16 août 2010

Premiers pas (milliers de km) en Argentine

Dimanche 15 août - El Calafate

On y est enfin. On n'a pas emprunté la route prévue, on a hésité, on a tergiversé, on s'est laissé convaincre, on s'est enfilé des milliers de bornes d'Asphalte, mais on a finit par y arriver. Au sud de la Patagonie, si près de la pointe sud du continent, dans cette région si lointaine qui regorge de trésors naturels, dont j'espère pouvoir vous parler ici même d'ici quelques jours. Mais replongeons d'abord dans ces quelques derniers jours à mille à l'heure, les premiers passés en Argentine, pour le meilleur et pour le pire...


Mercredi 11 août

Bus. Frontière. Paperasses. On est au beau milieu de la cordillère des Andes, des montagnes partout, de la neige aussi. Le ciel est étrangement séparé en deux : gris côté chilien, complètement dégagé côté argentin ! On y traverse encore quelques heures de montagnes (enneigées, rocheuses, parfois verdoyantes), en longeant d’interminables lacs bleus installés à leurs pieds. Les paysages nous bercent avec l’aide des Smashing Pumpkins et de leur vieil album Pisces Iscariot, regorgeant de trésors oubliés comme Landslide ou Starla.

Arrivée à Bariloche (prononcer "Barilotché", à la française ça manque un peu de finesse), grande ville bâtie sur une colline à flanc de lac, avec des montagnes enneigées en fond d’écran. C’est une station de ski très prisé, notamment par les brésiliens, d’où son surnom "Braziloche". On pourrait aussi l’appeler la Suisse argentine, au vu de ses nombreux chalets aux jolies architectures mêlant pierre et bois, et surtout vu la quantité de boutiques vendant du chocolat en centre ville ! Les vitrines en exhibent des fontaines, des tablettes de tous les noms, toutes les formes, toutes les couleurs et tous les goûts. L’européanisation est beaucoup plus présente dans cette ville que toutes celle qu’on a traversé au Chili, ressemblant à s’y méprendre à une station de sport d’hiver de chez nous. On s'y sent tout de suite moins bien, un peu nostalgique des jours précédents, petit coup de fatigue, passager sans doute.

On prend quartier dans une auberge vraiment sympa, El Gaucho (désignant le cowboy argentin typique, pas le vieux coco), gérée par une nana non moins sympa, souriante et avenante. A Bariloche, les gens nous paraissent soit carrément dédaigneux, répondant à peine, donnant l’impression qu’on leur fait perdre leur précieux temps dès qu’on s’adresse à eux, soit au contraire d’une gentillesse infinie, prenant tout le temps qu’il peuvent pour discuter avec nous et nous aider si besoin. Leur accent est par contre assez particulier, avec les « ll » prononcés « ch », et il me faut parfois faire répéter plusieurs fois avant de comprendre des mots pourtant simples. On s’installe dans un dortoir pour une fois, les prix étant nettement plus intéressants.

Petite bouffe sur le pouce en centre ville dans un café bruyant, les serveuses nous parlent à peine. Tentative de demande d’infos dans les agences de tourisme, on nous répond sèchement que si on ne souhaite rien leur acheter ça ne les intéresse pas. Dans une autre agence, un gars passe du temps pour nous expliquer gentiment : la fameuse ruta 40, qui descend jusqu’au sud du pays en longeant la cordillère des Andes, est elle aussi fermée à cause de l’hiver, la neige, le gel. Si on souhaite se rendre au sud, il faudra obligatoirement faire un grand détour, et soit 40h de bus environ ! Hum, on verra demain. Un lendemain qui vient péniblement, à essayer de trouver le sommeil dans des lits étroits et durs… et séparés.


Jeudi 12 août

La personne de l’accueil a changé, c’est maintenant un grand gars bien costaud, moustachu, dans un pur style bavarois (!), rugueux au premier abord, mais tout doux dans sa manière de s’exprimer, et les yeux qui scintillent. Il nous fait un prix sur les chambres, passe des coups de fil pour nous aider à nous organiser. On est à un croisement de notre voyage, et il est temps de faire des choix, de calculer les jours qui nous restent, de tracer notre itinéraire, quitte à prendre des chemins imprévus. Et c’est le bavarois qui nous convînt : avant de descendre, nous ferons finalement une halte à l’est, sur la côte atlantique du pays. C’est la main sur le cœur et les larmes au bord des yeux qu’il nous parle des baleines qu’on peut aller voir à Puerto Madryn : « une des plus belles choses que j’ai vu, c’est la chance de votre vie, à cette saison vous pouvez voire des centaines de "Bachenas" depuis la plage ! ». Je mets du temps avant de comprendre de quoi il parle… Alice m’aide à tilter : il parle bien de "ballenas" (baleines). Ce con est très convaincant, on décide de partir le soir même.

L’après-midi, on emprunte un bus local qui longe le littoral sur 18 km vers le nord-ouest avant de nous laisser aux pieds du Cerro Campanario, en haut duquel on se laisse hisser par un télésiège. On est un peu loin de la station de ski et cette petite colline n’est absolument pas recouverte de neige. Il fait un soleil éclatant et dans les 12°C. Du sommet, on a une vue à 360° sur le parc national Nahuel Hapi, ses bras de lac aux reflets vifs, entrelacés à perte de vue, ses chaines de montagnes aux cimes enneigées comblant l’horizon. Époustouflant. On s’accorde un chocolat chaud dans la confiserie fièrement installée au sommet, offrant une vue panoramique sur ce paysage improbable.

On rentre à temps au Gaucho pour prendre une douche avant de s’enfiler les quelques 15h de bus qui nous séparent de la côte. Je n’aurai jamais vu l’océan pacifique et l’océan atlantique en si peu de temps.

Dans le bus, on fait vite connaissance avec Isabelle, 32 ans, française (on reconnait facilement les français, c'est "l’effet Quechua"), instite à Barcelone. Elle a l’air cool, on lui propose de se louer une voiture à trois à notre arrivée à Puerto Madryn, pour être libre d’aller voir les baleines et autres animaux où on veut et comme on l’entend : elle est tout de suite d’accord.

15h de trajet, ça fait long, mais les sièges-lits sont larges et plutôt douillets dans ce bus à 2 étages. Grande classe, goûter (18h), dîner (22h) et petit-déjeuner (6h45) sont inclus dans le prix du trajet. Évidemment, c’est loin d’être bon. Mais l’intention est sympa. Une télé (juste au dessus de nos têtes) diffuse (bien trop fort) des films (de merde). La aussi l’intention est louable. Le stewart, très speed, me demande de rejoindre mon siège dès que je me lève, d’éteindre ma frontale dès que je l’allume, de relever mon dossier dès que je l’abaisse pour m’allonger. Mais il a une bonne tête. Bref tout va bien. Après 2h de route, barrage de police, check des passeports par des agents armés, et les chiens sont lâchés dans le véhicule ! Rien ne semble suspect, si ce n’est un passager qui a le mauvais goût de porter des dreads et d’avoir l’air bien trop cool. Il cherche quand même. On le fait descendre, fouille de tous ses bagages… rien. Fausse alerte. Le bus repart dans la nuit, et on essaye de trouver le sommeil.


Vendredi 13 août

On a réussi à dormir un peu. L’arrivée à Puerto Madryn, 7h, du matin, n’en est pas moins pénible. Isabelle part à son hôtel pendant qu’on achète des billets de bus pour rejoindre la véritable Patagonie australe… départ le soir même à 19h, pour encore 18h de trajet non-stop jusqu’à Rio Gallegos, où on ne sera plus qu’à 4h d’El Calafate, prochaine étape sérieuse de notre aventure. On a donc la journée entière pour profiter de Puerto Madryn et de la réserve faunique de la péninsule Valdès.

On loue près de la plage une superbe Opel Corsa blanche, histoire de remuer le couteau dans la plaie… pardon, une Chevrolet Corsa, Opel ayant été racheté par Chevrolet dans cette partie du globe ! Et c’est parti. Bonheur de conduire soi-même, de ne pas être dépendant d’un chauffeur, d’un horaire fixe, d’un itinéraire tracé. On sort progressivement de la ville en suivant le port avant d’emprunter des petits chemins de terre aux abords de l’océan. Isabelle est définitivement sympa, on lui raconte le Chili, elle nous parle du nord de l’Argentine, ça papote dans l’habitacle. Soudain on aperçoit des jets à la surface de l’eau, et puis on voit des formes sombres sortir avant de replonger… des baleines ! On sort en courant admirer les mammifères marins du haut d’une petite falaise. Il y en a plusieurs, et pas si loin que ça, une centaine de mètres tout au plus ! On reste des plombes en se disant que c’est trop beau.

Quelques km plus tard, on a l’impression qu’il y en a encore davantage. On est à marée haute, au moment où les baleines sont le plus près du bord. Et effectivement, il y en a plus encore, surgissant par intermittence de l’eau à quelques 50 m du bord. Impressionnant.

On continue comme ça, à s’arrêter régulièrement, avec un nombre de mammifères marins toujours plus abondant, jusqu’à arriver au spot ultime, une grande plage, avec pas mal de monde… et on comprend pourquoi ces gens sont ici et pas ailleurs : tout ce qu’on a vu jusque là n’était rien, et on avait l’air bien ridicule à s’extasier devant trois queues qui plongent au loin ! C’est juste un truc de fou : des dizaines de baleines (d’environ 12m de long chacune) surgissant juste devant nous, à quelques mètres seulement de la plage, accompagnées d’un chuintement sourd. Il y en a partout, qui tournent sur elles-mêmes en battant des nageoires, se mettent sur le dos, sortent leur grosse tête (quelque chose de monstrueux quand même), plongent dans l’eau ou s’amusent à laisser leur queue dépasser. Le spectacle est vraiment addictif et on a beaucoup de mal à se décider à remonter dans la voiture, quelques heures plus tard !

On paye ensuite le droit d’entrée de la réserve faunique, et on prend à peine le temps de s’engloutir un sandwich à Puerto Piramide, payé en euros par manque de pesos, avant de repartir sur les routes en terre d'une vaste étendue plate et désertique à l'intérieur de la péninsule. On croise à peine quelques voitures, quelques troupeaux de moutons, de guanacos (plus petits et plus vifs que des lamas), de vaches, et on se gare de l’autre côté, à une petite centaine de km de l’entrée. On se balade le long d’une superbe plage à marée basse, et quelques éléphants de mer au loin (sorte de gros phoques longs de 5m) qui dorment comme des étrons sur la plage. Isabelle croise un tatou. Des centaines d'oiseaux ont élus domicile sur la grève. Il fait beau. Le temps nous épargne ces derniers jours, et ça fait un bien fou.

On n’a pas le temps de s’éterniser, on repart vite en sens inverse sous peine de rater le bus. La traversée retour est encore plus déserte, on ne croise quasi rien ni personne sur la large route sableuse et caillouteuse. La vitesse est limitée à 60 km/h, je ne comprend pas et roule plutôt à 90 voire 100… jusqu’à la traversée subite de 2 guanacos que je suis à deux doigts d’emboutir… je comprends alors le danger et fais plus attention. Je me dis qu’à l’heure qu’il est, on a quand même bien évité les galères, qu’aucun gros tracas n’est venu assombrir le voyage, et j’avoue trouver ça assez louche. On rentre effectivement sans encombre, à l’heure pour rendre la voiture et attraper le bus suivant… vraiment très louche même.

On dit au revoir à Isabelle, avec qui on a passé une journée super sympa à bien tchatcher et à s’extasier comme des débiles devant des baleines. Quelques mètres plus loin, on entend parler en français… 2 filles à côté desquelles on se retrouve tout à l’avant du bus dans lequel on s’installe, à l’étage. On sympathise rapidement là aussi. Elodie est prof d’anglais en Guyane, et Fanny scénographe de musées à Lille. Ca rigole rapidement, et les discussions partent dans tous les sens. Le bus part, plein sud cette fois. Le "dîner" est un peu meilleur que la veille mais les sièges moins confortables : on est passé d’un bus cama (lit) à semi-cama, moins large et moins douillet. Je m’endors pourtant sans mal, et pas si tard.


Samedi 14 août

La nuit a été un peu turbulente, entrecoupée par les multiples réveils pour trouver une position plus confortable que la précédente, sans trop y parvenir. Juste en dessous de nous, le chauffeur et son staff ont fait la tawa toute la nuit, avec de la musique disco à fond, des chants, des percussions sur la vitre… un peu casse-dodo, mais rigolo à écouter quand même. Le nouveau stewart nous réveille à 8h en criant qu’il est l’heure du petit déjeuner. Sinon il ne pipe pas un mot et exécute ses tâches sans sourire. Alice n’a pas trop bien dormi et commence à être enrhumée. Mais ça va, on n’est pas si mal. Le soleil se lève sur les terres désertiques de la Patagonie, et on voit dérouler sous nos pieds la route asphaltée, posée droite au milieu de steppes. Pas de neige en vue, peu d’animaux, seulement une étendue plate et aride à perte de vue. On sait qu’on est au sud, très au sud. La conscience d’être plus au sud qu’on ne l’a jamais été dans sa vie à chaque seconde qui passe est particulièrement grisante. Aucune musique ne va mieux avec ce qu’on est en train de vivre qu’Off He Goes de Pearl Jam, les yeux perdus au loin, le bus grignotant chaque instant un peu de la distance nous séparant du bout du monde.

Arrivée à Rio Gallegos. On achète tout de suite des tickets pour le prochain bus en direction d’El Calafate, plus à l’Ouest, en remontant un peu au nord vers les montagnes andines. On part à 14h, arrivée 18h30, après deux contrôles de flics.

Samedi 14 août - El Calafate

Aucun commentaire: