04 août 2006

Le Baikal : noyade dans un lac de splendeur et de Vodka

Ulan Oude - Mardi 1er Aout - 17h

Encore un titre allechant, mais qui colle quand meme pas mal a la realite des faits ! Au passage savez-vous qu'en Russe, le mot "Eau" se dit "Voda" ? On prononce un petit "k" en plus sur un malentendu, on repete l'erreur quelques fois, et a 16 ans on est alcoolique comme un russe. J'apprendrai par la suite que "Vodka" veut tout simplement dire "Petite eau". Vous le saviez deja ? Bon ben j'ai une fois de plus l'air con. Gare d'Irkoutsk.

Cette matinee pluvieuse s'avere etre une matinee d'attente. Pas le genre d'attente des plus crispantes, plutot le genre d'attente tranquille sereine dans une gare un peu bruyante, en l'aimable compagnie d'Alec le baroudeur. On regarde des cartes, on discute itineraires. Une maman change sa petite (toute pleine de boutons de varicelle) sur un drap de fortune a meme le sol. De nombreuses personnes passent, a l'instar du temps, et on voit beaucoup plus de profils asiatiques qu'auparavant. Leo, Martin et Martha finissent par revenir : ils ont reussi a nous degoter des chambres d'etudiants a super bon prix (160 roubles = 5 euros) dans l'univertsite d'Irkoutsk, a quelques km de la. A priori ca n'a pas ete facile a obtenir mais ces polonais parlent suffisament bien russe et ont negocie comme des Dieux. Nous voila de retour dans la jungle urbaine avec tous nos sacs. Le trajet en tram nous plonge dans l'ambiance d'Irkoutsk : beaucoup de profils mongols ou russo-mongols, un code de la route tres peu respecte, des tas de vieilles grosses bagnoles russes rafistolees d'il y a 30 ans (genre LADA), des marchands dans la rue tout autour de la gare,... la Russie a pris un serieux coup d'Asie dans le nez dans son ambiance de rue, et ca n'est pas pour me deplaire.

Apres avoir marche un moment dans les dedales du campus, on se pose dans notre chambrette d'etudiant... c'est a ce moment que et les effluves suaves de nos corps s'exprimant eveillent en nous l'idee d'une bonne douche. On se retrouve chacun dans un box un peu miteux. L'eau est... froide. Pour le moins. Au debut c'est supportable, mais ca devient vite un calvaire. Comme si l'eau vemait directement des profondeurs du lac Baikal. Je me lave les cheveux, ca ne fait plus froid, ca fait mal ! Je crie de douleur en essayant de m'enlever le shampoing pendant que Leo alterne lui aussi cris et crises de fou rires a m'entendre hurler... c'est le cerveau retreci qu'on rentre dans la piaule, tellement que j'en oublie dans les douches ma serviette (en fibre de bambou ultra-absorbant de chez carrefour) et mon gel douche (Axe, avec un pouvoir au CO2-stimulant-Hx56-revitalisant machin). Bien sur je m'en rendrai compte un peu (beaucoup ?) trop tard. On grignotte un peu de pathe avec du pain noir et de la salade ches nos amis polaks (abreviations des plus amicales, bien entendu), et puis on part en ville. Il est deja 16h. Tram encore. On traverse l'Angara, le fleuve qui se jete dans le lac Baikal quelques 70 Km au Sud-est de la ville, pour rejoindre le centre-ville forme par deux axes principaux : la rue Lenina et la rue Karl Marx ! Un brun de net dans un cafe. En sortant j'apercois en face la statue de Lenine et... serait-ce Olga sur le banc ? Il n'est que 17h mais elle a pris un peu d'avance. On la retrouve et on part en ballade dans la ville avec elle et sa mere. Dans les axes principaux tous les batiments sont imposants et bien decores, avec des facades XIXeme bien conservees, des fleurs dans les rues, et tous les bars/restos rivalisent de modernite dans leurs decos interieures. Ca contraste beaucoup avec les petites rues adjacentes ou s'alignent des vieilles maisons en bois completement bancales, avec le Rez-de-chaussee completement enfonce dans le sol ! Comme si la ville avait continuer a grossir et le niveau de la rue a monter sans jamais se decider a detruire ces vieilles maisons. Il n'est pas rare de voir un trottoir arriver a une moitie de hauteur de fenetre sur une maison ! C'est incomprehensible mais ca degage.

On discute avec Olga de l'eventualite qu'elle nous accompagne en Mongolie mais on se rend compte que ca risque de pas mal compliquer les choses, qu'il est impossible de joindre Noemie pour savoir si ca peut s'envisager. On ne peut lui donner que peu de garantie et sa mere freine aussi des quatre fers. Du coup elle sent que ca ne pourra sans doute pas se faire et plonge dans une grande tristesse, qu'on essaye tant bien que mal de calmer en la faisant rire avec des enchainements de conneries objectivement tres droles. On la quitte en lui disant qu'on l'appellera le soir meme pour lui donner notre programme des jours a venir. On rejoint nos amis polonais, on va manger dans un lieu tres moderne et du coup tres froid, puis on continue a baguenauder dans les petites ruelles delabrees de l'arriere ville pour s'en impregner. C'est pauvre. Ces maisons en bois qui s'ecroulent sous terre, elles ont vraiment un charme fou. On est plus completement en Russie, on sent vraiment le choc des cultures. Alec va parler avec les gens, j'aime bien sa facon de decouvrir et de rencontrer. Retour avec un des derniers trams au campus. Vers 23h, on a decide de partir le lendemain dans l'ile d'Olkhon sur le lac Baikal, en bus. On doit en informer Olga, on essaye de sortir pour telephoner mais les concierges ne semblent pas l'entendre de cette oreilles, on se fait engueuler parce qu'on ne parle pas assez bien russe. Ca c'est souvent quand meme. Les gens ont du mal a comprendre ce qu'on fout la si on ne parle pas leur langue. Excusez-nous de nous interesser a votre pays. On rentre dans la chambre et on finit par se decider a telephoner de mon portable... on se dit "on appelle pas longtemps". Resultat, le temps qu'on passe Olga (qui dort deja) a Leo et qu'il lui explique nos plans, ca prend quand meme 9 minutes. D'apres des infos qu'on obtient un peu plus tard, ca devrait couter la broutille de 45 euros... sans commentaire. C'est dur parce qu'on a un peu l'impression de la laisser tomber avec ca, mais on a aussi besoin d'aller de l'avant et on n'a pas trop envie de rester des jours a Irkoutsk. On informe les polonais et on leur souhaite une belle route, et puis dodo.

Reveil 7h, pas tres frais. On file en direction de la gare routiere a la recherche d'un bus du matin... plus de place, il faudra attendre midi. Bon. Le ticket de bus est a un prix acceptable. On a besoin d'un cafe la, d'un vrai. Alors on part a sa recherche mais meme dans les rues principales rien n'est ouvert avant 10h ! On marche super longtemps avant de s'affaler au "Fiesta", une espece de fast-food-cafe-resto pour djeun's ouvert 24/24. Discussion precieuse avec Leo sur des sujets un peu sensibles de nos vies autour d'un cafe et d'une part de tarte aux fruits rouges. L'ambiance est un peu a la Twin Peaks. On refile a la gare routiere a temps pour grimper dans un mini-bus 12 places et c'est partit. On parcourt les 300 Km qui nous separent de l'ile en moins de 5h sur des routes caillouteuses et terreuses. Et la on doit attendre notre tour pour qu'un ferry transporte le vehicule sur l'ile. La vue du lac a l'eau pure et cristaline est deja splendide, mais on attend quand meme... 5h30 avant d'embarquer ! C'est un peu long mais ca me permet de bien avancer mon livre et de connaitre par coeur la dizaine de tubes pop russes insupportables qui tournent en boucle dans l'habitacle depuis le debut de la journee. La traversee nocturne de la bande d'eau qui nous separe de l'ile est excitante, surtout qu'on a aucun plan logement et qu'il se fait tard ! Encore 1h de route cahoteuse dans le noir le plus total, et c'est l'arret final. Nous sommes a Koujhir, seul village du coin.

On a sympathise pendant le voyage avec 2 anglais de Birmingham, Simon et John, qui ont booke une guest-house a l'avance, on decide donc de les suivre. Le car fait un petit detour en direction de la coline qui surplombe un peu la ville et nous pose devant un feu entoure d'une vingtaine de russes qui entonnent des chants, accompagnes par un jeune a la guitare. Derriere se dessinent des tas de petites baraques en bois, bien espacees les unes des autres. Une jolie brune avec un grand sourire nous acceuille, se presente, Jane, et nous serre la main. Elle nous fait nous faufile r tous les 4 entre les cabanes jusqu'a une maison un peu grande qui fait office de refectoire et de bureaux, et on nous sert un repas chaud (cereales du coin, legumes, viande, the...). On finit par expliquer qu'on n'a pas reserve, ca n'a pas l'air de poser un probleme insurmontable. A ce moment une sorte de tornade survient : 4 irlandais (que les anglais avaient deja rencontre au cours de leur voyage) debarquent en trombe dans le refectoire en hurlant et en riant. Le calme relatif de l'endroit rend l'ame. Ils s'empressent de faire des blagues, se mettent a draguer les filles qui passent et sortent plusieurs grosses bouteilles de vodka ! On a un peu l'impression d'etre au Club Med. Ils racontent leurs folles nuits d'ivresse dans les boites de nuit de Moscou et des autres villes, et globalement notent les villes a leur ambiance nocturne. Leurs anecdotes sont assez edifiantes : l'un d'eux, pendant le voyage en Transsiberien, n'est pas remonte a temps dans son wagon car il essayait de negocier un pack de 8 bouteilles de vodka... du coup il s'est retrouve seul sur le quai et s'est siffle une bonne partie de sa nouvelle acquisition avant de pouvoir rejoindre ses potes via un autre train ! Une bonne anecdote, il met la barre haute ce salaud. Jane et une autre fille (typee asiatique et qui vient de Vladivostok, j'ai mange son nom) nous emmene tous en minibus un peu plus bas dans le village ou on va loger dans des maisonettes en bois similaires gerees par une habitante, car il n'y a plus de place au campement meme. On se pose, nous et la question suivante : il est 00h30, est-ce qu'on se repose pour profiter du lendemain ou est-ce qu'on va faire "un peu" la fete ? Leo semble motive... c'est parti, le minibus nous remonte.

A partir de la, les choses deviennent bien sur beaucoup plus sympas, beaucoup plus simples, beaucoup plus festives, beaucoup plus... floues. On achete une bouteille de vodka, la "Baikal" bien sur, faire a partir de l'eau du lac. 1/2 litres, on tempere un peu. Le probleme, c'est que les irlandais ont chacun une bouteille, et puis les anglais aussi j'ai l'impression. Quelques toasts purs pour se mettre en jambe, et puis on commence les melanges ave c le coca. C'est jamais bon ca, ca passe tout seul. Les russes comtinuent de scander leurs hymnes autour du feu. Le feu n'est pas la seule source de chaleur, et ces chants sont d'une beaute qui donnent les larmes aux yeux. Retour au "bar-Karaoke"... le karaoke est installe ! Des russes chantent (faux) des tubes un peu mievres accompagnes au synthe avec des images d'oiseaux et des paysages a la con... leur karaoke sont les memes que les notres. Pacha, un russe, nous presente ses amis. Ils ont l'air completement bourres mais completement sympas. Ils nous serrent dans leur bras, nous remplissent nos verres, nous offrent des cornichons. Comme ca ca sonne pas terrible, mais sur le coup c'est touchant, je vous jure. Une femme de 30-40 ans au visage de folle furieuse un peu demoniaque danse sur la piste sans aucune retenue, me prend mon chapeau et le fait essayer a tout le monde. L'ambiance monte encore d'un cran, les irlandais s'enfilent les bouteilles et Leo n'a pas l'air en reste en se mettant a danser comme un con sur de la merde en riant. On reclame un Karaoke en fr ancais... on est assez chaud, et c'est en donnant tout ce qu'on a de passion, d'amour et de talent qu'on enchaine brillament "A toi" puis "Et si tu n'existais pa s" de Joe Dassin. Le patron de la guest-house, Antonina, a l'air super emu. Ils sont pleins a chanter derriere nous ! C'est bie n sur un triomphe lourdement applaudi. On tente un "Desenchante" de Mylene Farmer, mais la difficulte est manifestement un poil trop haute pour notre etat et c'est un petit carnage, heureusement etouffe par l'ambiance et les chants russes exterieurs. Une fille commence a m'entrainer dehors pour parler avec moi en me faisant des grands sourires. Encore un toast. Retour a l'interieur, discussion autour de la table avec Jane, super sympa (et mignone) la fille. Un pote de Pacha vetu d'un treilli militaire (comme plein de jeunes russes...) et coiffe d'un bandeau noir me regarde dans les yeux, me montre son crane rase et me dit : "Ya, Skin Head ! Pognimaieche ?". Ben oui je comprend, enfin je crois. Il me le redit, puis leve la main droite tout droit comme un salut nazi... Pacha, a cote de moi, a l'air super gene, me dit en anglais de ne pas faire attention, que ce sont des "russian things" et qu'il vaudrait mieux que je sorte dehors un moment. Merde, un fasho au milieu d'une fete, ca degrise un peu. Au bout d'un moment j'oublie, re-rentre. Le gars, toujours pareil : "Yo Redskin !" Je suis cette fois a sa portee. Et soudain il me serre dans ses bras de toutes ses forces en me disant : "I love France !". Cest beaucoup mieux. En fait tous les russes adorent la France, et parfois ca calme le jeu. La soiree continue, je rebascule au coin du feu, au bar. Et le jour commence deja a pointer ! C'est la que je retrouve Leo dans un etat assez deplorable. Il se dirige vers moi en titubant et me disant : "Aide moi a marcher, je n'y arrive pas." C'est le moins qu'on puisse dire. Je le soutient d'un cote et Pacha de l'autre, on se dirige pas a pas vers le village. Leo essaye de vomir sans trop de succes, il n'arrive plus a se porter, il n'est pas bien du tout, la. Arrive tant bien que mal a destination, il s'ecroule dans son lit, j'ai juste le temps de trouver dans le jardin une grosse marmitte que j'installe a cote du lit. Ca peut servir. Et en l'occurence, ca sert. Je m'endors d'un lourd sommeil alors qu'un coq chante le lever du jour.

On pensait partir en expedition ce jour ! Plan avorte, bien sur. J'ouvre un oeil a 14h30 et Leo ne tarde pas non plus a donner signe de vie. Dire qu'il n'est pas bien est un pleonasme : le pauvre est encore completement defonce et affronte un terrible mal de ventre, des lancees feroces dans la tete et des vertiges incessants. Il est pale et articule peniblement les quelques mots d'usage "L'alcool, c'est horrible... plus jamais ca...". En fait je ne m'en suis pas rendu compte, mais il a bu enormement. Il faut dire que pendant un bon moment, je l'ai laisse seul avec les russes. Il prend de l'aspirine et se recouche. Apres m'etre assure qu'il aie des conditions de repos acceptables, je m'en vais prendre l'air du cote du lac et decouvrir les environs. Je remonte vers la guest-house (ou les russes de la veille sont encore a la vodka...), puis suit de vagues sentiers dans la plaine pour rejoindre la rive. Ca me permet de jeter un oeil sur le petit village de Koujhir qui respire la serenite et la simplicite. Pas tres grand (1500 habts), une grande rue principale (dans la continuite de la seule route qui y mene), uniquement des petites habitations en bois. Il n'est relie a l'electricite que depuis tres peu de temps. Il n'y a aucun route a proprement parler, quelques chemins en terre quand meme, et les quelques voitures prennent un peu n'importe quel chemin. Beaucoup de vaches se promenent en liberte dans la rue. L'ile est grande de 76 Km de long, avec 70% de forets, et les vues qu'elle offre sur le lac Baikal sont reputees des plus belles. Allez, quelques infos : le lac Baikal a une eau si pure qu'on peut la boire. Il mesure 636 Km de long, 60 de large. C'est le lac le plus volumineux du monde (il contient plus d'eau que les 5 grands lacs nord-americains reunis) avec jusqu'a 1637 m de profondeur ! Il est sur un rift qui ne cesse de s'appronfondir avec la tectonique des plaques et il devrait a terme (mais dans pas mal de temps) former un 6eme ocean qui scinderait le continent asiatique en deux. Son eau est si claire qu'on peut y voir jusqu'a 40 m de profondeur, si on a le courage de braver sa temperature glaciale (jamais plus de 15 degres). Bon, sur le papier ca impressionne. Passe une espece de ligne de decharge publique en pleine nature (?), on arrive enfin en vue du lac. Il semble immen se. Je suis en hauteur et le panorama est sublime. L'eau scintille, le soleil est tres haut. J'arrive en haut des falaises. En contrebas, une mince bande de terre fait une avancee et s'elargit a nouveau pour laisser se dresser deux enormes et hauts rochers aux formes un peu fantastiques. On les appelle "Les Rochers du Chaman". Ca ferait un joli nom de lieu-dit rolistique, ca. Ah oui, parce que l'ile d'Olkhon es aussi 'un des hauts lieux chamaniques du peuple Bouriate, ethnie russe d'origine mongole aux fortes croyances animistes qui vit principalement a l'Est du lac. On peut meme aller voir un chaman dans la foret dans des circuits touristiques, mais bon... il se peut bien que le "chaman" sorte de sa jeep a 100 m plus loin. Bon, mais la, c'est beau. Les quelques arbres en haut des falaises sont penches en direction de l'eau. On voit des montagnes se dessiner au loin, sur la rive opposee. Des gros oiseaux tourbillonnent en masse autour des falasies. Il y a des des messages ecrits a l'aide de cailloux sur les plaines vertes surplombant les hauteurs. La, une jeep arrive bruyamment, se pose au milieu de tout ca, un gros gars ouvre les portieres, met de la musique dance a fond de chez fond, s'installe sur une chaise longue et s'ouvre une canette de biere. Bon trip le gars. Pas le mien, je me casse.

De retour au village, j'ouvre la porte principale qui donne acces a notre logement, et un chien noir me regarde en avancant vers moi en silence, le regar d fixe. J'ai deja vu cette attitude chez un chien, c'etait en Andalousie, juste avant de me faire mordre ! Je reste devant lui, sur la defensive, en essayant de le calmer, mais... rien n'y fait, il me saute dessus ! Je met tout de suite devant moi mon pied droit (j'ai par chance mes chaussures de marches, pas mes sandales) qu'il s'empresse de saisir avec force. Je me debat le pied en poussant une sorte de cri assez masculin, ca le fait lacher prise et reculer. Il reste un moment prostre a 2m de moi et me tourne le dos. J'attend un moment, je retente un petit pas. Il se retourne et me montre les dents en grognant, genre "tu fais ca j'te bouffe". Pas moyen de rejoindre Leo ! Je ne sais pas quoi faire. Je tourne un peu, entre dans un magasin adjacent et essaye d'expliquer ma situation en mimant un chien, en aboyant et en attrapant mon pied avec ma main... j'ai l'air super con, et en plus la nana comprend rien et me dit de sortir du magasin ! Finalement j'ouvre une autre porte exterieure qui me donne acces par un jeu de cours interieures a l'emplacement de notre baraque. C'est celle qu'on utilisera par la suite. En entrant, je retrouve un Leo super febrile... qui continue a vomir methodiquement tout ce qui lui reste dans le ventre. J'essaie de le consoler en lui disant que quand meme, se prendre une vraie cuite a la vodka avec des vrais russes une fois dans sa vie, c'est la classe. Etrangement, ca ne le console pas. Il ne veut pas manger, je repars en direction de la guest-house en lui promettant de ne pas le laisser seul trop longtemps.

Au refectoire, je me retrouve a une grande tablee avec les 4 irlandais et les 2 anglais, plus un groupe d'une dizaine de russes d'age mur qui font un boucan dur a supporter un lendemain de cuite (faut pas croire, c'est pas facile pour moi non plus). Deux des irlandais jouent au ping-pong dans la meme salle, "La croisiere s'amuse" continue pour eux. Ils se sont leves a 16h30, bon score. On ne mange pas super bien mais au moins le pain (noir) est bon. J'en ramene pas mal a Leo pour le moment ou il pourra avaler quelque chose. De retour aupres de lui, il a l'air de se sentir un peu m ieux, il a envie de faire l'effort de se lever. Passer toute une journee couche, enferme dans une chambre alors qu'il est dans un lieu paradisiaque, c'est quand meme con. Alors il se leve, et fait quelques pas. Je le vois rescuciter progressivement sous mes yeux. Il a l'air de revenir de loin. Il arrive a marcher jusqu'au haut des falaises. C'est l'heure du coucher de soleil. C'est tout simplement beau, le genre de beaute qui peut se passer de commentaires, qui force le respect et qui te donne envie de sauvergarder ce genre de coins sur la terre.

De nouveau vers la guest-house, on s'assoit en compagnie des russes qui ont elu domicile autour du feu. Pas les memes que la veille, plus ages. Un moustachu a la voie grave et au toucher de guitare sensible enchaine les chansons tres belles dans un registre plustot triste. Elles sonnent comme de veilles chansons francaises, on pourrait tout a fait imaginer qu'elles ont ete composees par un Brassens. C'est un sentiment etrange, je n'avais jamais rien entendu qui m'aie paru si proches de notre tradition de chansons a texte a la francaise. Tout le monde chante et le repertoire est sans fin. Je lui demande s'il connait Vladimir Vissotski, le seul chanteur a texte russe que je connaisse par l'intermediaire de Kev (qui m'a d'ailleurs souffle son nom grace a un echange express de texto... des fois on crache pas sur la modernite). Le chanteur est tres emu que je connaisse Vissotski, et tres fier de m'en jouer. Du coup il ouvre la vodka... bon, juste un toast, on va pas se facher non plus ! Encore un moment fort aupres du feu. Une femme s'empare de la guitare a son tour. Elle, elle plutot dans le trip chansons guilleretes a la colos de vacances. Les gens se mettent a rire et l'ambiance s'egaye un peu. Nous ca nous fait partir ! La fete c'etait hier. On se dirige a nouveau dans les plaines verdoyantes. La lune n'est qu'une virgule a l'horizon et les etoiles brillent de mille feux. On s'allonge sur le dos, les reveries reprennent le dessus. On se souvient des constellations, on voit des etoiles filantes d'une longueur et d'une intensite que je n'avais jamais vu. On partage, on extrapole, on se raconte. Et puis on laisse aussi de la place au silence, de celui qui donne tout son sens a l'instant. Pour un lendemain de cuite, c'est quand meme une journee riche. C'est le sourire au levres qu'on rentre bucoliquement jusqu'a nos lits, ou le royaume des reves continue a nous tendre les bras.

Dimanche ! Cette fois on va se la faire, cette excursion. On prend un petit dej qui fait du bien (surtout a Leo) et on attend midi, l'heure de depart prevue. On croise Pacha totalement amoche, l'arcade sourciliere explosee, des bleus et contusions pleins le visage. On lui demande si ca va. "Russian things, you kmow", qu'il repond. On croit comprendre que la veille en boite, il a essayer de defendre les irlandais (!!) dans une baston, bataille dans laquelle Mike, l'un d'eux, a perdu ses 2 bequilles... bon, passons. On doit aller jusqu'au cap Khoboi, la pointe Nord de l'ile. On n'est pas loin d'une quarantaine en tout (nous et que des russes), du coup ca fait un sacre merdier. 4 matroutchka au depart (les fameux mini-bus du coin). On se fait bringballer dans des minis sentiers super tappe-cul pendant pas mal de temps. On traverse des forets. Quelques pauses pour admirer le paysage aux abords du lac. Une brume epaisse est comme posee sur le lac alors qu'il fait grand soleil dans le ciel. Ca donne des paysages nebuleux, pleins de mysteres. On pourrait tourner un film, tiens. Genre une scene de "Breaking the Waves" un peu triste. Ou, plus flippant encore, un plan a la David Lynch. Mais la j'ose meme pas y penser, ca me donne la chaire de poule. On finit par arriver au cap. Moins brumeux, le lac s'etend de toute sa majeste, se la pete meme un peu. Un bateau est echoue sur la rive, c'est le bateau qui a acueilli la moitie du groupe pour l'aller et qui nous acceuillera pour le retour. Cool. En grimpant un peu sur les falaises environnantes, on suplombe des vues qui donnent vraiment le tourni. L'air est pur, l'eau cristaline... j'y vivrai bien, moi, sur cette ile. Les chauffeurs de bus s'affairent a lancer un gros feu pour faire cuire du poisson et des legumes dans des grandes marmites. En attendant on se joint a un groupe de russes qui nous interpellent joyeusement et nous proposent du sauc' et des chips en guise d'apero. Et puis, bien sur, de la vodka. Il y a des nanas d'une quarantaine d'annees qui boivent des bieres a la bouteilles depuis le petit matin... on a beau dire que les francais sont alcooliques, les russes ils sont quand meme plus forts ! C'est drole aussi cette facon d'etre completement indifferent a nous pendant des heures, et d'un coup de se mettre a nous parler, a partager nourriture et vodka. Le russe est insondable. Dur d'approche, aggressif et triste. Mais genereux, accue illant et simple a la fois. Dans son roman "Les Ruskoffs", Cavanna essayent de les definir : "...ces yeux braques d'enfants curieux de tout, ces sourires grands offerts qui quetent ton sourire et volent au devant de lui, cette amitie toujours prete a croire a l'amitie, cette terrible misere qui cherche quelle babiole t'offrir pour materialiser l'amitie, cette violence dans le rire et dans les larmes, cette gentillesse, cette patience, cette ferveur, tout ca". Pour ma part, j'ai l'impression de comprendre beaucoup mieux la langue. Bien sur c'est imbitable, mais j'arrive mieux a reperer les quelques mots que je connais dans les phrases, a comprendre les intonations... du coup j'interprete tout ce qu'on me dit avec beaucoup d'assurance et en me trompant souvent, ce qui fait marrer Leo qui comprend quand meme 100 fois mieux que moi et qui fait des progres chaque jour il me semble, meme s'il est loin d'etre vraiment a l'aise. Cavanna encore : "Le russe, je m'en suis vite apercu, est aux autres langues ce que les echecs sont a la petanque" (!!). Mais revenons au cap Khoboi. Pendant l'apero, un homme grand et trappu, cheveux blancs, la cinquantaine, une toque de marin sur la tete, nous propose de la vodka. Leo essaye d'esquiver, puis fait semblant de boire au vu des cris "Traditione ! Traditione !" proferes a son encontre. Moi je me laisse un peu faire. Mon verre est re-rempli. Ou la la, vivement qu'on parte de Russie, ca devient dangereux pour le foie. Le grand homme me serre lui aussi dans ses bras et me dit avec les larmes aux yeux combien il est heureux d'etre ici, dans son pays, dans un lieu aussi beau, avec des francais. Il leve son verre a la prosperite de la planete et a la paix dans le monde, il est heureux, il me dit qu'il voudrait toute sa vie vivre des moments comme ca avec sa famille, ses amis et des gens du monde entier, pour admirer ce lac en buvant de la vodka. C'est peut-etre con, mais je vous jure que c'est emouvant.

On se retrouve pour manger du bon poisson cuit au feu de bois. Une fille nous offre une biere. Je crois que c'est avec elle que j'ai discute pendant la grosse fete. Leo aussi croit la reconnaitre ! Une guitare. Je la prend et me mets a jouer "Champs-Elysees" de Joe Dassin. Tout le monde se retourne, les gens connaissent beaucoup mieux les paroles qu'un francais moyens (Leo par exemple) ! Ca fait de l'effet d'etre appuye par pleins de russes avec leur accent. La nana "colo de vacances" prend la suite... et enchaine encore du Joe Dassin ! Incroyable ce mec quand meme. C'est l'heure du retour, on monte sur le bateau et on s'eloigne de la cote, juste suffisament pour la longer de loin et avoir de superbes vues des rivages de l'Ile. Il fait grand soleil depuis notre arrivee ici, c'est vraiment une chance. On se laisse porter, on prend le vent, on admire le lac et les paysages qui l'entourent. Et puis on discute avec la nana qui m'a offert une biere et sa copine, elle sont bien tarees et bien a fond. Treillis, tatouages partout. Elles nous ecrivent pleins de noms de groupes de rock russes, on fait de meme. Une autre nana discute avec moi et me demande ce que je fais dans la vie. Je lui explique un peu l'organisation de concerts, tout ca. Du coup elle me dit qu'elle connait un groupe ethnique genial a Moscou et qu'il faut absolument les aider, elle s'emballe, me donne des coordonnees. Encore un coucher de soleil au dessus des montagnes, et puis retour a la terre ferme. Il est 22h passees. On dine (rien d'extraordinaire une fois de plus...) et on explique a Antonina (le "chef") qu'on voudrait partir le lendemain. Antonina est rigolo, il est bien type asiatique et parle mieux allemand qu'anglais, du coup on se lance dans une discussion avec des mots en russes, en anglais, en francais et en allemand ! Mais bon on finit par se comprendre. Retour a la "cabane en bois". Leo est en pleine phase de recuperation, il va beaucoup mieux. On hesite a remonter aupres du feu pour la derniere nuit, et puis... on passe finalement 2h a jouer a un jeu video sur mon portable ! J'ai vraiment honte.

Le lendemain la matroutchka part a 12h30. On est accompagne par la jolie Jane, celle qui nous avais accueilli a notre arrivee. Le voyage est plus rapide qu'a l'allee. On emprunte le ferry a pied et une autre matroutchka nous attend de l'autre cote, ca fait gagner un temps fou. Jane nous offre des cafes et des patisseries. On discute avec un couple d'allemands dans le vehicule, ils sont sympas mais un peu ranges, un peu allemands quoi. Arrive a Irkoutsk, on va retirer du pognon pour pouvoir payer nos trois nuits de guest-house en pension complete, notre excursion et tout a Jane. Elle avait d'ailleurs oublie qu'on devait la payer. C'est fou comme ca donne pas envie d'etre malhonete quand les gens vous font confiance. Elle nous emmene a la gare en Taxi (qu'elle paye) et c'est la qu'on se dit au revoir. On est un peu rendu a nous meme, on ne sait pas trop quoi faire ni ou aller exactement. Trouver un train direct pour Oulan Bator ? Moins galere. Y aller par etapes, en passant dans les petites villes ? Plus complique mais peut-etre moins cher et plus sympa. On fait 40 minutes de queue a un guichet, la nana nous dit qu'elle peut nous vendre un billet pour Oulan Oude, la ville a l'Est du lac Baikal ou le transmongolien bifurque au sud en direction de la Mongolie et de Pekin... bingo ! On rentre dans ce train de nuit, toujours en 3eme classe. On a 2 voisins : Nikita, un gars assez tranquille, dont les passions semblent se resumer aux trains, a la musique classique, aux femmes a poil et aux cathedrales. Pourquoi pas. L'autre est un bouriate qui habite un village du cote de Tchita, plus a l'Est. Et lui n'est pas loin d'etre un psychopate, categorie terrorisant. Il m'oblige a regarder sur son portable des videos de gars qui se font tabasser au ralenti, en me regardant avec des yeux ronds et un petit sourire sardonique... puis des derapages de bagnoles... puis des femmes a poil... puis des sports de combat... et puis des photos de lui avec un flingue... puis des photos de lui avec un flingue et un habit de flic... ah merde, c'est un flic. Il me demande de lui montrer des euros. Je lui dit que je n'en ai pas. Il me fait vraiment peur ce mec. En fait les seules personnes qui me font flipper dans ce voyage sont les flics et les militaires, beaucoup plus que les habitants. Etrange, non ? J'arrive quand meme a trouver le sommeil, plus que Leo qui n'est pas rassure non plus !

Ca y est, nous sommes en Aout. Le 1er. Le train arrive en gare d'Oulan Oude. Nikita nous aide a prendre un billet de train pour la suite... pas de place pour Oulan Bator, on decide donc d'aller en train jusqu'a la ville frontiere avec la Mongolie, Naouchki. Le depart est a 17h30, ca nous laisse le temps de nous promener dans le centre. On se retrouve rapidement nez-a-nez avec la plus grosse tete de Lenine sculptee du monde... a part un tres leger strabisme, il a quand meme de la gueule. En russie, Lenine a beaucoup plus de visibilite que le Christ. La ville a aussi une grande artere pietonne super bien entretenue avec fontaines, fleurs et boutiques un peu chics. Les habitants sont definitivement types mongols, on ne se sent plus guere en Russie. Un grand tank trone en haut d'un imposant monument aux morts bolcheviks. Bon ok on est en Russie. On se promene aussi le long de la Selenga, le fleuve du coin. Un chien nous aboie dessus et nous montre les dents... on se casse, je me suis deja tape l'episode du "bequetage par un chien russe", ca n'apporterait rien de nouveau au recit. On finit par trouver un cafe, c'est aussi fastidieux qu'a Irkoutsk. A propos, les cafes russes ne sont... pas bon. Ca, ca me manque, le bon expresso francais. On s'enfile un burger aussi. Et puis on va se poser sur un banc, et on ecrit pas mal. La ville est paisible et agreable mais un detour d'une journee semble amplement suffisant. En remontant vers la gare, on emprunte des petites ruelles. La, un homme du genre ultra-costaud et ultra-amoche et ultra-bourre nous dit quelque chose. On fait comme si on n'avait rien entendu et on continue. Le gars nous suit et continue de nous interpeller. Un petit regard en arriere.... ce mec fait peur, et il a l'air d'avoir des potes a qui il parle derriere lui. On accelere. Petite montee d'adrenaline. J'ai l'impression qu'il nous suit encore un peu mais sans courir, puis qu'il laisse tomber. Bon, on devrait arriver en Mongolie si tout se passe bien. Le train est bien a la gare... on recupere nos gros sacs qu'on avait laisse en consigne, et hop. Le train qui nous emmene jusqu'a la frontiere est assez vide et l'atmosphere n'y est pas vraiment joviale, elle a meme un petit quelque chose d'oppressant avec des gars ennerves qui gueulent pendant tout le trajet, ce dernier etant d'une lenteur aberante. Par contre on a vraiment l'impression que le paysage se transforme, prend de la profondeur. De vastes plaines vides se deroulent devant nous, on est deja un peu en Mongolie. Deja un peu, mais pas completement. Il nous reste encore de nombreux obstacles a franchir (a commencer par une frontiere...) avant de pouvoir enfin fouler le pied de la terre mongole. Mais, a ce moment la, nous ne le savons pas encore...

Oulan Bator - Samedi 5 Aout - 00h42

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Enorme.
Bravo pour le récit et pour les aventures !
;-)
fafa

Anonyme a dit…

Pareil ! waoaow... c'est vraiment la classe ce voyage et franchement le récit est réussi, ça donne vraiment envie de partir...