Samedi 29 Juillet - Ile d'Olkhon - Khoujir - 18h25
Bien, sur c'est une blague ! Non mais quand meme. Ah, pour les Olgas ? Ben faut lire la suite. Mais revenons d'abord la ou je vous ai quitte...
Juste apres le dernier post de Moscou donc, on se dirige jusqu'a la gare en metro. Arrive a destination, je suis soudain saisi d'une peur panique irraisonee, pas loin de la grosse angoisse : ca n'est pas la bonne gare, on va se faire voler nos billets... en tout cas on ne montera pas dans ce train, j'en ai l'intime conviction ! Cette montee fulgurante de stress amuse beaucoup Leo qui cette fois est completement zen, alors que d'habitude c'est moi qui dit que "tout va bien se passer" sans trop penser aux desagrements possibles. On a le temps d'acheter pain, fromage et saucisse, de changer des euros en roubles. On repere les 4 quais reserves au Transsiberien a la foule de voyageurs encombres qui s'y engouffrent ou en reviennent. Notre train s'appelle le "Baikal", c'est en fait un des plus rapides. Quai 1, Voiture 16 : c'est le premier wagon sur... ben 16. On tend billets et passeports a la Provodnitsa (hotesse de wagon) qui les scrute longement... et finit par nous laisser embarquer. Tout s'est parfaitement passe ! Mon visage se fend d'un large sourire : on s'apprete a quitter Moscou en direction du grand Est Siberien...
Tout d'abord un petit descriptif du lieu : le wagon, comme tous les 3eme classe russes ("Platskartny"), contient 54 couchettes, sur 2 niveaux sans compartiments, regroupes par 4 du cote gauche du couloir et par 2 du cote droit. De ce cote, la couchette inferieure se transforme en une table et 2 chaises en journee. On se retrouve tous les deux sur des couchettes du haut a droite, dans la continuite le long du couloir. Beaucoup de gens montent, reperent leur emplacement et s'installent, dans un calme relatif. Quelques regards mais rien qu'on puisse qualifier de cordial ni d'oppressant. Le train se remplit progressivement jusqu'a 23h25, heure de depart de la lourde machinerie (6000 tonnes le bouzin quand meme). Va pour un kit de draps a 67 roubles (2 euros) propose sans passion par une provodnitsa pas des plus amene. Nos lits sont bientot faits et nos quartier pris. Du haut de notre nouveau perchoir un peu etrique, dans l'obscurite feutree du wagon, on s'echange nos impressions en passant la tete du cote couloir. Seul dans le volume qui m'est alloue, je continue d'observer le silence qui s'installe a l'interieur comme a l'exterieur ou, en approchant sa tete d'une etroite hauteur de vitre, on peut voir se dessiner en ombre chinoise des enfilades interminables de sapins. Un peu de Dostoievski a la frontale avant de succomber au bercement provoque par le chuintement du train...
Reveil. Il est deja 11h (!) et tout autour de moi a pris vie (sauf Leo). Petit tour visuel : juste au dessous de moi, un vieil homme aux cheveux blancs un peu longs (sales ?) et au regard un peu brise semble se perde dans une contemplation nostalgique du paysage, des mots croises entames sur la table. De l'autre cote du couloir, des femmes au look assez modernes (genre coupe de cheveux design a la couleur du moment) discutent en grignotant. Du cote Leo (qui finit par emerger doucement), la jeune fille du dessous lit une pile de feuilles A4 alors qu'en face, une famille (couple d'une quarantaine d'annees avec leur 2 fils - un enfant et un ado) se chamaille en riant, avec beaucoup de complicite. Au debut du wagon (notre place etant plutot centrale), 2 enfants tres jeunes jouent au milieu du couloir avec des poupees et des ballons et nous regardent avec des yeux ronds, alors qu'un chien fait des allers-retour d'un bout a l'autre et cree l'amusement. On prend nos marques dans ce nouvel espace, on ecoute un peu... j'ai bien l'impression qu'on est les seuls etrangers dans la place. Tous les ages sont representes, mais la moyenne doit etre autour de 30-35 ans. On a notre lot de sourires et d'indifferences a chaque passage, en tout cas c'a n'a rien d'un "trou a rats" et on sent qu'on va passer des jours agreables.
On comprend petit a petit le fonctionnement de ce petit monde. De part et d'autre du wagon, des panneaux numeriques indiquent l'heure de Moscou (tous les trains du Transsiberiens et toutes les gares indiquent les horaires des transsiberiens a l'heure de Moscou, alors qu'il y a jusqu'a 11h de decalage horaire d'un bout a l'autre du pays !), la temperature a l'interieur (?) et d'autres infos, dont la nature "non-chiffresque" constitue en soi un obstacle a ma comprehension. Et puis il y a un voyant vert et rouge qui indique l'occupation des chiottes de chaque cote. Ces derniers sont assez etroits, avec un petit lavabo dont on passe pas mal de temps a comprendre le fonctionnement pour faire sortir de l'eau puis, plus dur, pour faire sortir de l'eau chaude avec bleu qui veut dire chaud et le rouge froid (si je ne l'avais pas explique a Leo, il ne l'aurait certainement meme pas trouve en 3 jours, lui qui a meme galere pour trouver la chasse !). Les gens y font un peu la queue avec une trousse de toilette et une petite serviette (torchon ?) incluse dans le kit draps, pas de douche. Dans l'espace du bout il y a une grande poubelle, celui du debut est le QG des provodnitsas ou on peut remplir des recipients d'eau bouillante, acheter des trucs a manger (chips, soupes...) et a boire (eau, cafe, the, vodka...) et emprunter du matos manquant comme des tasses et des couverts, qu'on doit etre les seuls a ne pas avoir. Le reste du temps les provodnitsas veillent a la proprete de la voiture (elles n'arretent pas de balayer, depoussierer et passer la serpillere partout) et font des speachs avant chaque arret, ce qui devrait theoriquement leur laisser du temps pour sourire. Theoriquement. Il y a aussi un grand panneau qui liste toutes les gares, les horaires et les temps d'arret du train le long du trajet. Ca va de 2 minutes pour les gares mineures a 23 pour les villes plus importantes (Nijni-Novgorov, Perm, Iekaterinbourg, Omsk, Novossibirsk et Krasnoiarsk). A chaque veritable arret, des dizaines de vendeurs tirent des carioles remplies de nourritures diverses enchevetrees dans des cartons : fruits frais, patisseries regionales, beignets au poireau - tres bon -, a la viande ou a la pomme de terre, pain au fromage de chevre seche, pane d'oeufs de poissons - a vomir - ... le furetage d'un vendeur a l'autre devient vite un sport addictif, on achete au feeling ce qui nous fait envie, sans trop savoir ce que c'est. Ici un pain chaud au tournesol a une vieille babouchka voutee et souriante (de sa magnifique derniere dent), la une barquette de delicieuses framboises a un paysan massif aux yeux d'un bleu glacial mais malicieux. Du haut des ponts permettant de passer d'une voie a l'autre, les vagues d'acheteurs et de vendeurs qui gesticulent tout le long de ce marche de fortune de part et d'autre du train fait penser a un ballet ephemere et envoutant.
Mais treve de commentaires explicatifs (un peu chiant et commun a la longue), passons a l'essentiel. Comme vous devez vous en douter, notre attitude exemplaire de gentlemen, nos visages engageants et notre bonhomie naturelle, notre debrouillardise et nos diverses faceties remarquees nous ont peu a peu fait passer d'un statut d'etranger anonyme (somme toute confortable) a celui de veritable Dieux du stade ! Recit. On commence a discuter avec Olga, la "fille de sous Leo" (pas de commentaires merci), qui parle autant de mots anglais que moi de mots russes (3 ou 4), mais on se debroullie pour se presenter et faire un debut de connaissance. Elle rentre chez elle dans un patelin pres d'Irkoutsk, elle a 19 ans et lit "Le Parfumeur" - en Russe - de Patrick Suskind. Pas mal pour un debut. Leo s'essaye a une discussion avec la famille d'en face qui nous propose plein de chocolats et autres, pendant que je joue a la voiture (50 cm la majorette !) avec le gosse de 10 ans. Chacun sa technique d'approche. Le pere s'appelle Andrei, la mere Marina, le gamin Romu (?) et l'ado je sais plus. On se comprend peu mais leur voisinage nous met tout de suite a l'aise. Je remarque rapidement qu'une autre fille ne cesse de nous sourire et de se retourner pour nous regarder de maniere un peu timide. Lors d'un arret, elle m'interpelle sur le quai en me parlant francais ! Ok je comprend mieux. Elle s'appelle Olga (aussi !), 19 ans (aussi !), maitrise vraiment notre langue et me propose de nous aider a communiquer avec le reste du wagon... bingo, rien ne peut plus nous arreter. Elle habite en Ukraine et se rend avec sa mere a Irkoutsk, vile natale de cette derniere. A partir de la tout devient beaucoup plus simple et on se lance grace a elle dans des discussions envolees avec tous nos voisins : La France, la coupe du monde foot (...), les marques de bagnoles, les coutumes russes, eux, nous,... les langues se delient en meme temps que les rires. Romu se met en tete de m'apprendre une centaine de mots russes en me montrant des objets et en me les faisant repeter, chaque repetition etant systematiquement ponctue d'un rire... incomprehensible vu la parfaite replique sonore que je m'efforce de produire. Andrei est d'une gentillesse touchante avec nous. J'echange mon lecteurs mp3 avec la famille et on s'arrache les ecouteurs les uns les autres pour commenter les musiques et pour chantonner. Et puis on apprend a jouer au "Dourak" ("Idiot" ou "Bouffon" en francais), le jeu de cartes russe "de reference" qui est dur a comprendre mais super ludique quand t'as compris les regles de jeu un peu chaotiques (tout le monde met des cartes a toute vitesse sur la table pour attaquer un joueur, dans n'importe quel ordre, celui ci mettant n'importe quel carte pour se defendre - apres la premiere impression). On y joue beaucoup avec Olga, Olga et Romu. Et puis on leur apprend le "trou du cul", sauf qu'on le renomme "Dourak francais", c'est un peu plus distingue. Plus tard, on sortira aussi le jeu des petits cochons que j'ai dans mon sac et qui consiste a lancer 2 cochons en caoutchouc sur la table et de regarder leur position pour marquer des points. Mais c'est beaucoup plus drole et stressant que prevu meme si ca reste un jeu base sur la chance. Globalement et apres avoir joue pas mal d'heures, on peut clairement rendre compte de la perpetuelle poisse de Leo et de ma chance qui frole l'insolence.
Le premier soir, Andrei nous propose un toast a la Vodka ! Tout vient a point... une dose est versee au fond de chaque verre suivi d'un trinquage franc et d'un "Dasdrovie" ("Na Zdarovie" en vrai) sonore, et on bascule le tout d'une traite. Ca requinque et c'est peut-etre l'ambiance qui veut ca, mais cette vodka a vraiment un bon gout. On s'empresse d'avaler juste apres la tranche de saucisse qui nous est proposee, comme le veut la tradition (on peut remplacer "la tranche de saussice" par "le cornichon", ca marche aussi). Bien sur, le verre vide est re-rempli et rapidement re-bu, et la saucisse re-mange. Apres le 3eme trinquage, ca monte deja indeniablement deja a la tete. Leo declare forfait, j'ai pour ma part un mal fou a resister aux assaults insistants de la bouteille se penchant avec tant de generosite au dessus de mon verre. Apres 3-4 toasts supplementaires, le train semble rouler un peu plus vite et un peu moins droit et l'ambiance est aux eclats de rire et a la folie. Je commence a me faire un peu remarquer dans le couloir. Ya pas a dire, on se sent vraiment bien dans ce train. On discute avec les Olgas jusqu'a assez tard, avant que Dostoievski me replonge dans la dure realite sociale de la russie du XIXeme. Ca fait bien redescendre l'effet de la vodka... meme si sur le coup j'ai l'impression de beaucoup mieux comprendre ce pays !
C'est le 2eme jour qu'on se fait interpeller en anglais par un gars d'environ 35 ans. Marteen voyage avec deux autres amis polonais, Martha (a peu pres le meme age) et Alec (plus dans les 55 ans). Ils sont au bout du wagon et nous ont "repere". Il est vrai que, me sentant a mon aise, j'ai une facheuse tendance a danser entre les couchettes en dansant avec mes lunettes roses fluo depuis quelques heures ! Les "baroudeurs" polonais sont bien equipes et semblent pret a affronter les plaines siberiennes, avec tentes, cartes locales precises, rechauds, guides regionaux tres detailles. Alec a garde cette forme de fougue, de gourmandise propre a la jeunesse quand il parle du monde, mais avec une forme de temperance malicieuse propre au vieux briscard qu'il est semble-t-il devenu. Marteen est un peu le rigolo du groupe, au contact facile, un peu drageur, un peu loufoque, photographe de metier. Martha a la tete de la nana super sympa mais pas du genre a se laisser faire par ses 2 acolytes masculins. On se met a se croiser pas mal, a echanger des blagues, puis a jouer. Vient le soir, je leur propose de partager un peu de vodka que je viens d'acheter dans le train. Andrei ne boit plus mais il trouve un challenger de taille en la personne d'Alec qui ne se laisse pas impressioner par les salves successives. Bon, ca reste des quantites acceptables bien sur, de quoi foutre le feu une fois de plus quand meme. Encore une fois heureusement (ou l'inverse ?) qu'Olga est la pour traduire a nos voisins. Le cercle amical s'elargit !
Le troisieme jour, deux adolescentes de 15 et 17 ans, au physique des plus agreables en ce qui concerne la plus jeune (a censurer ?) ne cessent de piaffer en nous regardant. Poussees par Marteen (leur voisin de chambree), elles osent venir nous photographier avec leur portable avant de revenir en courant vers leurs couchettes en gloussant. La frivolite liee a cet age ingrat qu'est l'adolescence est donc internationale. C'est sur, Yulenna et Macha se rappeleront toute leur vie de nous, fougueux jeunes hommes seduisants, venus de France coiffes de chapeaux de baroudeurs pour braver leurs contrees reculees en lancant des sourires enigmatiques et romanesques. Moi, peter un plomb ? Pas du tout. Une autre fille de 23 ans environ, Maria, ose venir nous parler un peu francais. Elle est tres timide et emue de nous parler, elle nous dit qu'elle est completement fan de la France et que nous sommes les premiers vrais francais qu'elle rencontre. On fait vraiment des ravages. Elle nous demande de lui dedicasser son livre puis, avant de partir, elle nous remettra un petit mot de remerciements d'avoir accepter de lui parler 10 minutes, qu'elle espere qu'on se reverra, etc... A cote de ca, on se lie vraiment d'amitie avec Olga avec qui on discute beaucoup et qui est adorable avec nous. On passe pour ainsi dire 3 jours ensemble et on parle de tout : les meurces dans nos pays, les niveaux de vie, la revolution orange en Ukraine, l'alcoolisme, le mariage... Olga est au moins aussi contente que nous de notre rencontre et elle emet meme l'idee de mous accompagner en Mongolie ! Je profite aussi de ces 3 jours pour apprendre a dechiffrer l'alphabet syrillique... c'est pas si difficile et tres rigolo, mais apprendre a lire avec un livre pour enfant emprunte a un des gosses du wagon me fait vraiment passer pour un con ! J'ai l'impression de lire comme en CP... sauf que je comprend meme pas les mots que je lis ! On se rend compte aussi qu'en general, les russes adorent Paris, mais qu'ils trouvent souvent qu'il y a "beaucoup" d'arabes. Ce a quoi on repond toujours que oui, c'est une ville tres "cosmopolite" avec un grand sourire.
Je sens que mon recit est un peu decousu, mais les images du voyage me reviennent par bribes... continuons quand meme. Les paysages ne sont jamais bouleverses de maniere radicale, mais evoluent par petites touches. Les sapins se densifient avant de changer de forme puis se melangent avec d'autres arbres. Les petites maisons en bois ("Isbas") qui fleurissent pres de Moscou laissent la place a d'autres maisons en bois plus imposantes, plus denses, aux couleurs plus vives ou plus finement decorees. Des grandes plaines, des fleuves, des etangs ou des lacs parsement le paysage. Le temps est plutot a la pluie pendant la traversee, avec quelques percees de soleil faisant remonter des senteurs humides. Les villes qu'on traverse paraissent toutes limitees en taille et pas tournees vars un modernisme excessif. Une difference enorme saute aux yeux entre l'imposante capitale aux allures europeennes qu'est Moscou et ses petites soeurs de l'Est.
Le dernier soir, l'ambiance est bien evidemment a son comble. On a l'impression que le wagon n'a plus de secret pour nous, on s'y sent bien, et on eprouve deja une certaine nostagie a l'idee de quitter tout cela. Yulenna part en premier et tout le monde l'aide a porter ses bagages et lui fait des signes d'au revoir. Envie de veiller tard, on retarde au maximum le moment du coucher. Mais on s'y resigne un peu apres s'etre fait engueuler par les provodnitsas avec Olga et Leo. En gros elles nous somment d'aller en faire un. Au petit matin "la famille d'en face" nous quitte vers 7h, sans oser nous reveiller. Je me reveille en sursaut et ai a peine le temps de les apercevoir s'eloigner sur les quais. C'est ensuite au tour d'Olga "sous Leo" de nous quitter, acceuillie par des amis a qui elle nous presente avec enthousiasme. La gare d'Irkoutsk est annonce. On remballe tout, nos draps, nos bagages et un peu de notre sourire. Le train finit sa course et c'est le coeur serre qu'on foule le quai pluvieux d'Irkoutsk. Il est 9h20. On dit au revoir a Olga, apres avoir fixe un RV dans le centre-ville a 19h, "sous la statue de Lenine". Ben oui, on n'est pas du genre a trop kiffer les adieux sur un quai de gare. Et puis les polonais... allez, on les suit ! Ils sont de super bonne compagnie et semblent des demerdards de haut niveau, on va pas se priver de ca. C'est donc ici meme, dans la gare d'Irkoutsk, que commencent nos "aventures autour du lac Baikal". Aventures racontees dans le prochain post, qui ne seront pas en reste de fabuleux retournements de situations, de grotesques rencontres, de pieges sordides, d'attaques de betes feroces et, bien sur, de vodka.
La vodka, on aurait peut-etre pas du y goutter...
Mardi 1er Aout - Oulan Oude - 15h30
1 commentaire:
La réplique "Moi, peter un plomb ? Pas du tout." est géniale et très "deadesque" je trouve ;-) elle est surprenante et arrive pile au bon moment, bref, ça m'a bien fait marrer. Bises.
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