très véhément, on sent qu’il a besoin de s’exprimer, il nous remercie de venir à Madagascar et de parler de la situation autour de nous. Il emploie des formules marrantes comme : "Je ne ferai jamais de politique, ce n’est pas mon rôle, je ne serai jamais partisan… mais je ne laisserai pas un gamin de 35 ans décider de l’avenir de ce pays !" ou encore "je ne critique pas, mais si j'ai une bouche, c'est pour parler".

Il nous éclaire aussi sur les fadhis, sortes de tabous visant à respecter les ancêtres, variant d’une ethnie à une autre. L'un d'eux interdit aux femmes de mettre au monde des jumeaux ou des triplés. Les malheureux sont alors déposés à la naissance à l’entrée d’un enclos de zébus et piétinés par le troupeau. Un autre oblige le père à manger le prépuce de son fils circoncis avec de la banane. Nice.

On fait un peu mieux connaissance avec nos compagnons de route.

Olivier et Christine, premiers rencontrés, sont très sympas. Ils habitent au Mans, lui est instit spécialisé dans les cas sociaux, détenus et autres handicapés, elle est infirmière. Ils ont des enfants de 16 à 24 ans, leurs fils ont les cheveux longs, ils écoutent de la chanson, aiment les Cowboys Fringants et Renan Luce…

Olivier (2) et Catherine, prof de sport et architecte, ne semblent pas si affreux… on verra bien. S'ils ont déjà beaucoup voyagé et ne sont pas là par hasard, ils semblent manquer furieusement de rock ‘n roll.

On termine la soirée avec Lolo et Alice en discutant à la terrasse d’un café avec les piroguiers qui vont nous conduire le lendemain, et leur potes, bien entamés par les THB, racontant pas mal de conneries, nous proposant du pouf-pouf (quelque chose à fumer) et nous parlant des jolies filles de Morondava qu'ils vont voir quand ils sont loin de leur femme.

Au moment de se mettre au lit, rencontre avec Moï et Linda, le dernier couple qui a fait la route en taxi brousse de Tana à Miondrivazo en une journée et qui vient d’arriver pour se joindre au wagon. 30-35 ans, tout sourires, habitant à… Tassin la demi-lune !


Samedi 30 juillet

Lever aux aurores. Les coqs du bled ont la particularité originale de se réveiller (et de nous réveiller) dès minuit, et jusqu’à 6h le matin !

Petit déj copieux avant le départ en pirogues. Notre flotte est composée de quatre embarcations en bois. Un couple par pirogue (on accepte Lolo dans la notre) + 1 piroguier en chef à l’arrière + 1 ou 2 accompagnateurs malgaches dispatchés (jeunes frères et sœurs des piroguiers qui veulent nous accompagner, Max le guide, Hadza le cuisinier, …) + beaucoup de matériel (braseros, couverts, packs d’eau, matelas en mousse, tentes, bagages…) + 3 poules vivantes ! On appelle ces dernières Nicolas, Carla et Claude, pour être sûr de ne pas trop s’attacher.



Dans notre pirogue, équipe de luxe :
  • Ferdinand,16 ans, chef piroguier, pas très loquace mais très gentil et qui envoie du lourd avec la pagaye.
  • Martin, 9-10 ans, son petit frère, tout fou, rigolo, et qui envoie du lourd avec la pagaye.
  • Alice, Lolo et moi-même, plutôt contents d’être là, bien installés sur nos matelas en mousse, adossés aux sacs, une pagaye en bois à se partager à trois… on la laisse généreusement à Lolo, en se disant qu’il est de toute probabilité qu’il envoie du lourd avec la pagaye.
Le voyage commence. La pirogue tangue un peu, c’est loin d’être désagréable. On est vautré, on est bien. Sur la première partie de la descente, la végétation n’est pas si dense. Des terres vaguement cultivées, des champs en friche, quelques arbres. Quelques oiseaux qui se manifestent le long du parcours, hérons, martins pêcheurs, un rapace aussi.

Hadza se jette à l’eau, remonte dans les arbres du bord, et nous ramène un gros caméléon sur une pagaie, qu’il tend juste devant ma gueule. Vraiment trop cheulou cette bestiole, je suis pas rassuré.

On passe quand même globalement toute la journée à ne RIEN faire, sinon regarder défiler le paysage, prendre le soleil, et se laisser bercer par le son des coups de pagayes dans l’eau et le mouvement de balancier lancinant de la pirogue. Des familles de paysans nous disent régulièrement bonjour sur les rivages, surtout des enfants qui courent un moment sur le côté pour nous accompagner et discuter avec les piroguiers. Max nous a expliqué qu’en absence de planning familial, les couples avaient souvent jusqu’à 10 ou 12 enfants, surtout dans les campagnes. La plupart ne vont pas à l’école et vont travailler dans les champs dès qu’ils en ont la force.



Petite pause à côté d’un village pour déjeuner, tous les enfants viennent une fois encore se joindre à nous. Hadza nous a préparé un repas de compèt, il a épluché des légumes en julienne et fait mijoter le tout avec un assaisonnement parfait depuis la pirogue, sur un brasero posé en son centre ! Une bonne viande de zébu avec ça, on se régale. On reprend le fil de l’eau le ventre plein.



Le calme absolu reprend son droit. Ni montre, ni téléphone, ni connexion, ni rien, juste la pirogue, la nature, les arbres, la rivière, la glande, accompagnés du petit sifflotement de Ferdinand à l’arrière.

Arrêt sur un terre-plein désertique recouvert de sable pour passer la nuit. On plante des tentes qui ont déjà bien vécues et dans laquelle on rentre difficilement à deux avec les bagages. Le soleil ne tarde pas à se coucher derrière le fleuve, l’horizon explose de couleurs.



Max nous propose de nous poser sur une nappe de fortune et nous amène l’apéro. Des princes. Rhum arrangé à la vanille, ça passe tout seul. Moï est déjà bien éméché, il avoue avoir éclusé toute la journée une bouteille de rhum local concocté par un des piroguiers, "L’eau de la Tsirhibina", probablement distillé avec l’eau de la rivière mélangé avec quelques douceurs pour tenter d’atténuer son côté débouche-chiottes.

Excellent ragout de légumes, pâtes, viande de zébu bouillie, tranche d’ananas… tout est goutû, parfaitement assaisonné et fait à base de produits frais, un régal.

Quelques verres et accords de guitares plus tard, l’ambiance devient véritablement détendue. L’instrument (tout désaccordé, plein de trous, rafistolé à la zob) passe de mains en mains. Des mélodies malgaches, françaises ou espagnoles montent dans une nuit noire constellée de mille étoiles, dont la croix du Sud qui se détache nettement au dessus du fleuve, hémisphère sud oblige.

Et puis le silence, le calme, la nature qui bruisse, qui chuchote d’incompréhensibles secrets. On reste là à terminer les bouteilles et à discuter, les gens vont se coucher progressivement, les derniers à une heure qui nous semble exagérément tardive… il n’est que 22h.


Dimanche 31 juillet

Max réveille le camp avec 3 (faux) accords de guitare au lever du jour. Le petit déj est déjà prêt, œufs au plat, cafés. Pliage de tentes. On est sur l’eau.

Le paysage change dès le matin, il y a plus de végétation autour, de forêts. Et avec les arbres plus d’animaux à chercher des yeux. On ne tarde pas à apercevoir des lémuriens, ces fameux primates qui n’ont survécu sur la Grande Ile que grâce à l’absence de leurs cousins les singes, qui auraient provoqué leur disparition dans le reste de l’Afrique. Des crocodiles aussi, qui se font bronzer peinard au soleil sur les rochers prêt de l’eau, et qui plongent dans le courant dès qu’on les dérange un peu trop.



La flore est tout aussi passionnante à découvrir… bon, surtout pour des botanistes. Pour moi, ça reste des arbres et des fleurs. Mais à ce qu’il parait, l’endémisme à Madagascar est véritablement dingue. Pour les moins cultivés d’entre vous (j’en faisais partie peu de temps avant d’écrire ces lignes), une espèce endémique est une espèce qui n’existe que dans une région ou un pays. En l’occurrence, 85% des espèces végétales de Madagascar sont endémiques, comme 95% des poissons d’eau douces, les cinq familles de lémuriens, 98% des reptiles et amphibiens, plus de 40% des oiseaux, et 2900 espèces de papillons environ (on va pas mégoter). Et bon, sans dire que ça se voit, ça fait plaisir de le savoir et de se sentir dans un endroit unique.

Vers midi, les pirogues arriment aux abords d’une cascade, un cadre trois étoiles pour déjeuner. Martin, le gosse de la pirogue, choppe les trois poules par les pattes d’une seule main et les saigne à la gorge une à une, de manière aussi naturelle que j’éplucherais une carotte (peut-être même plus aisément).

Vers le coin d’eau, on est entouré d’autres groupes de vasahas, mais l’étape n’est pas désagréable : baignade, douche, massage naturel avec le flot de la cascade. Alice et Christine tentent d’apprendre à Rova (prononcer « Rouva »), la nièce de Max de 12-13 ans, à nager. Le soleil n’a pas débandé depuis notre départ, il fait chaud et l’eau fait du bien à tout le monde.

Pendant le déjeuner, notamment composé de spaghettis aux (très frais) abats de poules, plusieurs sifakas (lémuriens blancs) nous observent quelques mètres seulement au dessus de nous, dans l’arbre qui nous fait de l’ombre.

L’après-midi défile tranquillement au rythme de l’eau, agrémentée de siestes bien méritées, de silences contemplatifs, de lecture aspirantes et de trois coups de pagayes à l’envie (toujours raisonnable). Le cul en prend quand même un coup en fin de journée.



Installation du campement sur une parcelle à peine moins désertique que la veille, les tentes toujours amorties dans une zone sableuse. Le traditionnel coucher de soleil vient sonner le glas de ce deuxième jour en pirogue, et c’est avec plaisir qu’on s’apprête à faire la fête à Nico, Claude et Carla, préparés avec un soin tout particulier, bien marinés, épicés et croquants sur le dessus, tendres à l’intérieur. On hallucine sur les résultats culinaires obtenus avec trois bouts de ficelle et deux braseros. Je tombe sur une cuisse plutôt charnue… sûrement pas celle de Carla, que je parierais plus légère.

La discussion continue tard, ça parle voyages essentiellement, Catherine nous parle de ses baroudages de jeunesse en Guyane tout en se plaignant de l’inconfort d’une tente, tout le monde est bien détendu. Malgré tous les bons moments passés avec les malgaches en journée, ils continuent à préférer ne pas trop se mélanger avec nous, une gêne subsiste malgré nos tentatives répétées de les inviter à notre nappe. Ils dorment tous à même le sol, sans tente, on est vraiment privilégié. Seul Max passe plus de temps avec nous pour discuter et nous briefer sur la suite, toujours calme et aux petits soins, avec la pointe d’ironie qui va bien. Il a l’adorable accent malgache qui transforme le JE en ZE et les CHE en SE. "Change" devient ainsi "Sanze"… après quelques jours, on comprend. Parfois.


Lundi 1er août

Le troisième jour de pirogue commence après le tralala matinal classique : réveil à 6h, petit déj de rois au milieu de rien, pliage du campement. Après deux jours de bivouac, on commence tous à avoir de bonnes têtes de vainqueurs. Nos accompagnateurs malgaches sont eux toujours en pleine forme, surtout les gamins qui ne se plaignent jamais de rien et ne rechignent devant aucune injonction de la part des plus grands.

Les embarcations traversent des terres plus vertes que la veille, avec de nombreuses plantations de tabac, de patates douces ou encore de haricots. Niveau bestiole, des chauves-souris sortent en masse d’un trou de falaise pour nous suivre du regard, un immense papillon noir à pois jaunes (ou blancs) nous survole, et des petits crocodiles continuent leur bronzette au soleil.

Sur les rivages des enfants crient, d’autres jeunes nous demandent nos bouteilles d’eau en plastique vides pour leur offrir une seconde vie, des vieux nous observent sans bruit, un peu hagards, d’autres encore jouent de la musique, notamment sur une petite guitare genre ukulélé local. La musique malgache la plus courante est un mélange de rythmiques world, reggae et samba avec des sons de sirènes, de sifflets et… d’accordéon. Ce qu’ils appellent rock est plutôt de la pop guimauve à plusieurs voix. Il me tarde de découvrir leur scène métal.

Midi sonne la fin du voyage le long de la Tsiribihina. On remercie chaleureusement les piroguiers, Hadza, Martin, toute la troupe qui va après une courte pause prendre le chemin du retour pour Miandrivazo à contre-courant. Ils peuvent en avoir pour 5 jours à l’aide d’un bâton à remonter le fleuve, à moins qu’ils ne se fassent remorquer par un des rares navires à moteur qui sillonne le fleuve contre un bon billet. En pleine saison des pluies, avec la crue du fleuve et le courant, ce même trajet peut prendre jusqu’à trois semaines !



Gros comité d’accueil hétéroclite dans le petit hameau du bord de fleuve et déjeuner entouré de nombreuses personnes nous regardant manger, notamment des enfants au ventre ballonné, symptôme typique de malnutrition… ça coupe un peu l’appétit.



Petite balade de 4km à pieds pour rejoindre le petit village d’Antsiraraka, alors que les sacs sont transportés sur des charrettes tractées par des zébus, sur lesquelles on grimpe aussi par intermittence pour passer des gués de rivière ou des tronçons inondés. Le commander in chief des charrettes à zébu est un vieil homme pas vraiment commode mais qui dégage un certain respect, plus dû à la hachette qu’il manie à démesure qu’à son âge avancé. Le long du chemin, les rizières sont verdoyantes et beaucoup plus hautes que précédemment. Le soleil tabasse. Les paysans travaillent dans les champs, portent des sacs de riz volumineux et suent à grosses gouttes.

A Antsiraraka, arrivée dans l’enchevêtrement de petites huttes de bois, bambous et de feuilles de palmiers qui nous sert d’hôtel. Les chambres sont pourvues de vrai lit, ça va faire du bien. Les douches sont assez sommaires, avec juste un seau rempli d’eau de la rivière et des récipients en plastique pour s’en asperger…, à l’africaine. Le pire, c’est qu’on se lave très bien et qu’on s’aperçoit qu’on a besoin de beaucoup moins d’eau qu’on peut le penser pour prendre une bonne douche complète… ça fait réfléchir.

Le soir, bonne bouffe tous ensemble. La descente en pirogue et la marche en plein cagnard a bien séché tout le monde, mais à part Catherine et Olivier qui continuent à se plaindre à grands coups de petites remarques que j’ai de plus en plus de mal à supporter, le groupe s’entend bien, est ultra content d’être ici et s’apprête à savourer une nuit en dur. Ce qu’on fait tous après quelques derniers verres de THB et de Carte Noire, un alcool local pour le moins surprenant, présenté sur l’étiquette comme "un rhum extra fin au goût subtil et inimitable, qui ravira les connaisseurs avertis". Effectivement, il vaut mieux être averti.


Mardi 2 août

Réveil à 5h30… en pleine forme ! Ça doit être l’effet vacances combiné au Carte Noir...
Aujourd’hui c’est 4x4 toute la journée pour atteindre la région des Tsingys, le deuxième temps fort du tour. On se retrouve avec Alice et Lolo dans le véhicule de Catherine et Olivier. Pas de chance. Le chauffeur est tout doux et souriant, il écoute de la pop malgache mièvre et lancinante, mélange de Walt Disney et de comédie musicale. Moi j’aime bien.



Pause de mi-parcours à Belo sur Tsirinbihina, juste après avoir navigué avec les 4x4 à l’aide d’un bac sur plusieurs km le long du fleuve, pas loin de l’embouchure de la mer. Le marché du bled est en pleine activité, on rachète plein de fournitures nécessaires (eau, mouchoirs, clopes…). On peu acheter de nombreuses épices et autres denrées alimentaires, la plupart étant vendu par unité de kapokas, correspondant à la contenance d’une boite de conserve vide de lait concentré. De nombreuses femmes ont le visage peinturluré de pâte d’écorce pour soigner leur peau, comme en Birmanie.



Déjeuner dans un resto : médaillons de gambas au beurre et à l’ail, des bananes rôties caramélisées au gingembre… on n’en peut plus de bien manger.

L’après-midi, la route se corse : 100 km à parcourir sur de la piste secondaire cahoteuse bien pourrie, voire à chier sur les 25 derniers Km. Presque 5h de route. On finit par arriver à Bekopaka après avoir passé un autre gué en bac. La mine soulagée, l’estomac dans les chaussettes.



On est reparti pour 2 jours de bivouac sur la rive du fleuve Manombolo. Sauf Catherine et Olivier qui se sont payé deux nuits dans un hôtel de luxe avec piscine à 2 km de là, tout en disant que si les lits étaient aussi inconfortables que la veille, ils préféraient encore dormir en tente. Classe.

Effectivement, le confort du camping reste rudimentaire, avec des douches froides à l’africaine, à l’eau du fleuve, et des trous dans le sol en guise de toilette, mais personne d’autre ne s’en plaint, tout le monde est ravi des attentions de Max, de l’organisation sans accroc, des repas succulents et de la bonne ambiance qui règne. Rova est de plus en plus à l’aise avec nous, et Ludovic, autre gamin de la famille qui nous a rejoins après les pirogues, est lui aussi super bon trip.

On dîne sur une terrasse couverte en dur, encore des gambas, entières cette fois. La soirée est particulièrement agréable. Christine, toujours très attentionnée et qui nous materne un peu (Olivier trouve qu’elle nous parle à Lolo et moi comme à ses "gars"), commence à se lâcher. Le couple est en fait en voyage de noces, ils viennent de se marier après 27 ans de vie commune ! Linda et Moï sont eux aussi en pleine forme, ça rigole à fond. Étonnant comme l’absence des deux relous peut détendre une ambiance de groupe. On goûte quand même à la bien nommée Eau de Monombola, préparation de Max à base d’un de ces rhums "au goût inimitable", dans lequel il a ajouté de la banane et du miel pour tenter de nous cacher le tord-boyaux qui se cache derrière. Petit malin.


Mercredi 3 août

Lever à 5h30… les boyaux tordus ! Un mal de ventre plutôt explicite, les contractions intestinales douloureuses ne laissent pas de doute quand à la teneur des festivités qui s’annoncent. On me renvoie une image pas bien glorieuse avec ça, une sale mine au joli hâle verdâtre. On doit partir à 6h30 pour les Tsingys, je n’imagine pas abandonner après avoir être arrivé jusque là, ça me rendrait plus malade encore, du coup je rejoins le 4x4 après un dernier passage à la case toilettes, tout le monde m’attend.

Une heure d’attente au bureau des autorités du parc (Mora mora), récupération de deux guides, Augustin et Rénadi. Il reste une vingtaine de km de piste défoncée vers le nord avant d’arriver à l’entrée des Grands Tsingys. Dans la précipitation, je me rends compte avec un temps de retard que j’ai oublié d’enfiler mes chaussures de marche, indispensables pour affronter les arrêtes rocheuses effilées omniprésentes. M’en fout, j’irai en tong (ou plutôt en sandales allemandes). Malade, en tong. Malgré l’évidente pitié que je provoque chez autres, je pense les faire bien rire sous le manteau.

Avant de parler de la journée, prenons le temps de lever le mystère sur ces curiosités géologiques appelées Tsingys. Alors voilà, la Grande Ile se sépare de la "plaque Africaine" il y a 160 millions d’années (on est toujours sur de l’estimation, hein). Sa partie ouest est d’abord immergée dans l’océan, émerge quelques millions d’années, replonge un moment, revient au grand jour… les étonnantes "cathédrales karstiques" dressées actuellement sont le fruit de cette indécision. Avec le coup de pouce d’un bon mouvement tectonique des familles, quand même. Et voilà une immense forêt de montagnes calcaires, recouvrant un parc de 250 km du nord au sud et d'environ 17 km d'est en ouest. Les pointes acérées si particulières sont dues à l’érosion, accélérée par la tombée de pluies acides à l’époque ou l’activité volcanique de l’île emplissait l’air de souffre.



Le spot me fait penser à la forêt de Shilin dans le Yunan en Chine, formé de manière comparable, recouvrant une superficie impressionnante aussi, mais d’une hauteur beaucoup plus modeste.

On est un peu moins cons, on peut y aller. Augustin et Rénadi guident le groupe dans un dédale de pierres entrecoupé de zones de forêts. Dans la forêt, des lémuriens toujours, les fameux sifakas blancs. Et puis encore une multitudes d’arbres et de plantes, endémiques, à coup sûr. Certains arbres sont déformés par des lianes qui s’enroulent autour d’eux, les étranglant comme des serpents.

La troupe s’enfonce dans une faille, puis traverse des grottes à la frontale, il faut parfois ramper un peu ou se faufiler dans des boyaux étroits. S’ensuivent des grimpettes entre les rochers, certains passages bien escarpés nous obligent à nous accrocher à des câbles avec des baudriers. Le chemin est bien balisé et hors de portée pour personne, avec beaucoup de petits rochers cloués à la roche initiale pour servir de marches, ou encore des échelles et des pontons en bois. Mais faut quand même faire gaffe à où on met les pieds (surtout en tong) et les mains, les tsingys étant bien tranchants. On prend progressivement de la hauteur, et les sujets au vertige commencent à perdre leur sang-froid les uns après les autres.



La végétation continue à trouver une raison d’être dans ce paysage rocheux hostile, avec des arbres fixés dans la roche et dont les racines ressortent un peu plus bas et poussent sur plusieurs mètres à l’air libre avant de trouver de petites parcelles de terre dans lesquels s'ancrer. Des lianes qui sortent d’on ne sait où permettent de s'y accrocher pour mieux se hisser.

Mon ventre, après avoir littéralement pourri ma première heure de balade en m’empêchant de profiter de l’invraisemblable environnement, commence à me laisser du répit, je reprends des couleurs.

Au plus haut de la progression, des belvédères permettent de contempler à 360° les grands tsingys à perte de vue. Magistral. On a l’impression d’admirer les restes d’un autre temps, une cité naturelle oubliée dans laquelle la végétation aurait repris quelques rennes. Les lieux conviendraient parfaitement à un récit de Lovecraft, devenant le berceau de créatures ancestrales démoniaques. Ma théorie est beaucoup plus fiable : nous serions devant l’ancien habitat des dragons au temps où ils peuplaient la terre. Les grottes sous les tsingys leur servaient de lieu de nidification, ils régnaient ensuite autour de ces cimes rocheuses qui leur permettaient de sa cacher au reste du monde. C’est leur propre souffre qui aurait provoqué les pluies acides provoquant leur perte dans un acte manqué d’autodestruction. J’imagine des centaines de dragons volant au dessus de ces pointes rocheuses à perte de vue… ça fait froid dans le dos. Ok, je ne suis peut-être pas tout à fait guéri.



Un pont suspendu bringuebalant au dessus du vide fait le lien entre deux massifs karstiques. Certains l’empruntent plus à reculons que d’autres. Alice est particulièrement brassée par l’épreuve mais s’en sort haut la main, tremblante, blême, mais vaillante dans l’effort.



Redescente. Nos pas nous mènent dans les profondeurs entres les roches, dans une Grande grotte appelée La Cathédrale. Puis les pierres laissent la place à la forêt, à nouveau. Encore une petite heure de marche avant d’avoir bouclé la boucle. Des oiseaux à tête bleue se baladent. Un lémurien géant fait sa sieste, pendant entre deux arbres tel un hamac. Mon ventre, après une période de non aggression, recommence à me tourmenter. Une ronce s’accroche à mes jambes. Rien ne va plus. Je pars devant pour arriver au parking au plus vite, direction les toilettes (un trou infesté de mouches).

Je m’endors dans la jeep dès le démarrage et me réveille à la rivière. Réveil vaporeux, le ventre grinçant mais moins douloureux, vite rempli par une plâtrée de pâtes bienvenues. Il est déjà 16h. A part les relous, tout le monde décide d’aller faire un tour du côté des Petits Tsingys, dont l’entrée se situe juste à côté. J’irai moi aussi jusqu’au bout !

1h30 de balade plus tard, on est au sommet de ces tsingys miniatures, qui s’étendent sur une superficie immense, mais beaucoup moins hauts et laissant bien plus de place à la végétation. Signe de mon rétablissement, je fais de nouveau des jeux de mots pourris. Certains s'en seraient bien passé. Perché sur un belvédère, on attend patiemment un coucher du soleil, qui ne vient jamais, caché à l’horizon par des nuages menaçants.

A peine rentré au campement, on décide d’embringuer Augustin et Rénadi dans une visite nocturne de la forêt ! Le reste du groupe abdique. Avec Alice et Lolo, on est des warriors, on ne lâchera rien. Une vingtaine de minutes de marche plus tard, dans une obscurité croissante nous sommes en plein chœur de la forêt. Nos amis nous demandent de n’allumer nos frontales que si nécessaire, pour se repérer quelques secondes, mais de globalement rester silencieux, dans la pénombre absolue. On entend des bruissements, des petits bruits au dessus de nous. Les guides sont trop forts. Ils s’arrêtent, écoutent, et pointent d’un coup leur lampe dans une direction, faisant mouche à chaque fois.

On observe une race de lémurien miniature, de 30g seulement, qui ressemblent presque plus à des rongeurs mais avec leur longue queue caractéristique et leur saut de branche en branche. C’est une espèce nocturne. Ils sont trop forts aussi pour dégoter des caméléons accrochés aux branches, en plein sommeil. Ils nous expliquent qu’il est plus facile de les repérer dans l'obscurité avec leur peau un peu luisante à la lumière des torches et leur incapacité de changer de couleur dans la nuit. On en voit de trois types différents, blancs, bruns et verts, de différentes tailles. On peut les toucher, leur dos est plutôt rugueux. Je me fais à ces bestioles qui sont en fait ultra friendly.



De retour au campement, un passage aux toilettes à raison de mes dernières inquiétudes, je suis guéri. L’appétit est là, le repas fait du bien. Je ne bois plus que de l’eau minérale. On est quand même cassé, on a marché 8h en tout. Les relous nous ont rejoins pour le dîner, Catherine se plaint de l’absence de bulles dans leur jacuzzi.


Jeudi 4 août

Lever 5h, peinard. Même plus mal. Tentes et sacs ficelés sur le toit des jeeps. Les véhicules des différents groupes font la course au petit matin pour être les premiers sur le bac qui traverse la rivière Manombolo chaque demi-heure environ avec trois 4x4. On a été bon, on sera de la première traversée.

Le début de voyage secoue dans tous les sens, comme prévu… je redoute une rechute qui ne viendra pas. Traversée d'un village bien paumé. L'atmosphère y est électrique. Des centaines de paysans marchent les uns derrière les autres, pas l'air bien contents, armés de lances ou de fusils ! Les 4x4 se frayent un chemin, ce n’est pas vraiment rassurant à proprement parler. Max nous explique que des zébus ont été volés. Ici, on ne rigole pas avec les vols de zébu. En l'absence de forces coercitives à proximité, on les chasse et on fait justice tout seul. On apprendra par la suite que les deux fêtards du premier jour à Tana avaient croisé un cadavre humain lors de leur descente de la Tsiribihina. Lardé de coups de machette. "Un voleur de zébu", selon leur guide.

Dans l’habitacle à quatre roues motrices, la présence de Catherine et Olivier me devient insupportable, leur petits commentaires méprisants, leurs remarques acerbes... je commence à faire une intolérance physique. Trop d’air, pas assez d’air, les repas n’étaient pas bons, pas assez copieux, il faut faire-ci, il faut faire ça, mal au dos, mal au genou… et mal à la tête pour moi. Je comprends qu’à cinquante ans passés il n’est pas évident de partir pour une semaine dans un confort relatif pour un périple au rythme assez soutenu, mais dans ce cas on voyage différemment, on va chercher des prestations plus chères et plus en adéquations avec ce qu’ils sont. Catherine s’est fait opéré du genou il y a 2 mois, n’aime pas le riz… un voyage tout à fait adapté ! Vu comme elle ne cesse de nous rabâcher ses expériences passées, j’imagine qu’elle va passer toute l’année à s’enorgueillir auprès de ses proches d’être venu jusqu’ici dans des conditions déplorables, qu’elle ne va cesser de louer l’incroyable beauté sauvage des tsingys… Alors que depuis le début du tour, on a l’impression qu’ils n’ont pas pris un gramme de plaisir, pas le moindre fun, qu'ils vivent l'une des pires expériences de leur vie. Rien ne semble pouvoir les satisfaire.

Pause déjeuner à Belo sur Tsiribihina, même resto qu’à l’aller. Queues de crevettes sauce aigre douce, mortel. Et puis encore trois quarts d’heure pour passer le bac sur la Tsiribihina. Les enfants nous pressent à coups de "donne moi le bonbon", "donne moi l’argent"… et si on donne quelque chose c’est la castagne entre eux. Situation désagréable.

L’après-midi, la piste a presque des allures de route, c’est moins casse-bonbons. On arrive dans une zone connue pour ses baobabs, d’où des pauses régulières pour voir ça de plus prêt.

D’abord le Baobab Géant, un de ceux qui ne tiendraient chez personne. 850 d’âge. Une circonférence correspondant à 12 personnes bras tendus (on a testé pour vous).

Ensuite le Baobab Amoureux, curiosité composé de deux baobabs siamois enlacés. Look réglementaire pour une carte postale.



Et puis le clou du spectacle pour finir, la légendaire Allée des Baobabs. Des dizaines de baobabs alignés de part et d’autres du chemin, et le soleil qui se couche là-dessus. Là aussi, le spot acquiert sans problème son BAC Cartes Postales.



Arrivée de nuit à Morondava, sur une route pleine de poussière sur laquelle tout le monde se double et se redouble sans vergogne, partagée entre piétons et vélos suicidaires, vieilles bagnoles, et 4x4 manquant de s’emplâtrer les uns dans les autres.

Devant l’hôtel, les sacs et le matériel sont descendus du toit. Max revient vers nous furax : les chambres avaient été réservé "sous X" par un stagiaire, et finalement prises par d’autres personnes. L’hôtel est maintenant complet. Nous on trouve l’histoire plutôt drôle et pas bien grave. Les relous sont furax, bien sûr. On recharge tout.

On se retrouve au Batelage, un autre hôtel à la cool et pas cher tenu par un vrai bon, l’un des premiers à avoir imaginer le tour de l’Ouest tel qu'on est en train de le boucler. A peine posé, on file profiter de la mer. On se mouille les pieds dans les fortes plutôt vagues (ou l’inverse) du Canal du Mozambique. Ça fait un bien fou. On n’est plus qu’à quelques encablures (400 petits km) du continent africain. Des mini-brochettes sont avalées dans une gargote dansante aux abords de la plage, pas assez pour rassasier son monde. On décide de finir à l’Oasis aka Chez Jean le Rasta, à deux pas de l’hôtel.

Le lieu n’est autre qu’un temple dressé en hommage à Bob Marley : posters sur les murs, tentures, stickers dans les chiottes, couleurs vert-jaune-rouge omniprésentes… même la carte du menu termine par un stupéfiant "Bob appétit" ! Du coup tout le monde nous fait de grands signes à Lolo et moi… à Madagascar, cheveux longs riment avec rasta : on est ici des fumeurs de splif ambulants !

Rova et Ludo mangent avec nous, on les a complètement adoptés. Max reste toujours un poil à l’écart et ne vois jamais d’un bon œil que les enfants passent trop de temps avec nous, surtout Rova… un protectionnisme qui doit s’expliquer par les nombreux « dérapages » de touristes avec de jeunes malgaches.

Après quelques bouchées de crevettes et quelques ti-punchs tapageurs, la fiesta bât son plein, tout le monde a envie de profiter de cette dernière soirée. Catherine et Olivier vont se coucher. Moï part vite loin dans les tours, Olivier (le cool) le rejoint, tout le monde danse, les filles se lâchent aussi. La musique est exclusivement jouée en live par des gars assis autour d’une table qui se refilent des instruments, qui chantent chacun leur tour ou font des pauses pour se rouler des pétards. Des bons eux aussi. Quelques chansons bien rythmées en malgaches, mais aussi des vieux tubes reggae français périmés ("J’ai des petits problèmes dans ma plantation" de Kana) ou des improvisations terminant invariablement par "Legalise it" ! Des expats français bien éméchés trainent autour du bar, racontent n’importe quoi en se roulant eux aussi des cônes. Je tire sur quelques uns, histoire de me fondre dans le décorum. L’un d’eux explique que le nouveau président autoproclamé « TGV » est un génie et qu’il a refait 100% des routes depuis son accession au pouvoir, ce qui nous fait péter de rire après les derniers jours passés. On retrouve aussi pas mal de têtes de touristes qui ont suivi le même parcours que nous dans d’autres groupes.
Jean le rasta chante d’ailleurs "La chanson du Vasaha", dont les paroles relatent le tour de l’Ouest de Madagascar pour touristes, sans rien oublier : pirogue, cascade, charrette à zébus, tsingys, baobabs… de l'ironie, des souvenirs et un tube en puissance qui n’a pas fini de nous trotter dans la tête. La soirée se termine avec des rhums banane offerts par la maison et un guitariste (excellent par ailleurs) qui s’applique sur des arpèges de Bob Marley (Olivier y va d’ailleurs de son « Redemption Song ») ou de Cabrel… il est temps de rentrer.


Vendredi 5 août

Je suis le seul à avoir mis mon réveil à 6h, pour intercepter le chauffeur de minibus qui est censé nous reconduire d’une traite à Antsirabé. Max est debout lui aussi pour m’épauler. Je suis donc chargé de négocier un délai… de 24h ! Tout le monde veut profiter de l’océan une journée supplémentaire. La discussion tourne court : le chauffeur rigole en disant qu’il doit être à la pointe nord de l’île le lendemain soir. Foiré. J’obtiens quand même un délai de quelques heures pour permettre à tout le monde de dormir un peu ou de profiter de la mer un moment.

Après m’être recouché une heure ou deux, on se lève pour aller prendre le petit déj face au Canal du Mozambique. Le soleil n’est pas encore bien haut et il fait déjà bien chaud, des petits bateaux naviguent prêt de la plage, quelques dizaines de personnes commencent à sortir leur maillots de bain. Pas le temps de se baigner pour nous, mais l’envie picote un peu.

De retour à l’hôtel, je demande à la nana de la réception le nom des chanteurs français qui ont percé ici. Garou (?) et Diam’s. Ah merde. Le minibus passe nous récupérer vers 10h et le reste de la journée n’est que route. 10 bonnes heures, avec seulement quelques pauses pour pisser. Déjeuner dans une cantoche de village avec de l’eau du riz (bouilli donc) à boire en guise d’eau de table. Escale à Antsirabé pour déposer le jeune Ludo, futur grand guide de l’Ouest, excellent, souriant de bout en bout. On rend aussi le matos de bivouac à Hadza, qui est venu nous saluer, tous sourires lui aussi. Tout le monde, plutôt calmé par la soirée de la veille, contemple et bouquine. Rova lit L'homme invisible d’H.G. Wells que lui a offert Olivier (le cool). Super idée.

Arrivée au Green Park hôtel à 20h passées, il fait nuit depuis un moment. Chacun s'installe dans son bungalow avant de revenir dire au revoir à Max et Rova, remercier vivement pour l’expérience qu’ils nous ont permis de vivre dans un territoire extraordinaire, reculé et encore peu fréquenté. Tous sauf Catherine et Olivier. Christine va toquer à la porte de leur chambre pour leur dire qu’on est tous là et leur demander s’ils veulent participer à un pourboire global pour Max. La réponse est un non catégorique, ils refusent même d’aller dire au revoir. Imbéciles.

On les laisse partir devant pour dîner, et on prend la direction inverse avec les autres. Bouffe à L’Arche, le resto où on a rencontré "Ah bah oué hein" Fabien. Sans les relous, l’ambiance est toujours aussi sympa, on revient sur la semaine tout en dégustant d’excellents pavés de zébus. On commence à avoir plein de petites complicités crées au fil des jours.

On finit par aller se coucher, épuisé, avec la ferme intention de ne plus jamais permettre à Catherine et Olivier de se dresser sur notre chemin.

Lundi 8 août - Fianarantsoa