05 août 2007

DEad au Tibet (première partie)

Vendredi 2 août - Lhassa / 18h30

Oui, bon, question titre je n'arrive pas vraiment à me défaire de l'influence de Tintin... mais la, avouez qu'une perche était tendue. Je'suis donc bien arrivé à Lhassa, et mes quatre premières journées ici ont été tout simplement irréelles. Je pense déjà a prolonger mon séjour, a revenir plus longtemps, a venir m'installer ici... je m'emballe, probablement. C'est l'altitude qui doit me faire tourner la tête. Bon, commençons plutôt par le commencement. Un commencement qui n'était pas il y a trois jours, non il faut puiser un peu plus loin, dans les histoires de mon enfance. Souviens-toi...

J'ai toujours été berce par les Bandes Dessinées. Enfant, j'allais chaque semaine a la bibliothèque municipale pour en emprunter quelques-unes. Le choix était difficile, les pochettes me faisaient toutes envie. Presque toutes. Apres m'être avale tous les "classiques" (Tintin, Astérix, Yoko Tsuno, Le Scrameustache...), je me suis senti oblige d'aller a la découverte d'autres horizons. Ça faisait un moment que je lorgnais du coin de l'œil les pochettes de " Jonathan". Non pas qu'elles m'aguichaient, mais elles m'interpellaient : blanches, simples, avec une frise colorée étrange, entrelacée, encadrant un dessin central dénué de couleurs trop vives. Je m'y suis mis. Et c'est la que j'ai voyage au Tibet pour la première fois (toutes mes condoléances a Hergé). Depuis, j'y suis retourne souvent. Les BD de Cosey m'ont accompagne tout au long de ma vie. A chaque relecture, j'y ai perçu quelque chose de nouveau. L'histoire, les images, la poésie, le drame historique, l'engagement politique, l'humain, toujours, avant tout. Des destins qui semblent si éloignes et qui s'entrecroisent pourtant de manière si belle, un peu comme les enluminures sur les pochettes. " Souviens-toi, Jonathan..". C'était le titre du premier album. Jonathan, perdu dans l'Himalaya, a la recherche de ses souvenirs, y fait ressurgir en 48 pages l'atroce vérité : la femme tibétaine qu'il aimait a succombe suite a un bombardement de l'armée chinoise dans son petit village de montagne. Plus tard, il se liera d'amitié, sans le savoir, avec le chinois qui avait lâche la bombe. Jonathan, c'est un peu tout ça. Réaliste, tangible, poignant. Pour un gamin, c'est pas rien. On est a la fin des années 70, personne ne parle encore trop du Tibet, qui ne s'ouvre au tourisme qu'au milieu des années 80. Alors souvenons-nous...

Les écrits les plus anciens sur l'histoire du Tibet remontent au Vlleme siècle. Les armées tibétaines étaient alors très craintes, et le bouddhisme dit "tibétain" commençait déjà a faire autorité. En 1641, le grand prêtre des Gelugpa (dits "bonnets jaunes") battit ses rivaux des bonnets rouges grâce a l'aide des bouddhistes mongols, et reçut le titre de Dalai Lama. Depuis, chaque Dalai Lama est considère comme la réincarnation du précèdent, les moines parcourant le pays pour trouver l'enfant présentant les signes de l'esprit défunt. A la chute de la dynastie Qing, en 1911, le Tibet connut une période d'indépendance, jusqu'en 1950, date de sa " libération" par la République populaire chinoise. Ses prétentions sur le Tibet reposent évidemment sur des motifs historiques extrêmement douteux. Le résultat n'en est pas moins affligeant : condamnation a l'exil de son guide spirituel et de 100 000 intellectuels, génocide de 1,2 millions d'habitants (pour un pays qui en compte actuellement 2,7 millions), destruction de la majeure partie de l'héritage culturel du pays. Bon, maintenant j'ai une bonne raison d'être censure.

En 1989, le Dalai Lama en exil reçoit le prix nobel de la paix et la cause tibétaine ne cesse d'être défendue par un nombre croissant d'occidentaux, maigre les efforts du gouvernement chinois pour occulter les faits et donner une image flatteuse de la vie dans cette "province". Les intérêts commerciaux conduisent bien sur les dirigeants occidentaux a ne pas aborder cette question avec leurs homologues chinois, d'autant plus que l'indépendance du Tibet semble a présent relever de l'utopie. Une lourde politique de colonisation chinoise poussent les han des provinces voisines a venir s'y installer en masse, phénomène qui s'intensifie encore avec l'ouverture l'an passe des 2 lignes ferroviaires reliant Beijing et Chengdu a Lhassa, et qui devrait a terme rendre les tibétains minoritaires dans leur propre "pays". En bons colonisateurs, les chinois jouent la carte de la modernisation : ils ont doté le pays de routes, d'écoles, d'hôpitaux, d'usines, d'un aéroport et d'un semblant d'industrie touristique, ils ont débarrassé le Tibet de son féodalisme.
Il y a 2 ou 3 mois, des touristes américains ont manifeste en bas de l'Everest et y ont brûle un drapeau chinois, après avoir appris que le trajet de la flamme olympique passerai en 2008 par le Tibet. Conséquence ? La fermeture de la province aux touristes pour plusieurs semaines. Depuis, la tension est latente. Une grande partie des places des train de Chengdu ont été réquisitionnées par les militaires pour organiser une montée en nombre a l'occasion d'une fête chinoise qui sera célébrée a Lhassa en grande pompe le 13 août, nouvelle démonstration de la puissance chinoise. Les permis de circuler dans les terres sont de plus en plus difficiles a obtenir, et la majeure partie des touristes (comme moi) sont tenus de rester dans les environs de Lhassa, pour un maximum de 6 jours, sous peine de lourdes amendes. Voila le climat dans lequel je me pointe ici.

Mercredi 1er août

Je quitte Chengdu. Je n'ai pas le droit de voir mon permis, c'est un intermédiaire qui fait viser des papiers aux autorités a l'aéroport II me dit qu'un double de mon permis est a Lhassa, dans une agence de tourisme affiliée dont il me donne l'adresse. L'avion décolle avec un léger retard. Ih30 plus tard, on aperçoit les sommets enneiges de l'Himalaya sur la gauche.

Atterrissage. Ça y est, je suis au Tibet. Je n'arrive pas a le croire. Dans la navette en direction de Lhassa, je vois des montagnes défiler. Rocheuses, arides, sans arbre, recouvertes d'une fine couche d'herbe on est loin des montagnes a la végétation luxuriante du Sichuan. Je n'arrive pas a faire le lien entre ces montagnes, somme toute si réelles, si communes, et la force du symbole que représente le Tibet dans ma tête. Ce lieu si évocateur d'histoires lointaines et irréelles, a la spiritualité si rayonnante, aux sommets semblants si inaccessibles, ce "toit du monde" existe vraiment, et je suis en train de le fouler. Ma respiration est haletante, je mets ça sur le coup de l'émotion, mais je sais bien que c'est l'altitude (on me la fait pas). Lhassa est a 3700m d'altitude environ, et le haut plateau tibétain est globalement plus proche de 4000m, avec de nombreux cols culminants a 5000m.

Entrée dans Lhassa. La ville est entourée de montagnes, elle semble posée au milieu, comme ça. Les bâtiments ne sont pas très hauts (pas encore de grands buildings a l'horizon), mais les nies traversées sont essentiellement remplies de boutiques chinoises, de restaurants chinois, de bars chinois. Bank of China. China Post. Bon, on est en Chine, tout est normal. Sur la gauche, se dresse soudain le palais du Potala. Immense édifice, en largeur comme en hauteur, carrément impressionnant, plus tibétain tu meurs, marron (rouge ?), blanc. Il existe, alors, lui aussi. Le car s'arrête non loin de la. On récupère les bagages, des militaires vérifient les soutes. Je pars a pied en direction de l'Est de la ville, la partie tibétaine de Lhassa. Effectivement, après une rue encore bien sous influence chinoise (la Beijing Lu), on est très vite projeté dans une autre ambiance. Bâtiments tibétains a un seul étage, inscriptions tibétaines, moines... je trouve une guest-house très agréable, le Kirei Hôtel, 30Y le lit dans une chambre de trois, accès Internet rapide.

Acquitte du poids du gros sac, je me ballade dans le quartier du Barkhor. C'est LE quartier tibétain par excellence, qui se déroule tout autour du temple du Jokhang. Les rues sont plutôt étroites, piétonnes, avec une atmosphère de marche permanent. Etals de fruits, cpiccs et viande hachée, boutiques de chapeaux et vêtements chauds, choix infini de pendentifs, bracelets, bols tibétains, portes-encens, tissus, clochettes et autres tapis. Les gens sont souriants, disent " Tashi Delek !" (bonjour) au passage, en faisant trainer le dernier "e". C'est doux, amical. On peut souvent se faire une première idée d'un peuple a la manière dont ils disent bonjour, ici l'impression est excellente. De nombreux moines se baladent, Le chemin faisant le tour d'un temple est toujours considère comme un circuit de pèlerinage, appelé Kora, et il s'emprunte dans le sens des aiguilles d'une montre. Ici, c'est en pleine rue, d'où le nombre de moines qui s'entremêlent a la population, tous se dirigeant dans le même sens. Bon, on sent que les temps ont change : les moines d'aujourd'hui crachent, fument des clopes, boivent du Red Bull et bouffent des glaces a longueur de temps. Des moines modernes, quoi.

En face du Jokhang, une place (très large rue) s'étend vers l'Ouest, truffée de stands de fringues et de bouffe. Au delà, on est à nouveau en Chine ! Je continue jusqu'au Potala Square, qui fait face au palais. Un grand drapeau chinois se dresse fièrement en plein centre de la place, entre l'édifice le plus symbolique du Tibet et un monument commémoratif a la gloire du parti communiste chinois, très staliniste. Plus a l'Ouest, c'est des centres commerciaux et des logements chinois. J'admire un bon moment le Potala, je le trouve véritablement aberrant de beauté.

En fait je m'attendais tellement a une sino-isation a outrance de la ville que j'arrive presque a être agréablement surpris. La Chine est belle et bien la, mais le Tibet survit, il reste un vrai quartier ou l'atmosphère perdure. Bien sur, je ne connaissais pas avant, et j'imagine la déception de ceux qui sont venus il y a 15 ans et qui prennent la différence dans la gueule.

Je me rend a l'agence de voyage qui est censé avoir mon permis de résidence a Lhassa. Ils refusent de me le donner, ils doivent le garder. Ils m'expliquent que, comme je n'ai pas pris de tour organise, il faut que je me levé a 3 h du matin pour avoir une chance d'avoir une entrée (a 100 Y) pour visiter le Potaia le jour suivant, ils me disent que les transports locaux me sont interdits, qu'il faut que je passe par une agence (en l'occurrence eux) pour tous mes déplacements en dehors de Lhassa, tout en respectant le périmètre très délimite qui m'est autorise. C'est la fête. Je repars sans trop savoir quoi faire, je flâne dans les guest-houses a la recherche de panneaux ou les voyageurs laissent des messages et annonces. De nombreux groupes de 3 cherchent une personne pour compléter une jeep afin de traverser le pays (mont Kailash, camp de base de l'Everest...). Souvent beaucoup trop- long (15 jours minimum) et très cher (environ 500Y par jour par personne pour la jeep + chauffeur)

La nuit tombe, je décide de manger dans le resto a l'intérieur de l'hôtel, le "Tashi 2". Je croise le regard d'un gars qui a l'air sympa. On se fait souvent une impression au premier regard, la je le sens bien, le mec. 11 est attable avec deux filles, ils parlent en anglais. Je m'assois a une table a cote d'eux et bois un thé au beurre de yak "spécial touriste", c'est a dire un peu sucre et buvable, qui me fait croire que j'aime le thé au beurre (pour l'instant). Je mange une spécialité du coin, des légumes et viande de poulet mélanges dans des galettes de blé avec du fromage. Excellent. Et puis je goûte le Chang, boisson alcoolisée a base d'orge fermente, je ne crains pas non plus. Mes trois voisins sont en pleine discussion, je n'ose pas les déranger. Sortie de table. Je tombe de fatigue, la tête me tourne un peu, mon souffle est court, mes paupières se ferment, je vais me coucher. Au moment de monter l'escalier du Kirei, le gars du resto me court après pour me ramener mon chapeau, oublie a ma place. Il est français, s'appelle Louis, on se met a discuter. Il me dit qu'il part en trek de 5 jours avec 6 autres personnes le lendemain matin. Il est sympa, je décide d'aller boire un coup avec eux. L'une des autres filles (Anne Laure) est sa copine, l'autre (Lisa) une rencontre de route "anglophone". Le Snowlands Hôtel, ou on débarque, est un vrai repère de voyageurs. Je suis présente a tout plein de gens, majoritairement français, mais pas que. On mange des gâteaux, il y a une très bonne ambiance. Tous se sont rencontres sur la route. Je décide de me lever tôt le lendemain matin pour me rendre avec eux au monastère de Ganden, 40 km a l'est de Lhassa, ou ils veulent passer une nuit avant de partir pour leur trek. Je suis la vague, quoi. De retour a la guest-house, j'ai beaucoup de mal a trouver le sommeil maigre la fatigue. L'altitude, ça tabasse.

Jeudi 2 août

Lever 5h. J'ai tellement mal dormi que le réveil est presque une libération, ne plus lutter pour trouver le sommeil. Les douches sont fermées, j'opte pour une toilette a l'eau froide dans la cour. Il fait frais. J'en oublie mon chapeau (encore !) a cote des lavabos. Gros bagages laisses a la consigne, petit sac sur le dos. Devant la place du Jokhang, des bus s'apprêtent a partir. Ceux pour Ganden sont pleins, on négocie le droit de se poser sur des tabourets dans l'allée centrale ou de rester debout pendant l'heure et demi de trajet; ça passe, Ganden est un monastère très mignon accroche au flanc de la montagne, a 4350m d'altitude. Il a la gueule d'un petit village bien paisible, constitue de nombreuses chapelles, temples, chambres de méditation, salles de discussions théologiques et logements, a l'usage des quelques 400 moines qui y résident. On pose nos affaires dans Tunique gite, qui fait face au monastère, et puis on emprunte le Kora qui en fait le tour. Le haut de la crête dominant les bâtiments est blindé de fanions tibétains en guirlande, de toutes les couleurs. Tout au bout, un stupa blanc au milieu de rien. La vue sur la large vallée est magnifique, avec un dédale de cours d'eau scintillants qui s'y entremêlent. Le ciel est bleu, le soleil tape fort. Des moines marchent le long du sentier. Un lapin se cache derrière la stupa, une vache se promène nonchalamment, et des dizaines d'aigles se servent des courants ascendants pour monter en tournoyant dans les airs jusqu'à disparaitre. On discute joyeusement, puis on s'allonge et le silence prend le pas, tout absorbe par la montagne qu'on est. Respiration, calme, sensation de bien être (encore l'altitude ?), recueillement, observation silencieuse de la nature. Pas un klaxon ni un chinois ne vient troubler l'instant. Dodo pour certains.

Certains, c'est donc :
Louis et Anne Laure, marseillais, qui reviennent de 2 ans d'étude en Nouvelle Zelande.
Lisa, sud-africaine venant de Californie et dont les parents habitent a Londres, sur la route en attendant de savoir ce qu'elle va faire de sa vie.
Laurence, ardéchoise d'origine qui travaille dans l'horlogerie a Miami et en Amérique latine, qui voyage avec Julie.
Bruno, belge (de Waterloo), fan de BD (de Cosey en particulier !) et de livres fantastiques.

Tous sont ultras sympas et pas prise de tête une seule seconde, bonne pioche.

On visite de nombreuses chapelles de prière avec leur lot de statues de divinités tibétaines, de peintures murales colorées et d'encens, avant d'entrer dans le plus grand temple du monastère. Cérémonie, on s'assoit en silence. Des centaines de moines assis, enveloppes dans de grandes capes rouges, pieds nus Sourde cacophonie qui remplit de sérénité Tintements de clochettes, silences, chants en solitaires, en groupe, douces mélodies reprises en cœur, ambiance bruitiste de voix multiples qui s'enchevêtrent, litanies apaisantes, voix de gorge. Nouveau tintement de cloche, certains moines se lèvent et se prêtent a une course chaotique et hasardeuse dans les ailées. Ils sont tout sourire, se taquinent. Je pense aux hauts dignitaires de la religion catholique (pour ne citer qu'elle) faisant l'éloge de la Joie d'un ton moraliste et sentencieux. Ici, personne ne semble avoir besoin de mots pour la ressentir et la faire passer. Le temple est frais et tamise (seul un peu de lumière est filtrée par des ouvertures en hauteur, au centre de l'édifice), il est difficile de rester éveille. On sors de la complètement apaise. A peine le temps de terminer le Kora, de s'enfiler un bol de (mauvaises) noodles, de croquer dans un momo moyen,... et nous voila parti pour une bonne sieste.

Un se réveille tous a peu près au même moment. L'après-midi n'est pas terminée, on se motive pour gravir la montagne et en rejoindre la plus haute crête visible. Ça monte très vite et dur. On a besoin de nombreuses pauses pour reprendre son souffle, avec la nette impression d'un manque d'oxygène dans l'air. En haut, la vue surplombe la montagne du monastère ainsi que trois vallées ! C'est encore une fois superbe, mais plus encore. Tous les autres me disent qu'après ça, je ne peux qu'être déçu par tout ce que je vais voir les jours suivants ! On reste la un moment a profiter du lieu, en discutant notamment des enchaînements de hasards qui créent l'instant, et des symboles qu'on peut y percevoir. Je suis en plein dans Kundera ("L'insoutenable légèreté de l'être") qui traite pour une bonne partie de ça. Je me dis que si je n'avais pas oublie mon chapeau au restaurant, je ne serais pas la actuellement. Bien sur, la vie n'est faite que de hasards, mais ça me plait d'y penser en ces termes. Le soleil se couche derrière un sommet, de l'autre cote de la vallée. Splendides couleurs.

La descente est également ardue mais on arrive a bon port. Au gite, on acheté des préparations de noodles toutes faites dont les chinois raffolent. Il n'y a plus qu'à saupoudrer les pâtes des épices de la boite et verser de l'eau dedans. C'est pas mauvais, c'est surtout une valeur sure (le repas de midi nous a calmé un peu). On "dîne" sur !a terrasse du gite qui donne vue sur l'ensemble du monastère et de la montagne sur le flanc de laquelle il est pose (d'ici, ça fait plutôt colline). L'obscurité prend le pas. La lune n'est pas encore levée et des millions d'étoiles apparaissent de part et d'autre d'une voie lactée éblouissante. On est tous en admiration. Une étoile filante accroit encore l'excitation du groupe. Je m'allonge sur le muret qui borde la terrasse, emmitoufle dans une polaire et deux pulls. Tout le monde est silencieux, sauf a chaque étoile filante bien sur. On passe un moment a identifier quelques constellations, il y a tellement d'étoiles qu'elles sont plus difficiles a distinguer ! La vallée est silencieuse et on est les sept seuls étrangers dans le gite ce soir, on a conscience de la chance qu'on a. Quelques moines discutent le long du sentier, quelques aboiements de chiens dans le lointain. Je tourne ma tête vers la droite. Cassiopée est lovée sur la colline de laquelle une centaine de lumières du monastère continuent a briller faiblement. Elles s'éteignent progressivement.

Bruno prend la parole : "Mes amis, en Belgique, ils me demandent souvent se qui me pousse a continuer de voyager. La réponse est la, évidemment." Je suis tellement d'accord avec lui. On est a 4500m d'altitude, perdus au milieu des montagnes tibétaines a cote d'un monastère, et le moment qu'on partage scelle un peu plus encore une amitié éphémère (donc plus forte) entre nous, on est juste sept a vivre ces instants. Un par un, les amis d'un soir finissent par aller se coucher. Moi je reste allonge encore un moment sur mon muret, scotche au ciel, vide, heureux d'être la, ici et maintenant. Il y a une éternité avant, il y aura une éternité après, il y a des milliards de galaxies et peut-être même d'univers. On est a un moment très précis du temps, a un endroit tout a fait particulier de la géocosmogomie (??), et je m'y trouve. Conscient d'être en vie, conscient d'aimer la vie pour ce genre d'instants. On est tous de passage sur cette terre, autant en profiter pour voir les belles choses et prendre conscience des bons moments. Le reste n'a sans doute pas tant d'importance. Je sais la chance que j'ai. Je sais que des gamins crèvent la dalle et que mon petit bonheur n'est pas forcement a propos, mais on ne peut pas vivre qu'a travers cette réalité. Encore une étoile filante qui traverse la voûte céleste. Je suis sur le toit du monde, au Tibet. Je ne m'y fais pas.

Vendredi 3 août

Encore une nuit sans trop de sommeil, avec une respiration haletante et quelques cauchemars qui ponctuent le tout Dormir a 4500m, on ne le fait pas tous les jours, et la j'y suis peut-être allé un peu fort pour un lendemain d'arrivée au Tibet. Réveil vers 7hOO, avec les autres qui partent pour leur trek. Et puis merde, je les suis. Pas 4 jours bien sur, mais je les accompagne au moins au début. Le bus qui rentre a Lhassa part a 13h30, ça me laisse un peu de temps. Petit déjeuner au porridge, prépare consciencieusement par Louis qui y rajoute des morceaux de pommes cuites et des raisins secs. Bruno a un gros mal de tête et de cou du a l'altitude, un massage énergétique de Lisa le fait revivre en un quart d'heure (elle est bien dans le trip des énergies, elle fait du yoga... je connais ça). Derniers préparatifs, j'ai un peu l'air con avec mon petit sac a dos alors que les autres charrient leur maison sur le dos. Il est 8h30.

La pente montante est beaucoup plus douce que la veille, on avance bien, c'est agréable. Les autres n'ont pas l'air tout a fait de cet avis, c'est vrai qu'avec 10 kg de plus ça doit faire quand même mal. On marche ensemble deux bonnes heures, vues sublimes d'une vallée ou d'une autre selon le moment. Ce sont de larges vallées un peu montantes, avec des petits cours d'eau et des cultures en terrasse verdoyantes. Le soleil est encore au rendez-vous. Je continue, je recule le moment de rebrousser chemin... il est 10h40, ça ne sert a rien que je continue beaucoup plus longtemps. Je dis au revoir a mes 6 compagnons, j'ai un petit serrement en les quittant. Ça fait parti de la beauté des rencontres éphémères. Allez, pas si éphémères que ça, on se prévoit un reste a leur retour sur Lhassa !

Je me retrouve donc seul, je refais le chemin parcouru. Mais a mi-chemin, je décide de ne pas prendre le sentier qui descend doucement et je prends la direction de la crête. Je remonte beaucoup et j'arrive finalement tout en haut. Le soleil réchauffe doucement ma peau pendant qu'un petit filet d'air vient la rafraîchir, je respire a pleins poumons, l'endorphine qui irrigue mon cerveau après la grimpette me fais sentir bien, comme invincible. Les vues sont démentielles une fois de plus, je suis le chemin de crête (quand il y en a) et profite a chaque pic de nouvelles perspectives. Des tas de pierre son déposes sur chacun d'eux et des guirlandes tibétaines les relient les uns aux autres. Je vois peu a peu le monastère apparaître en contrebas, j'arrive a l'endroit ou on était la veille en fin d'après-midi. Le monastère se rapproche, la crête devient descendante et j'arrive vers 12h30 devant les bus. Je me nourris avec des chips maisons préparées par des femmes sur le bord e la route, c'est entre les chips et les patates sautées (pas croquant partout), très bon.

Dans le bus, je retrouve Carine (New-Yorkaise typée asiatique) et Pierre (français de Bourgoin-Jallieu), que j'avais rencontre au Snowlands l'avant-veille avec les autres. De retour sur Lhassa, on part se perdre tous les trois dans les ruelles du Barkhor. Pierre veut partir le lendemain a vélo pour trois jours pour aller voir le lac Namdrok. J'hésite un instant à le suivre, mais je n'ai pas tant de temps que ça et... il y a quand même 1000m de dénivelé, je le sens pas des masses. Le Kirei Hôtel est plein, je me retranche sur une Youth hostel chinoise et me retrouve dans un dortoir de 10 lits, avec 9 chinois qui hurlent. Tentative de douche, pas d'eau chaude, tout roule. Je retrouve finalement Carine et Pierre pour visiter un petit monastère cache de Lhassa, qu'on a du coup beaucoup de mal a localiser. Les temples sont fermes, on arrive quand même a se hisser sur les toits pour une petite vue. Le soir, on décide de manger tibétain. Pas tibétain "touristique", vraiment tibétain. Ce petit resto perdu devrait faire l'affaire. La viande de Yak poêlée aux légumes est mangeable, pas très tendre. Les boulettes de poulet concasse avec les os et baigne dans du ketchup local est... assez spécial, il y a plus d'os que de viande. Les Momo's (gros raviolis locaux) aux légumes ne sont pas mauvais, par contre ceux au fromage de yak sont... immangeables. On goûte tous un tout petit coin, on n'est pas loin de tout recracher, c'est a la fois sucre, gras, épais, écœurant. Pris de folie, je décide d'en manger un en entier, pour le trip. C'est un calvaire. Heureusement, il y a du bon thé au beurre de yak pour faire passer. Pas celui de l'autre soir, non, du vrai, avec plein de beurre qui se dépose a la surface et un goût bien saie, bien particulier. Je parviens a le finir lui aussi, en me disant que si mon estomac résiste a ça je ne craint plus rien du voyage. Pierre aussi se fait un Cheese Momo en entier, lui il est vraiment a deux doigts de vomir. Carine est moins farouche mais rigole bien en voyant nos gueules. Ça y est, on a mange tibétain. On a le droit d'aller se coucher.

Samedi 4 août

Couche un peu tard après avoir commence a taper ce long post (oui, je sais, il faut que je sois plus concis) Du coup je dors jusqu'à 8h30, presque une grasse mat. Le sommeil est meilleur. Apres une douche (chaude !), je m'empresse de changer d'hôtel et de ré-emménager au Kirei, ou Pierre m'a laisse son lit. Je me retrouve avec deux japonais bien rigolos et sympas, dont un canadien (?). Je me dis que je vais profiter de [ajournée pour aller visiter un maximum de temples.

Direction le Jokhang, l'un des temples les plus sacres, et aussi l'un des plus anciens (sa construction a débute en 642), du Tibet. Il renferme de précieuses statues, la plus vénérée d'entre elles étant le Jowo, Bouddha offert par la princesse Wencheng, épouse chinoise du roi tibétain Songtsen Gampo. Il représente maintenant un ensemble imposant et c'est le noyau dur du quartier du Barkhor. Devant, de nombreux pèlerins s'y pressent, se prosternant d'abord devant la devanture, puis faisant tourner les moulins à prière et parcourant tout le temple a petits pas, les uns derrière les autres, dans le sens des aiguilles d'une montre, en en visitant toutes les chapelles latérales et en taisant des offrandes, d'argent aux divinités, de beurre de yak (dont les propriétés semblent proches de la cire) aux bougies les éclairant. L'ambiance dans le temple reste sereine maigre l'afflux de visiteurs et de pèlerins. L'intérieur est resplendissant. Les minuscules chapelles regorgent de trésors, statues dorées de rois Dharma, de Bhouddas, de Bodhisatvas, de Dalaï-lamas et autres divinités qui terminent en "a". Je fais une offrande (0,1 Y) a un dieu rouge avec pleins de bras qui me fait un peu peur. Certains pèlerins prononcent des litanies sans s'arrêter, versent du beurre de yak dans chaque bougeoir, filent un pognon fou a toutes les statues et se prosternent partout en se tappant la tête sur les vitres et les cadres en bois. Ils vont rentrer chez eux blesses et fauches, mais sûrement très heureux. Des toits, on a une très belle vue de tout le quartier du Barkhor et de la place qui s'étend devant le temple, en pleine ébullition. On voit aussi le Potala bien sur. D'ailleurs, celui la, je ne sais pas si j'aurai le courage d'y aller.

Allez, on le tente. Pierre m'a fait part hier de la feinte qu'il a utilise pour rentrer dans le Potala, "a la française", c'est a dire en resquillant quelque peu : tu te pointes a l'entrée en disant que ton groupe est déjà a l'intérieur, et avec un peu de crédibilité ils te laissent rentrer dans l'enceinte. Âpres, tu payes comme tout le monde, Rn fait, la queue dans la nuit, c'est juste pour avoir un papier avec la date et l'heure précise a laquelle t'as le droit de rentrer dans l'enceinte. Je me mets donc a courir, histoire de travailler ma crédibilité. J'arrive a l'entrée principale complètement essouffle, l'air panique, j'ai du mal à parler, je dis : "my group inside l'm late !....". Je dégouline, tout ça. Au top. La nana me dis que pour les groupes c'est la porte est. Merde, je repars en courant. Et puis je reviens, Pierre, il était rentre ici. Je recommence ; "main entrance !,.. they told me,.., main entrance !.,," La, elle craque, elle me laisse rentrer. Comme dirais Sylvain, "chui trop un mac !". Je commence a monter les longs escaliers qui conduisent progressivement au niveau des splendides bâtiments totalement asymétriques qui composent le palais du Potala. Au Ticket office, une meuf me redemande de montrer mon papier avec l'heure d'entrée... je reprend un air défait, gesticule, explique que mon groupe est déjà rentre... ok, elle prend mon pognon, me dorme le ticket.

Le palais du Potala a été l'ensemble administratif, religieux et politique du Tibet pendant plus de 13 siècles. Compose du palais blanc (lieu d'activité politique et de résidence) el du palais rouge (ou sont entreposes de nombreux trésors), cet édifice de 13 étages est un joyau d'architecture tibétaine. Les chambres sont toujours ensoleillées et fraiches, les colonnes finement sculptées, les murs colores de fresques éclatantes, les tangkas (tissus brodes) riches en couleur. Dans les différentes chapelles, on peut admirer des statues d'argent et d'or de divinités, d'immenses mandatas, des sculptures de jade et de pierres précieuses, des écrits très anciens. On voit aussi d'immenses stupas dorées de 10m de haut, incrustées de turquoise, qui ne sont autres que les tombeaux de tous les Dalaï-lamas des temps anciens. Ça, c'est pour le palais rouge. Dans le palais blanc, on peut visiter les pièces ou le Dalaï-lama recevait, celle ou il lisait, le petit bout de couloir ou il méditait, et puis sa chambre a coucher, minuscule et sobre. C'est la ou le Dalaï-lama (actuellement en exil a Dharamsaîa, dans le nord de l'Inde) habitait. C'est assez flippant de voir a quel point les chinois ont transforme tout cela en simple musée. La visite dure environ Ih30, on monte des escaliers, on en descend, on traverse des chambres, des cours intérieures, des couloirs, on s'efforce de suivre le sens du parcours. Un moine qui parle anglais se mets a discuter avec moi, il me dit être complètement fan des cheveux longs et triste de ne pas avoir le droit de les laisser pousser en tant que moine ! Marrant. J'en ai quand même plein la vue en sortant de la, pas déçu de m'être "introduit" !

J'emprunte le Kora qui entoure le Potala. Des moulins à prières a perte de vue, le long du mur extérieur. Derrière, un petit parc charmant accolé à un lac, ponts de pierre, jeux pour enfants, stupas blanches. Beaucoup de monde est installe sur l'herbe, grignote, observe, fait la sieste. Un petit coin sympa. De retour devant le Potala, il est 13h40... encore le temps d'aller visiter quelque chose, non ?

Je monte dans le bus 301, direction le monastère de Drepung, situe a 7 km a l'ouest de la ville. Le bus me lâche a un croisement ou je monte dans la remorque d'un camion avec une vingtaine d'autres personnes (pèlerins, moines...) pour nous hisser jusqu'au monastère. Il est impressionnant, plus grand que celui de Ganden (700 moines y résident), même si le cadre est moins fascinant. Il est quand même dans un creux de montagnes, c'est pas degueu. Je me promené dans les nombreux temples en empruntant plein d'escaliers, de ruelles. Les chapelles sont elles aussi très belles, même si j'en viens a ne plus vraiment les différencier les unes des autres tant j'en ai vu aujourd'hui. De partout règne cette odeur acre (âpre ?) de beurre de yak qui se consume lentement. Je préfère quand même l'odeur au goût. J'assiste encore a une cérémonie avec ses litanies cacophoniques si reposantes. Le monastère est assez grand, on peut se perdre aisément dans les ruelles, c'est agréable. Je suis attire par un lieu d'où provient un boucan d'enfer : c'est en fait une place ombragée dans laquelle des centaines de moines se prêtent a des "débats" aux allures de règlements de comptes. Ils parlent, haussent le ton, et terminent toutes leurs phrases en claquant très fort dans les mains, comme s'ils allaient taper celui d'en face. Mais a la fois ils ont l'air de s'amuser. Ça crée un ensemble sonore chaotique rythme de claquements et de blabla. De retour a l'entrée du monastère, je m'en vais a l'assaut du Kora qui contourne l'ensemble de la cite monastique. Ça monte pas mal, mais les vues des montagnes environnantes sont très belles et le monastère vu de derrière, il a la classe, on se rend compte comme il est grand. Des inscriptions tibétaines colorées sont peintes sur les rochers qui égrainent le parcours. On voit aussi de nombreuses ruines de bâtiments bombardes, jamais reconstruits. Je croise de nombreux moines sur la route qui redescend. Ils se taquinent. L'un d'eux shoote dans une petite bouteille d'eau vide,,, un autre lui renvoi!., et ils se mettent tous a jouer au foot ! Je suis mort de rire, du coup ils me font la passe, et on passe tout le reste du chemin a courir et a se faire des passes en avançant, ils font même des figures, des feintes de jambes et tout. Génial. Le foot avec des moines, ça c'est fait.

Je redescends par un sentier pédestre qui passe par le petit monastère de Nechung, sympa aussi. Il se met a pleuvoir. Je cours vers la route en contrebas, un bus m'y attend. Retour sur Lhassa, il ne pleut déjà plus. J'arrive dans ma chambre de l'hôtel, discute avec les japonais qui me font décidément marrer, et puis me voila en train d'écrire, depuis longtemps déjà ! Rassurez-vous, j'ai fait une pause pour manger. Voila donc mes 4 premiers jours au Tibet. La classe. Demain, je pars pour Shigatse, a quelques centaines de km a l'Ouest de Lhassa. La, je suis en train de me taire virer de l'espace Internet qui ferme.


Dimanche 5 août
- Lhassa / 0h30

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